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Si au cours du 19ème et du 20ème siècles, l’image terrorisante du diable, conservée dans le champ religieux et moral, a perdu de sa puissance dans l’imagination littéraire et dans les illusions de la fantasmagorie, le cinéma va produire de...

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25.09.23

Éclipses N° 72 : Clint EASTWOOD, l'épreuve du temps

Consacré à Clint EASTWOOD, le volume 72 de la revue ÉCLIPSES est actuellement en cours d'impression. Il sera très prochainement disponible sur ce site (en version imprimée et aussi en PDF) ainsi que dans votre librairie préférée. 

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02.12.22

Éclipses n°71 : Invasion John CARPENTER

John CARPENTER a eu un jour pour son propre compte une formule qui raconte beaucoup, tant de son esprit que du statut particulier dont il a écopé : « En France, je suis un auteur. En Allemagne, je suis un cinéaste. En Grande-Bretagne, je suis un...

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Chronique : L'Etrange Festival  

L'Etrange Festival
(L'Étrange Festival, 2014)

Vingt bougies enflammées

par Michaël Delavaud le 28.09.14

Du 4 au 14 septembre 2014 a eu lieu au Forum des Images la vingtième édition de l’Etrange Festival, grand-messe pour les amateurs du cinéma de genre(s), cinéma quelque peu marginalisé par les grands festivals internationaux (bien que le joli It follows de David Robert Mitchell, l’intéressant mais très roublard The Tribe de Myroslav Slaboshpytskiy ou le chef-d’œuvre White God de Kornél Mundruczò sur lequel nous allons revenir, aient été ovationnés voire récompensés cette année à Cannes) et que cette manifestation capitale met joliment dans la lumière.

« L’art des fous peut nous toucher ; il ne nous enrichit que par ce que nous retrouvons en nous-mêmes de ces étrangetés. », écrivit Pierre Jean Jouve dans ses Commentaires (1950). C’est ce qui explique parfaitement pourquoi l’Etrange Festival nous ravit édition après édition : ces fous de cinéastes de genre, que ce soit ceux qui sont programmés dans la compétition ou en dehors, ceux qui sont exhumés dans la section « Pépites de l’Etrange », ceux à qui l’on a laissé carte blanche pour sélectionner quatre-cinq films de leur choix (cette année, ce furent Jacques Audiard, Sono Sion et Godfrey « Qaatsi » Reggio), ceux qui visitèrent le festival les dix-neuf années précédentes auxquels l’Etrange a rendu hommage dans une programmation parallèle… Ces fous, donc, nous parlent à nous et de nous, pauvres et heureux spectateurs que nous sommes. Et de notre monde aussi dérangé que ce cinéma atypique et essentiel. Passage en revue, forcément parcellaire, de cette vingtième édition.

 

Des films inclassables

 

Qui dit Etrange Festival dit qu’il faut être prêt à voir des films eux-mêmes étranges. Sur le papier, The Fives du Coréen Jun Yeon-sik avait par exemple un potentiel de bizarrerie assez élevé. Une famille tranquille se fait attaquer par un serial killer une fois que la petite fille de la maisonnée devient une menace pour lui. Seule la mère de la famille survit, clouée dans un fauteuil roulant suite à l’agression ; elle promet alors ses organes vitaux à quatre proches de malades en demande de greffe, à la seule condition que ceux-ci l’aident à assouvir sa vengeance. D’une idée tordue et intéressante, Jun donne un film décevant. Si The Fives est un film de serial killer brutal et angoissant (On Joo-wan est terrifiant en tueur androgyne et immoral), il est aussi un mélodrame outré et pâteux, insupportablement lacrymal. Ce qui est très dommage dans ce film bicéphale, c’est que le versant mélodramatique triomphe sur le versant film noir. Ou quand le genre laisse sa place à une sorte de drame familialiste tout à fait téléphoné.

