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26.02.24

Info parution : « Les cinéastes du Diable », par Yann Calvet

Si au cours du 19ème et du 20ème siècles, l’image terrorisante du diable, conservée dans le champ religieux et moral, a perdu de sa puissance dans l’imagination littéraire et dans les illusions de la fantasmagorie, le cinéma va produire de...

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25.09.23

Éclipses N° 72 : Clint EASTWOOD, l'épreuve du temps

Consacré à Clint EASTWOOD, le volume 72 de la revue ÉCLIPSES est actuellement en cours d'impression. Il sera très prochainement disponible sur ce site (en version imprimée et aussi en PDF) ainsi que dans votre librairie préférée. 

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02.12.22

Éclipses n°71 : Invasion John CARPENTER

John CARPENTER a eu un jour pour son propre compte une formule qui raconte beaucoup, tant de son esprit que du statut particulier dont il a écopé : « En France, je suis un auteur. En Allemagne, je suis un cinéaste. En Grande-Bretagne, je suis un...

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Critique : Hors Satan  

Hors Satan
(Bruno Dumont, 2011)

L'élévation par la terre

par Estelle Bayon le 22.10.11

De retour dans les paysages de la côte d’Opale qui ouvraient l’admirable première scène de L’humanité, son second long métrage, Bruno Dumont continue son exploration mystique si particulière et originale dans le cinéma français contemporain, qui en fait définitivement l’un de ses piliers majeurs. Les noms de Dreyer, de Bresson ou de Bernanos se font désormais entendre à la sortie de son dernier film, inscrivant l’ancien prof de philo dans une lignée d’auteurs fondamentaux. Hors Satan s’impose comme le bilan radical d’une filmographie exemplaire qui compte déjà six films depuis La Vie de Jésus, sorti sur les écrans en 1997.

 

Terrain mystique 

Bilan, parce qu’il y a dans Hors Satan un peu de chacun de ses précédents films, sans toutefois qu’il ne puisse être réduit, loin de là, à un simple pot-pourri de ses obsessions thématiques et stylistiques.

L’humanité débutait sur un homme courant dans le Pas-de-Calais, achevant sa course en plongeant dans un champ humide, en prière face au monde, pleinement étendu à terre dans le film, agenouillé dans le roman. Car l’écriture de Dumont est avant tout littéraire, éloignée du format traditionnel du scénario, dont le film semble moins une transcription qu’une traduction en son langage propre, une poétique filmique qui rendent aux images une puissance rare. Elles se prêtent alors à l’essentiel projet de ce réalisateur hors-normes, la composition d’une mystique filmique originale. Mais Dumont, en athée convaincu, cherche moins à composer une œuvre chrétienne qu’à explorer les potentialités du septième art comme lieu de révélation.

La trame du film est minimale : une jeune fille diaphane, fascinée par un vagabond silencieux, l’accompagne dans les prières qu’il rend à la nature, s’agenouillant sans cesse face aux paysages que le Scope, format fétiche de Dumont, n’a jamais rendus aussi somptueux. Au passage, l’étrange jeune homme commet quelques crimes pour débarrasser le village du Mal qui y rôde. La tension permanente entre la sainteté et le péché, obsession du cinéaste qui parcourait La Vie de Jésus jusqu’à une rédemption magnifique de sobriété, s’incarne ici dans le corps de David Dewaele, qu’on avait déjà croisé dans Flandres et auquel le cinéaste avait donné dans son précédent film, Hadewijch, le rôle d’un jeune garçon qui, sortant de prison, révélait en une étreinte inespérée la petite héroïne à une humilité non plus frontale et vaine, car traquée avec obstination, mais par une authentique expérience mystique.

On sent chez Dumont le désir de toujours explorer les mêmes obsessions sans jamais faire le même film ; c’est là la marque d’un grand auteur. Son Nord mystique, c’est un peu la Cathédrale de Rouen de Monet, ou la Montagne Sainte-Victoire de Cézanne. Chaque nouveau long métrage semble répondre au précédent, en prendre le contrepied, comme une antithèse, pour composer une filmographie comme une synthèse, réminiscence méthodologique du passé philosophique de Dumont. Hadewijch était le plus dialogué de ses films, un peu trop démonstratif dans son approche frontale de la question mystique par l’adaptation des textes de la poétesse flamande du XIIIe siècle qui donne son nom au titre. Hors Satan prend donc un virage violent, sans pour autant faire demi-tour, en revenant à l’exploration d’une mystique primitive et brute, hors de tout contexte religieux, que proposaient ses deux premiers longs.

