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Si au cours du 19ème et du 20ème siècles, l’image terrorisante du diable, conservée dans le champ religieux et moral, a perdu de sa puissance dans l’imagination littéraire et dans les illusions de la fantasmagorie, le cinéma va produire de...

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25.09.23

Éclipses N° 72 : Clint EASTWOOD, l'épreuve du temps

Consacré à Clint EASTWOOD, le volume 72 de la revue ÉCLIPSES est actuellement en cours d'impression. Il sera très prochainement disponible sur ce site (en version imprimée et aussi en PDF) ainsi que dans votre librairie préférée. 

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02.12.22

Éclipses n°71 : Invasion John CARPENTER

John CARPENTER a eu un jour pour son propre compte une formule qui raconte beaucoup, tant de son esprit que du statut particulier dont il a écopé : « En France, je suis un auteur. En Allemagne, je suis un cinéaste. En Grande-Bretagne, je suis un...

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Chronique : 39ème Festival International du Film de la Rochelle  

39ème Festival International du Film de la Rochelle
(La Rochelle, 2011)

La Rochelle incontournable !

par Michaël Delavaud le 02.08.11

Du1er au 10 juillet 2011 se tint à La Rochelle la 39ème édition du FestivalInternational du Film, rendez-vous cinéphile absolument essentiel et attirantd'année en année une foule de plus en plus considérable (avec 80768 spectateursen dix jours, cette édition 2011 est la deuxième meilleure fréquentation del'histoire du festival [source : Sud-Ouest]). 

 

La programmation de cette année était encore une fois pléthoriqueet variée, vous en jugerez : cinq hommages (en présence des artistes) aux français Bertrand Bonello et Jean-Claude Carrière, au tchadien MahamatSaleh-Haroun, au québécois Denis Côté et à l'animateur japonais Kôji Yamamura ;une intégrale David Lean et une intégrale des longs-métrages de Buster Keaton(tous reliés à des courts-métrages réalisés et/ou interprétés par le génieburlesque) ; une section "Découvertes" dédiée au documentairemexicain ; une approche du cinéma norvégien par le biais du pont générationnelreliant le grand-père Erik Lochen à son petit-fils Joachim Trier... Sans compterles projections de copies restaurées (dont le joyau Deep End de JerzySkolimowski [1970], film dont l'apparente légèreté pop n'est qu'un rempartdérisoire face à la dangerosité vénéneuse du trouble érotique qu'il distille),les avant-premières (nous reparlerons en temps voulu de La Fée du trio belgeDominique Abel-Fiona Gordon-Bruno Romy, ainsi que de Hors Satan, le dernierfilm de Bruno Dumont, prodigieusement beau) et une Nuit Blanche rendant hommageau cinéma bis européen... 

 

Impossibilitéde tout voir, impossibilité même de visiter toutes les pièces de cette énormemaison cinéphile. Et, partant, impossibilité pour votre serviteur d'êtreexhaustif dans son compte-rendu. On se penchera donc sur deux facettes de cetteédition 2011 d'un Festival décidément gargantuesque. 

 

 Les mondes parallèles de BertrandBonello  

 

"L'obscènen'est pas le synonyme de la bassesse." Cette phrase, dite par leréalisateur sur le retour Jacques Laurent (Jean-Pierre Léaud) dans LePornographe (2001), pourrait tenir lieu de manifeste du cinéma de BertrandBonello. Film après film, le cinéaste français dépeint une sorte de mondeparallèle à la société moralisée telle que nous la connaissons, un mondesimultanément libertaire et aliénant, paisible et brutal, à la fois bulle d'airet espace asphyxiant. Cette approche de la marge, que celle-ci soit sociétaleet/ou sexuelle, est exempte de toute complaisance, ne chute jamais dans lesabîmes de la caricature et de la vulgarité. L'équipe de tournage de films X (LePornographe), l'armada de transsexuels brésiliens vendant leurs charmes dans leBois de Boulogne (Tiresia [2003]) ou les pensionnaires de la maison closeL'Apollonide dans le film du même nom (2011) ont beau exercer dans un domained'ordinaire défini par sa trivialité (la marchandisation des corps et de lasexualité), Bertrand Bonello les montre avant tout comme des systèmes sociauxalternatifs, avec leurs règles, leurs codes, leur hiérarchie. 