Horsehead, premier film du Français Romain Basset, laisse, lui, tout à fait dubitatif. Difficile de dire de quoi parle le film tant celui-ci semble ne rien raconter. On sait qu’une jeune fille retrouve sa maison d’enfance, son beau-père un peu larbin, sa mère dure comme le roc, le domestique bourru… Sa grand-mère est morte et elle recommence, comme dans son enfance, à se balader dans ses « rêves lucides », tous peuplés de figures monstrueuses. On sent que Horsehead, biscornu et onirique, est très influencé par Twin Peaks : Fire Walk with Me, cité tout au long du film ; le problème est que Romain Basset est visuellement moins proche de David Lynch que de Jean Rollin. La mise en scène cheap et fauchée mais prétentieuse (à grand renfort d’éclairages tape-à-l’œil et de musique cache-misère), le récit imbriquant réel et imaginaire fantastique à la façon d’un Labyrinthe de Pan du pauvre, l’imaginaire symboliste trop bridé font au final de ce film une petite catastrophe. Une œuvre encore une fois étrange sur le papier mais qui, à part une belle séquence (un affrontement onirique entre un loup et l’homme à tête de cheval du titre), ne trouble en rien et ne fait qu’ennuyer.

Par contre, dans le genre inclassable, The Distance du réalisateur espagnol Sergio Caballero est, lui, insurpassable cette année. Ce film raconte l’histoire d’un savant au teint verdâtre de zombie, reclus depuis vingt ans dans un entrepôt désaffecté dont il a recouvert les parois d’équations complexes, qui embauche trois nains télékinésistes et télépathes (ils se parlent sans ouvrir la bouche !) pour qu’ils trouvent la « distance ». Qu’est-ce que la « distance » ? Aucune idée. Tout ce qu’on sait, c’est que les trois nains ont six jours pour accomplir leur mission. Ce que raconte le film rejoint la philosophie du monde des frères Coen, évoqués par-ci par-là (les murs de l’entrepôt citant ouvertement le tableau noir recouvert d’équations dans A Serious Man, un pied botté dépassant d’un brasero parodiant celui dépassant de la broyeuse dans Fargo…) : le monde est un non-sens, un mystère insoluble, un espace absurde où l’arbitraire est roi. De fait, tout devient possible, et The Distance en profite pour laisser libre cours à un surréalisme débridé de façon totalement assumé et qui tient presque lieu de discours au film. A placer entre l’art déjanté de Quentin Dupieux (dont le film de Caballero adopte à la lettre le fameux mantra « No reason ! ») et l’absurdité cafardeuse des films de Roy Andersson. Fascinant. Et là, pour le coup, vraiment étrange !

 

Ordi mateur

 

Selon l’antienne bazinienne, le cinéma tiendrait lieu de fenêtre ouverte sur le monde. En deux films, cette édition 2014 de l’Etrange Festival tend à montrer que le monde tiendrait sur l’écran d’un ordinateur, lui-même nouvelle fenêtre sur un monde aujourd’hui espionné, exhibé, miné par le voyeurisme et par la violence qu’il exhale. Nouvelle fenêtre sur un nouveau monde replié sur lui-même pour loger dans les limites (cependant toujours repoussées) de son réseau.

Le bien-nommé Open Windows de l’Espagnol Nacho Vigalondo est de ce point de vue un exercice de style assez brillant, et converse de façon troublante avec le récent scandale des photos volées sur ICloud. Nick (Elijah Wood, toujours très bon) est un fan de l’actrice Jill Goddard (Sasha Grey, pas mal) ; il tient l’une des pages internet les plus fournies sur la star et ce soir, il est comblé : il a gagné un concours pour passer la soirée avec elle. Un homme mystérieux entre alors en contact avec Nick pour lui annoncer que la soirée est capricieusement annulée par Jill et pour lui permettre de se venger de l’actrice en pénétrant dans sa vie, par un système perfectionné d’écoutes téléphoniques et de web-cams bien placées… L’astuce formelle du film est de faire de l’écran d’ordinateur l’écran de cinéma. Chaque fenêtre ouverte par Nick sur son ordinateur correspond à un plan ; Vigalondo n’a qu’à balader sa « caméra » d’une fenêtre à l’autre pour réinventer la notion de montage (les champs-contrechamps lors des échanges par webcams interposées ; le montage alterné quand trois actions simultanées se déroulent dans trois fenêtres différentes ; réhabilitation du montage dans le plan, entre autres du sur-cadrage et du split screen…). L’écran de l’ordinateur (et, donc, l’écran de cinéma) dans Open Windows est symptomatique du tout-visible actuel : il est un cadre inamovible qui contient tous les plans. Ce tout-visible n’est cependant qu’une surface lisse et trompeuse : l’image est une virtualité malléable, qui recèle une vérité autre que celle qu’elle veut montrer. Si le dernier tiers du film, résolution de la manipulation qui tient finalement lieu d’histoire, est parfaitement bancal, il n’empêche que ce petit film par moments vraiment virtuose est une bonne surprise.