 

Suturer l’homme et le monde

Car la mystique dumontienne est à prendre dans son sens pur et premier, celui d’une initiation immédiate, sensible et inexprimable, à l’appréhension d’un tout, comme dans une union. Il ne s’agit pas d’une transcendance directement portée vers le ciel, vers un au-delà, mais ancrée dans l’ordinaire et la terre, dans les gestes simples : recueillir les miettes de pain avec son doigt sur une nappe cirée, faire un feu, arpenter le territoire, et regarder – chez Dumont, l’acte de regarder, qui renvoie directement à l’acte cinématographique même, constitue un geste fondamental qui suffit à éclipser un récit réduit au minimum.

Aussi la figure du champ-contrechamp revient-elle encore ici, qui suture l’homme et le monde, sobre et humble procédé filmique apte à traduire cette communion. L’essentiel de Hors Satan, plus radical que jamais, prend forme autour de ce sobre montage, dans l’évidence du raccord entre des plans d’ensemble sur les paysages magnifiés par les intenses regards du « gars » en prière, et des plans rapprochés sur des visages le plus souvent mutiques et vides, qui peuvent ainsi accueillir tout ce qu’y transposera le spectateur, élément fondamental de cette expérimentation mystico-filmique. Ces visages, ce sont ceux de comédiens non professionnels, trouvés sur la terre même où il tourne, selon la méthode de Dumont, et à l’exception de Twentynine Palms. Parce que tourné aux alentours de Los Angeles, capitale du cinéma, ce film quasi expérimental ne pouvait se faire, disait alors Dumont non sans humour, sans un acteur qui ne soit pas professionnel – et le premier rôle féminin avait ainsi été confié à Katia Golubeva, lumineuse et trop rare actrice récemment disparue.

Entre la place primordiale donnée au paysage, loin de n’être qu’un simple décor de prédilection pour ce cinéaste né à Bailleul, dans le Pas-de-Calais, et le recours à des acteurs amateurs, méthode héritée d’un Robert Bresson, qui permet à ses interprètes de ne pas penser leur rôle mais d’incarner avant tout des corps, des blocs de sensations sans intentions, se compose son esthétique naturaliste.

 

L’humble beauté

Tandis que la dernière tendance de sa filmographie l’avait conduit en Californie, à Paris, ou au Liban, Dumont recentre donc son cinéma sur son Nord natal, en un film hyper localisé. Le besoin de voyager ne se fait plus sentir ici car l’idée même de voyage se condense dans la figure de son vagabond de passage qui transporte en lui un ailleurs trouble en une forme de transcendance immanente, improbable paradoxe qui pourtant détermine la mystique de Dumont, qui l’entend ainsi : « regardez la terre, vous verrez le ciel ». N’est-ce pas justement le principe même de l’humilité, à entendre comme l’humus, la terre, comme l’humilis latin qui désigne une élévation qui va en s’abaissant ? Les sœurs du couvent reprochaient à Hadewijch de ne pas avoir l’humilité, car trop façonnée par une ardeur chrétienne transformée en posture vide. Elle ne la trouvera qu’au contact de la nature, dans les bras de Dewaele, lequel ici, sans cesse agenouillé dans les paysages, incarne cette humilité qui façonne l’esthétique mystique de Dumont et la transforme en une leçon de cinéma : filmer la terre, de la manière la plus terre-à-terre possible, et surviendra la beauté, ou plutôt la puissance, le vrai. 