 

Utopies 

 

Ils'agit donc d'un cinéma clos, érigeant des barrières avec un extérieur toxique,où l'obscène serait justement bassesse. De la maison bourgeoise servant de lieude tournage dans Le Pornographe au bordel de L'Apollonide en passant par lelieu de séquestration du transsexuel Tiresia (Clara Choveaux et Thiago Telès)ou le manoir abritant la secte hédoniste de De la guerre (2007), le lieu chezBonello est utopique, plus ou moins abrité du temps et d'évènements quipourraient en modifier les règles. L'isolement est perçu comme le meilleurmoyen de toucher du doigt la poésie, la beauté sensible du monde, ainsi que leplaisir charnel que ces notions peuvent procurer. C'est l'objet du jolicourt-métrage Where the boys are, réalisé en 2009. A Gennevilliers, une résidenceuniversitaire fait face au chantier d'une mosquée en construction. D'un côté,quatre jeunes étudiantes, chacune cloîtrée dans sa chambre ; de l'autre, lesouvriers. En mettant en scène deux mondes, spectacle l'un de l'autre, qui neparviennent pas à communiquer, Bonello met aussi en place un érotismefonctionnant en vase clos, prenant corps dans une belle scène finale : deux desquatre filles s'habillent en homme et se dessinent de fausses moustaches avantd'inviter les deux autres à danser sur la chanson rétro donnant son titre aufilm ; les deux couples dansant s'embrassent alors amoureusement. A laséparation conventionnelle ouvrant le film (résidence/mosquée, femmes/hommes)se substitue un littéral mélange des genres où masculinité et féminité ne fontplus qu'un. Surprenant écho à Tiresia, Where the boys are montre l'isolementspatial des personnages comme un vecteur de leur accomplissement érotique.

 

L'intrusiondu réel dans ces univers parallèles a nécessairement pour conséquence d'engâcher les beautés ; ce sont bien les interventions de Richard, le producteur decinéma X (Thibault de Montalembert), incarnant la vulgarité d'un réelterre-à-terre (financements des films, satisfaction d'une ciblespectatorielle...), qui mettront à sac les grandes ambitions artistiques deJacques Laurent (Le Pornographe) ; c'est l'arrivée de Louise (Clotilde Hesme),la femme de Bertrand (Matthieu Amalric), dans la communauté où s'était retiréson mari qui replongera ce dernier dans l'insatisfaction de la vie parisienne(De la guerre) ; c'est l'un des hôtes de la maison close qui en perturbera lavie symbiotique en défigurant l'une de ses plus belles pensionnaires(L'Apollonide).

 

Capturer la beauté 

 

Emettonsune hypothèse : les mondes parallèles de Bonello sont de simples fantasmes,ceux permettant de s'évader d'un réel trop rude et coupant comme une lame tropeffilée (ainsi pourrait-on interpréter les joues tranchées de la prostituéedans L'Apollonide). La beauté même du fantasme est de n'être point réellementaccompli ; un fantasme réalisé n'existe plus. Quel est-il, ce fantasme, quiserait alors l'un des enjeux capitaux du cinéma de Bonello ? Il est d'ordreartistique, en soi proche de l'obsession du peintre de La Belle Noiseuse(Jacques Rivette [1991]) : capturer la notion abstraite de beauté. La réclusionpermet l'observation du corps, le lieu clos devient ainsi le réceptacle quasimuséal de sa beauté esthétique, beauté sur laquelle l'artiste (ou lespectateur) essaie d'exercer une toute-puissance. C'est l'objet même de laséquestration de Tiresia par le poète Terranova : mythifier la beauté enl'enfermant. Les clients de la maison close dans L'Apollonide voient un groupede jolies jeunes filles, mises sous cloche de par leur profession, incarnerl'objet de leur fantasme (la scène de la prostituée "jouant à lapoupée" pour son client). Dans Le Pornographe, Jacques Laurent dirige sonactrice Jenny (Ovidie) en lui disant de ne pas surjouer la scène de sexe qu'ilsvont tourner, déclarant que c'est lui, son regard de créateur (ou spectateur ?ou voyeur ?) qui ira chercher son expression, sa beauté érotique. 

 