Bien que donnant lui aussi une place prépondérante à la communication par ordinateurs interposés, le nippo-indonésien Killers (réalisé par Tio Tjahjanto et Kimo Stamboel alias The Mo Brothers) prend le contrepied d’Open Windows ; si, chez Vigalondo, l’image est un langage mensonger dissimulant la vérité derrière sa virtualité intrinsèque, elle est chez les Mo bros le terrible prolongement du réel en en étant sa réplique exacte. Un serial killer japonais poste ses crimes sur internet ; un journaliste indonésien déchu (il est une sorte de Mikael Blomqvist qui ne serait jamais arrivé à rebondir) se met à l’imiter en assassinant les puissants qui l’ont fait tomber avant de constater trop tardivement que la machine criminelle est trop aliénante pour lui. Le lien entre les deux meurtriers est pourtant devenu indéfectible, ce qui pose un certain nombre de problèmes au journaliste… Ce lien, quel est-il ? L’ordinateur, encore une fois, et la violence qu’ils se partagent dans une communication qui est exclusive aux deux personnages. La violence de l’un et de l’autre est le seul moyen pour eux de partager quelque chose avec quelqu’un, de rompre la solitude qui gangrène leur vie respective. Killers, film d’une noirceur et d’une brutalité parfois inouïes, est en effet avant tout une peinture sans pitié de l’ultra-moderne solitude, générant un ennui que ne pourra combler que la cruauté des uns envers les autres (les tueurs donc, mais aussi le gamin qui, dans la dernière séquence, esseulé dans le plan, prendra un homme mourant en photo avec son IPhone sans ne jamais chercher à le sauver) et la mort qui résonne comme une sorte de « The End », achevant une vie qui aurait une valeur de fiction ; le tueur japonais aura pour lui-même le même mot qu’il usait pour ses victimes : « Coupez ! ». Killers, ample, massif, ambitieux et magnifiquement interprété est l’un des deux-trois meilleurs films vus cette année à l’Etrange.

 

Home sweet home

 

Dans quelques films programmés cette année au Forum des Images, la maison, qui est pour tout un chacun un havre de paix et de sérénité familiales, est devenue le théâtre de la peur, de la mort, de la violence et des humeurs plus douteuses les unes que les autres.

Pour ce qui est des humeurs un peu cradingues, vous pouvez avoir confiance en Résidence surveillée de Greame Whifler (programmé dans la sélection « 20 ans 20 films »). Un jeune couple s’installe dans un suburb miteux ; leur voisin, un détraqué qui ne supporte pas leur épanouissement sexuel, se met à les empoisonner de diverses manières avant de vouloir les stériliser à l’ancienne, c’est-à-dire au scalpel et sans anesthésie… Plantes vénéneuses qui font ressembler les jeunes tourtereaux à des cousins éloignés du John Merrick d’Elephant Man, laxatif à chevaux déversé dans l’eau courante et provoquant des diarrhées et des vomissements que le film ne nous épargnera pas, opération chirurgicale outrageusement gore : Résidence surveillée, cinématographiquement nul et sans aucun enjeu, est une sorte de cartoon trash, un épisode d’Itchy et Scratchy réalisé en images réelles par une figure de proue dérangée de l’écurie Troma. Drôle et répugnant, ce film est à placer sur l’étagère « Plaisirs coupables ».