Car Dumont a toujours rechigné, à la manière d’un Rossellini, à composer de beaux plans, de peur d’un esthétisme trop simplement pictural. Pourtant, il s’abandonne au beau dans Hors Satan, dont les panoramas sublimés par le Scope et la lumière froide de la Côte d’Opale révèlent une magnificence à l’encontre de tout décorum cosmétique. L’émerveillement visuel se double d’une puissance sonore, du vent de la côte quasi permanent, qui croise en une vive étreinte le souffle des corps. Si mystique, du grec, muaô signifie « se taire », « être silencieux », le mutisme des personnages ne plonge pas pour autant le film dans le silence, mais laisse justement, en se défaisant du verbe, la place à la respiration du monde. Au milieu du triomphe du totalitarisme visuel et sonore, de l’éradication des petites sensations, le cinéma de Dumont nous permet de réapprendre à voir et à entendre, révélant un invisible. « Je filme la terre et les arbres, le vent. Les faces. A force c’est de l’invisible qui apparaît. L’invisible ne se filme pas », annonçait-il dès L’humanité, ouvrant notre regard sur la doublure mystique du quotidien. Il est cependant à noter que cette méfiance envers le dialogue, née dans les cinémas de la modernité, se radicalise dans les années 1990 chez Pedro Costa, Gus Van Sant, Otar Iosseliani, ou Aki Kaurismaki, en résistance aux injonctions émotives du cinéma de la surenchère où l’hégémonie de la parole et de la musique forcent et dirigent les émotions, et falsifient la réalité en l’étouffant sous une matière sonore superfétatoire.

Par ailleurs, son naturalisme rencontre avec fracas le grotesque – voir la scène avec l’auto-stoppeuse – et le surnaturel – la scène du miracle – qui, comme chez Bernanos, peut surgir de l’ordinaire. L’ensemble compose une esthétique soignée et originale dans le paysage cinématographique français, résistant brutalement à la tentation du divertissement.

 

Des flics et du sexe !

Pourtant, les ingrédients sont là qui auraient pu transformer Hors Satan en un produit formaté pour une future diffusion télévisuelle. Car à nouveau, comme le meurtre et le viol dans une petite ville de Province de ses deux premiers longs, et après la guerre et le terrorisme de ses deux derniers, le fait divers sert de base à son scénario, autour du meurtre du beau-père de la jeune fille, interprétée par Alexandra Lematre, nouvelle découverte de Dumont qui se révèle une fois de plus un étonnant directeur de casting. Mais chez lui, la loi et la police se montrent inutiles et ridicules, le dialogue des flics se voyant même réduit à un brouillis risible, tel une parodie post-synchronisée qui n’est pas sans évoquer Tati !

Enfin, le film retrouve la question du désir inassouvi et de la sexualité comme moyen inadapté de communion amoureuse, sujet premier de Twentynine Palms. Chez Dumont, les femmes se donnent toujours volontiers : Domino et Marie s’offraient à Pharaon et Kader en exhibant leur sexe, Hadewijch aspirait à une improbable relation charnelle avec le Christ, et Barbe s’abandonnait passivement dans les bras de tous les hommes de Flandres alors même que son amant n’aspirait qu’à l’amour. Ici encore, l’auto-stoppeuse s’offre crûment au vagabond, et la jeune gothique recherche ses baisers, qu’il lui refuse obstinément. Car ils sont chez lui non pas un acte amoureux, mais un moyen d’extirper le Mal – de l’auto-stoppeuse vicieuse, de la fillette possédée – dont, par conséquent, l’héroïne est dénuée.

Après ce bilan, on peut donc penser que le prochain film de Dumont marquera une nouvelle étape dans sa filmographie. En effet, le cinéaste, qui défendait ardemment son recours (presque) exclusif à des amateurs, fera tourner une actrice professionnelle, et non des moindres, en la personne de Juliette Binoche, dans une adaptation de la vie de Camille Claudel, collaboration pour le moins intrigante et alléchante. Parallèlement, il fait l’acteur dans Sibérie pour la comédienne et réalisatrice Joana Preiss, ex-égérie de Nan Goldin, projet tourné en numérique, dont la sortie est imminente. On attend donc avec impatience les résultats de cet approfondissement des affres de l’amour et de la création autour de la figure de l’actrice et de l’icône… 

 

Estelle Bayon

 

Linexia
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