Capturerla beauté est une désespérante impossibilité, une mise en échec de l'artiste(ou du spectateur) par le réel. Sans ses hormones, Tiresia redevientconcrètement ce qu'elle est fondamentalement : une femme homme, une dualitéenfermée dans un corps unique, un être grotesque au sens premier du terme. Dansson désir de sentiments amoureux, la prostituée Madeleine (Alice Barnole) n'aplus la superficialité du fantasme mais la profondeur de l'humain(L'Apollonide). Quant à la beauté de l'actrice porno recherchée par l'artisteLaurent, elle va à l'encontre de la logique marchande de l'industrie qui nedemande que la performance. C'est alors que la violence du cinéma de Bonellosurvient, toujours brutale, qu'elle soit physique ou psychologique. La beautéest une utopie qui, irrémédiablement, se détruit ; d'où le fait que celui quicroyait en détenir la toute-puissance la violente ou la souille pour sel'approprier, dans un acte ultime de désespoir. Ce sont les yeux percés deTiresia par son ravisseur (Tiresia), le visage découpée de la prostituée de lamaison close (L'Apollonide), ou encore l'éjaculation faciale que reçoitprofessionnellement Jenny, acte sexuel proche des considérations marchandes duproducteur, ultime maître du plateau de tournage où l'artiste, tout aussihumilié que son actrice, n'a plus son mot à dire (Le Pornographe). De mémoire(l'auteur de ces lignes n'ayant pu caser le film dans son emploi du tempsrochelais serré), cette mise en échec de l'artiste devant la représentationimpossible de la beauté de son sujet était le propos même du très beaucourt-métrage Cindy, the doll is mine (2005), peut-être l'une des plus bellescréations de Bertrand Bonello. 

 

Délitements

 

Lecinéma de Bonello est donc bel et bien un cinéma du délitement : délitement desidéaux, qu'ils soient conjugaux (Quelque chose d'organique [1998], film vide àla médiocrité rebutante et dont, pat conséquent, nous n'avons pas parlé),artistiques (Le Pornographe, la première moitié de Tiresia), religieux(l'opposition du transsexuel devenu augure païen et des croyances chrétiennesdu Père François [Laurent Lucas] dans la sublime seconde partie de Tirésia) oucommunautaires (De la guerre, L'Apollonide). 

 

Délitementdes utopies vacillantes et vouées à la destruction ; délitement de l'utopie desbeautés esthétiques, effondrement des lieux isolés, presque autistes, lesrenfermant et les jetant dans la trivialité du réel (le final de L'Apollonidemontre la prostitution sordide et racoleuse ayant remplacé le cocon soyeux etvénéneusement élégant qu'était la maison close). D'où la part très mélancoliquedu cinéma de Bertrand Bonello, cinéaste qui construit des systèmes luipermettant de sublimer la beauté du monde tout en sachant que ces beautés sonttrès éphémères, voire peut-être absolument illusoires. C'est cette insondablemélancolie, cet espoir poétique renouvelé et déçu film après film, cettesensation de perte le hantant constamment qui rend le travail de Bonello siémouvant et estimable. 

 

Buster Keaton, ou dompter le cadre  

 

Voir ou revoir quasiment à la suite les longs-métrages de BusterKeaton, ainsi que les quelques courts auxquels ils ont été ingénieusementassociés par l'excellent Stéphane Goudet, permet la confirmation d'un fait déjàétabli : Keaton est certes l'un des burlesques les plus marquants de l'histoiredu cinéma, mais il s'agit avant tout d'un cinéaste éblouissant, possédant unescience du cadre et de sa dynamique interne proprement sidérante. L'acteurburlesque n'a plus chez lui cette prédominance un peu égotique, influant sur lecadre et ses composantes (Chaplin), le dominant physiquement (Fatty Arbuckle,compagnon de route du début de carrière de Buster) ; le burlesque keatoniendonne la priorité au cadre, le corps de l'acteur dépendant entièrerement de cequi l'entoure, agissant autant sur le champ et sur sa profondeur (le coup decanon aussi hasardeux que miraculeusement adroit dans Le Mécano de la General[The General, 1927]) que le champ agit sur lui (les pièges tendus par lemontage du film dans lequel le personnage s'introduit dans Sherlock Junior[1924]). De fait, le cinéma de Buster Keaton donne toute son importance à lagéographie et au caractère géométrique d'un cadre très organisé. Tel estcertainement ce que voulait dire Luis Buñuel lorsqu'il écrivit, dans le dixièmenuméro de Cahiers d'Art, à propos de Sportif par amour (College / Campus[1927]) que "le film est beau comme une salle de bain", formulesibylline évoquant de façon assez probable la propreté clinique d'un Keaton nelaissant rien au hasard. D'autant plus fort que ce film hilarant, ayantclairement sa place dans la filmo du burlesque mais un poil moins virtuose quele reste des longs-métrages projetés, ne fut pas réalisé par Buster K. mais parJames W. Horne, parfait homme de paille... 