Si, dans Résidence surveillée, la maison est le réceptacle d’un mal qui lui est extérieur (la folie furieuse du voisin), elle peut aussi être la mémoire d’un mal qui s’y est déroulé. C’est exactement le cas d’un film comme The House at the End of Time du Vénézuélien Alejandro Hidalgo, film d’épouvante en deux temps : dans une première partie, le film est un film de maison hantée caricatural, empilant sans complexe tous les clichés du genre et misant sur une peur qui saute au visage dans un bruit strident et exagérément mixé. Bref, le degré zéro de la mise en scène pour un film qui ne raconte rien et qui montre tout mal. Second temps : Hidalgo embarque son scénario déjà pas terrible dans les méandres incertains d’un voyage dans le temps qui expliquerait toutes les étrangetés spectrales de la première partie. La volonté de bouger les lignes est louable mais le voyage temporel est casse-gueule du moment qu’on ne maîtrise pas son matériau (contre-exemple formidable : la saison 5 de la série Lost, peut-être le plus virtuose des voyages temporels jamais vu). The House at the End of Time montre définitivement ses limites : malgré une touchante et tragique histoire de frères amis-ennemis enchâssée en son sein, ce film est incohérent, laid et finalement vraiment moralisateur.

The Canal de l’Irlandais Ivan Kavanaugh, auréolé d’une superbe réputation après ses premières diffusions dans quelques festivals, semble sur le papier bien plus intéressant. Un archiviste tombe sur une ancienne pellicule datant des années 10 ; sur celle-ci est enregistré le récit filmé du massacre s’étant déroulé un siècle avant dans la maison qu’il habite. Dans le même temps, sa femme disparaît. L’homme commence alors à voir les personnages du film dans sa maison… Les acteurs de ce film sont excellents, la mise en scène est joliment recherchée, quelques visions horrifiques s’avèrent vraiment saisissantes (entre autres l’apparition lovecraftienne d’une femme sortant à la fois d’un film et d’un trou dans le mur sur lequel est projeté ledit film), la montée de la folie domestique de l’archiviste évoque la contamination du Mal inhérent au cinéma de Friedkin (on pensait déjà au réalisateur de Bug pour un autre film d’épouvante irlandais de ces dernières années, Citadel de Ciaran Foy [2012]). Mais malgré toutes ses qualités, The Canal n’échappe pas vraiment au piège de la prévisibilité, ne laissant que peu (voire pas) de questions sans réponses. La résolution, absolument attendue, laisse tomber tout le trouble qu’on a pu ressentir auparavant. Le film de Kavanaugh est indéniablement beau mais indéniablement frustrant.

 

De mal en pis

 

La beauté n’est pas ce que recherchent, eux, certains films programmés dans la compétition officielle de l’Etrange Festival. Quelques-uns d’entre eux osent mettre de côté la virtuosité plastique pour mieux faire ressortir la noirceur de leur propos, pour rendre plus prégnante encore la détresse de personnages s’embourbant de plus en plus dans la fange du mal alors même qu’ils croient toujours trouver une solution pour s’en sortir.

C’est par exemple le cas d’un assez bon polar noir serré anglais, Hyena de Gerard Johnson. Au départ, l’insignifiance formelle du film fait quand même un peu peur ; une caméra télévisuelle (Hyena doit beaucoup formellement et narrativement aux séries BBC) filme platement ses histoires d’abord stéréotypées de ripoux et de police des polices, de guerres des gangs entre Albanais et Turcs, de putes de l’Est, de trahisons en tous genres… Puis, au fur et à mesure que son personnage principal, Michael, flic assez proche dans l’esprit du Vic Mackey de The Shield (interprété par Peter Ferdinando, tendu comme une arbalète), porte sur ses épaules de plus en plus frêle les conséquences de ses actes de plus en plus délictueux, le film se bonifie en se durcissant. L’avalanche de problèmes qu’il a lui-même provoqués semble à ce point insurmontable que Hyena en devient prenant, incitant le spectateur sadique à se demander comment cela va se terminer, tout en sachant que cela va nécessairement se terminer… mal ! La dernière séquence du film, ouverte et magnifiquement déceptive, est très forte, apportant ses réponses par le fait même de laisser le spectateur sur sa faim. Par son rythme et son apparence lisse, Hyena n’inspire donc pas grand-chose avant que le dernier tiers du film ne transforme ce qui ressemblait de prime abord à des défauts en qualités réelles. Voilà un polar qui mérite le coup d’œil.

Alleluia, troisième film du Belge Fabrice du Welz (après le traumatisant Calvaire et le pseudo-weerasethakulien Vinyan), est lui aussi une réussite, sans conteste le meilleur film de son auteur. Du Welz raconte à sa façon le périple des Tueurs de la Lune de Miel (déjà plusieurs fois abordé au cinéma, par Leonard Kastle ou par Arturo Ripstein), transposé sous le ciel bas et lourd des Ardennes belges. La grande force du film est de placer le récit des deux diaboliques sous la coupe de l’esthétique terriblement inconfortable et enlaidie de Fabrice du Welz ; par le biais de l’épaisseur du grain de son image sale et grise, heurtée et tressautante, par l’intermédiaire d’un montage elliptique qui, malgré une structure narrative du film en chapitres, ne fait rien pour donner les repères habituels, le réalisateur ne travaille pas à la glorification de son couple assassin. Cet inconfort formel est adéquat à ce que raconte Alleluia : ce qui aurait pu être un polar malsain (ce qu’il est aussi par moments) est avant tout un film d’amour dérangeant, avorté dès le premier quart d’heure. Le personnage de Martine (Lola Dueñas, flippante, loin des innocentes almodovariennes) sait que son nouvel amant, Michel (Laurent Lucas, très fort dans la suavité minable) l’a escroquée, mais elle veut coûte que coûte y croire. Leur histoire est une voiture en panne qu’il faudrait désespérément faire avancer. C’est donc moins la trajectoire criminelle qui est privilégiée par le film que la trajectoire amoureuse qui lui est parallèle, absolument malade, d’étape en étape de plus en plus sanglante et de plus en plus frappée par la paranoïa, ceci jusqu’à son inexorable fin. Alleluia est donc un film méchamment grinçant et d’une impitoyable cruauté mélancolique. Film marquant.

 

Monstrueux esprit de groupe

 

Deux des films programmés en compétition revenaient à leur manière sur la notion de communauté, masse à la fois distincte (elle est cantonnée dans le Groupe) et indistincte (l’esprit de Groupe se doit d’être un et indivisible, ceci quel que soit le nombre d’individus le composant), régentée par une norme dont il est mal vu, voire dangereux, de s’écarter.

The Dark Valley, western austro-allemand d’Andreas Prochaska, raconte l’histoire très classique d’un homme étranger s’installant dans une communauté au passé plombé afin d’assouvir une vengeance toute personnelle. On est ici en terrain connu, Prochaska puisant sans honte et sans cynisme dans un répertoire eastwoodien, entre le baroque leonien de L’Homme des Hautes Plaines et le classicisme solide de Pale Rider (la structure narrative et la définition du personnage principal de The Dark Valley semblent d’ailleurs calquées sur ce dernier). Mais derrière le paradigme westernien se cache un propos assez fort sur la norme de la communauté et sur sa morale hypocrite qui n’est pas sans rappeler, dans une scène de prêche assez intimidante, le discours du Ruban Blanc. Hasard ou coïncidence ?, Andreas Prochaska est un ancien assistant de Michael Haneke… L’étranger du film (magnifiquement interprété par Sam Riley, le feu sous la glace) semble être un personnage de la contestation de cet ordre établi, inique et despotique, qu’il faut renverser. Le fait que cet étranger soit aussi un photographe, un homme d’images, n’est pas anodin ; l’image et ceux qui la font semblent avoir ici pour fonction de combattre la norme. En rejoignant le discours du cinéma comme arme et moyen de défense développé par Wim Wenders dans quelques-uns de ses films (la fin magistrale de L’Etat des Choses), The Dark Valley se fait aussi le parfait résumé de la philosophie de l’Etrange Festival : le cinéma contre la pensée globale.