 

Ecriture du mouvement 

 

L'artkeatonien est cinétique ; il travaille essentiellement sur la mise en mouvementde l'acteur/du personnage et sur sa relation avec son environnement, tour àtour hostile ou amical. Ceci structure Sportif par amour, film où le personnagede Buster Keaton, rat de bibliothèque méprisant le sport, s'essaie au baseballpuis à l'athlétisme afin de reconquérir sa belle. La première partie du filmvoit le personnage échouer dans tout ce qu'il entreprend, enfermé dansl'enceinte du stade et devant lutter contre des accessoires tous plusrécalcitrants les uns que les autres (poids, haies, perche, javelot ou marteaufou, accessoire dont le lancer incontrôlé s'avère le pic comique du film). Cequ'il rate d'abord, il le réussit miraculeusement ensuite hors du stade, enexécutant les mêmes mouvements pour aller sauver sa belle, séquestrée par unbellâtre qu'elle vient d'éconduire. En une ligne droite magistrale, Keaton sefait athlète et rivalise avec un environnement plein de chausse-trappes etd'obstacles qu'il évite avec succès. Le film théorise, modestement maisréellement, l'apprivoisement du monde par la mise en mouvement du personnage etla rectitude de sa trajectoire. 

 

Cette rectitude semble le principal instrument de survie et demaîtrise de l'espace ; elle permet à Sherlock Junior de littéralement dompterles lieux et les cadres qu'il traverse. Sherlock Junior est, dans le film dumême nom, la projection onirique d'un projectionniste (!) de cinéma assoupi,parvenant à pénétrer l'écran du film policier qu'il est en train de passer. Lepersonnage est alors littéralement enfermé dans un cadre dont il ne peuts'échapper, cadre à la géographie rendue fluctuante par un montage facétieux etsans objet narratif (à la pièce d'une maison succède la mer, le désert, unefalaise, etc...), et qui s'avère un piège périlleux constamment renouvelé etparfaitement incontrôlable. Sherlock/Keaton retrouvera la maîtrise du cadre lorsd'une scène absolument démentielle, montrant le personnage conduisantinvolontairement une moto, assis sur le guidon de l'engin. La trajectoirerectiligne du véhicule impose comme par magie l'autorité du personnage/metteuren scène sur le cadre ; la géographie de ce dernier, auparavant réfractaire, seplie alors à la bonne marche d'une trajectoire irréductible. 

 

LesFiancés en Folie (Seven Chances [1925]) s'achève également par une coursefolle. Le personnage qu'incarne Keaton doit se marier avant une certaine heurepour pouvoir toucher un héritage. Il passe littéralement par monts et par vauxpour pouvoir rejoindre à temps sa dulcinée, affrontant avec succès de terriblesdangers physiques (traversée d'une rivière à la nage, saut par-dessus unprofond précipice, saut du haut d'une falaise vers la cîme d'un grand arbrefraîchement scié dont la chute lui permet de descendre plus vite...). Triomphedu personnage sur la géographie et la géométrie du cadre (à la trajectoirehorizontale de la course s'ajoute la maîtrise de la verticalité dans le plan del'arbre), triomphe du corps de l'acteur face aux risques du réel (rappelons queBuster Keaton exécutait lui-même ses cascades et acrobaties). Le personnagedoit également affronter une avalanche de rochers de plus en plus nombreux eténormes, blocs entre lesquels il saute et rebondit tout en dévalant à toutesjambes une pente à la raideur inouïe. La séquence, assez longue, est à la foisun morceau de bravoure dingue (dans tous les sens du terme) et une définition partiellede la forme keatonienne : opposition entre le personnage et le cadre dont iln'est qu'une composante (ici minuscule par rapport à certains blocs de rocher); dynamique du cadre pouvant se fonder sur le principe de démultiplication, deprolifération. 

 

Vides et trop-pleins 

 

Lesrochers de la séquence, de plus en plus nombreux et massifs, ne sont qu'unesymbolisation des femmes en robe de mariée pourchassant Buster pendant toute laseconde moitié des Fiancés en Folie. L'associé de Buster et son notaire fontpasser une annonce dans le journal pour que le personnage puisse se marier dansles temps et, ainsi, toucher son héritage. Une à une, les femmes arrivent dansl'église, jusqu'à littéralement envahir l'espace de l'édifice puis la totalitéde la ville, comme pourrait le faire un torrent en crue. Cet envahissementprogressif du cadre jusqu'à la plus complète saturation provoque un effetpictural saisissant voire anxiogène, qu'on retrouvera d'ailleurs chez unspécialiste du cinéma d'angoisse (la scène anthologique de l'arrivéeprogressive des corbeaux sur le portique situé derrière Tippi Hedren dans LesOiseaux d'Hitchcock [The Birds, 1963], semble formellement décalquée sur LesFiancés en Folie). 

 

Lefinal rocambolesque de Ma vache et moi (Go West [1925]) semble être une reprisede cette invasion citadine, un millier de têtes de bétail déchaînées remplaçantune marée de futures mariées en furie (il serait intéressant d'analyser lecaractère franchement misogyne du cinéma de Keaton, qui se dissimule derrièrela figure plus commode du doux lunaire). La caractéristique formelle de Mavache et moi, au-delà du fait que Keaton s'aventure plus ou moins dans lescodes du western (comme il l'avait fait sous le patronage de Roscoe"Fatty" Arbuckle dans Fatty Bistro [Out West, 1918]), est encore unefois le travail sur le cadre, alternativement vide et plein. Une série de gagsl'illustre parfaitement. On sonne la cloche du repas ; Buster, arrivant enretard, s'installe dans une salle à manger pleine. Il s'assoit quand tout lemonde a fini et part, le laissant seul. Le gag se répète une seconde fois. Letroisième jour, on sonne la cloche ; Buster se précipite dans la salle à mangeret consomme rapidement son repas, seul. Les autres arrivent une fois qu'il afini et qu'il se lève, laissant alors une salle pleine ! Au demeuranthilarante, la scène théorise certes l'opposition entre vide et (trop-)plein,mais elle théorise aussi peut-être la position de Buster Keaton lui-même, entant que personnage. Il est condamné à rester seul, et lui seul pourralittéralement faire le vide en rameutant le cheptel éparpillé dans la ville ;cette solitude, il l'alimente d'ailleurs finalement en choisissant de vivreavec une petite vache plutôt que de partir avec la jeune et jolie fille de sonpatron. 

 

A la marge 

 

De façon récurrente, le personnage keatonien est seul : Sherlockest seul sur sa moto qu'il dirige aléatoirement ; Johnnie Gray poursuit toutseul les comploteurs du Mécano de la General (film sur lequel nous sommes regrettablementtrop peu revenus, que la linéarité structure narrativement du début à la fin) ;c'est seul, rejeté par la femme qu'il aime, que Rollo Treadway entame sonescapade en paquebot (La Croisière du Navigator [The Navigator, 1924]).Généralement, les personnages keatoniens sont seuls contre tous, pourchassés,que ce soit par la police (les courts-métrages Malec l'Insaisissable [The Goat,1921], Frigo Déménageur [Cops, 1922], Grandeur et Décadence [Day Dreams,1922]), par des concurrents amoureux en colère (L'Epouvantail [The Scarecrow,1920]), par une foule langienne de femmes lyncheuses habillées en robe demariée... Bien qu'étant pleinement inscrit dans un cadre qu'il cherche àdompter plutôt qu'à domestiquer, luttant sans cesse face à une société hystériqueet proliférante qui ne cesse de lui chercher des noises, le personnagekeatonien est un marginal, qui ne souhaite que de vivre en retrait du monde. Etle réalisateur Buster Keaton est peut-être lui-même un vrai personnagekeatonien : sa carrière éteinte dès 1933 après une carrière fulgurante d'unequinzaine d'années, il sera lui-même très isolé. 

 

C'estl'enjeu de l'un des derniers films dans lequel Keaton apparaîtra, Film (1965).Ecrit par Samuel Beckett (au départ pour Chaplin) et réalisé par AlanSchneider, ce magnifique court-métrage est une curiosité d'une richesse folle.Un homme, dos à la caméra, entre dans un appartement et cherche à se soustraireà tous les regards qui pourraient croiser le sien : ceux que le monde extérieurpourrait porter à travers les persiennes délabrées, ceux de l'oeuvre picturaleaccrochée au mur, ceux des divers animaux peuplant la pièce, ceux desspectateurs (le mouvement de recul de la caméra au moment où l'acteur est surle point de se tourner est significatif). Jusqu'au moment où, par le biais d'unmiroir, il croise tragiquement son propre regard... Film conceptuel, il s'agitsurtout d'une terrible mise en abyme, montrant la tragédie du regard d'un hommesur lui-même, regard qu'il porta glorieusement par le passé, quand il était uncinéaste se dirigeant lui-même. Mais surtout tragédie d'un burlesque luttantfarouchement pour disparaître d'un cadre dans lequel il a auparavant cherché às'imposer. A l'ambition de la représentation succède la volonté d'effacement ;à l'énergie frénétique des cadres qu'il mit en scène succède l'image désabusée,fixe, vide, d'un homme regardant sa propre extinction. Buster Keaton mourral'année qui suivra ce magnifique chant du cygne qu'est Film, l'un des nombreuxchefs-d'oeuvre d'une rétrospective dominant de toute sa magnificence cetteédition 2011 du Festival de La Rochelle.

Michaël Delavaud

 

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