Autre portrait d’une communauté, Cub, réalisé par le Belge Jonas Govearts, est, lui, une vraie gifle, d’autant plus violente qu’on pouvait légitimement y aller avec le sourire en coin, le film promettant un massacre de scouts dans une forêt profonde des Ardennes belges (décidément !). Ce qui se joue là est beaucoup plus fort, terrible et profond que le petit plaisir coupable auquel on s’attendait. Premier niveau du film, classique de l’horreur : un groupe de scouts se retrouvent piégé avec ses moniteurs dans une forêt par une bande de dégénérés qui ne cherchent qu’à les décimer. Sur le simple plan du film d’horreur, Cub fonctionne efficacement en ne misant que parcimonieusement sur l’épouvante pure mais en égrenant quelques scènes d’une brutalité ludique particulièrement jouissive. C’est cependant dans son second niveau que Cub se révèle très puissant ; le film de Govearts est en effet un saisissant portrait de groupe, avec sa hiérarchie despotique (les moniteurs et les enfants, sachant qu’il y a aussi une hiérarchie entre le moniteur dur et viril et le moniteur plus pédagogue, ainsi qu’une hiérarchie entre les enfants, les chefs de meute et les autres), ses règles rigides, sa norme qu’il faut appliquer à la lettre sous peine d’être violemment exclu ou humilié… Cub perce la surface de la joie du scoutisme pour montrer les soubassements du communautaire aux normes pousse-au-crime. De fait, ce film effarant et d’une profondeur inouïe serait le mélange improbable et particulièrement réussi de La Colline a des yeux de Wes Craven et de La Meilleure façon de marcher de Claude Miller. Petit chef-d’œuvre.

 

Un film qui a les crocs

 

Mais le très grand film de cette vingtième édition de l’Etrange Festival est hongrois, il est réalisé par Kornél Mundruczò et il s’appelle White God. Prix Un Certain Regard au Festival de Cannes 2014, cette œuvre en trois temps est un choc esthétique (les séquences d’ouverture et de clôture sont les deux plus belles séquences de l’année avec la « scène amniotique » d’Under the Skin) tout en étant une fable d’une puissance terrible sur la nécessité de l’esprit de révolte dans une société inique. Le film raconte l’état de Budapest dans un futur proche : les chiens de race sont tolérés, les bâtards font l’objet de taxes ; abandonnés et chassés, ils sont parqués dans des fourrières qui les exécutent. Menés par le chien Hagen, les bâtards s’évadent et envahissent la capitale hongroise pour prendre le pouvoir et se venger des hommes. Et des clébards qui se vengent, ça fait très mal !

White God est un film en trois actes. Le premier est une sorte de conte à la Disney racontant l’histoire d’amitié entre le chien Hagen et la petite Lili au sein d’une société qui ne voudrait que l’empêcher. Tendre et touchante, cette ouverture semble écrite pour surligner la cruauté presque mélodramatique de ce qui va suivre. Ce qui va suivre, ce sont l’abandon et l’errance de Hagen dans les rues budapestoises, sa traque par les employés-miliciens de la fourrière, la brutalité barbare des hommes qui en font un chien de combat particulièrement criminel. Cette seconde partie, sorte de récit d’initiation à la dure, prend des faux airs de Jack London urbain en réactualisant la trame de L’Appel de la Forêt, roman finalement assez terrible d’un animal choyé, abandonné et luttant pour sa survie avant de s’émanciper en s’esseulant dans une nature sauvage.

Cette nature sauvage, c’est celle qui survient dans le troisième acte. Cette nature sauvage, c’est celle qui est intrinsèque à l’animal, celle qui fonde ce qu’est le chien avant l’apprivoisement. C’est ce retour à la normale de l’animalité qui fait que les chiens se révoltent. C’est bien sûr dans ce troisième acte que surgissent les séquences les plus saisissantes du film, la meute envahissant de façon presque absurde et surréaliste tous les endroits qui les ont violentés, assassinant tous les humains qui ont pu à un moment ou à un autre leur porter préjudice. Ce récit d’invasion et de suprématie animale fait penser au théâtre de Ionesco (surtout Rhinocéros), à la science-fiction de Pierre Boulle, on pense aussi au fabuleux White Dog de Samuel Fuller (dont le titre du film de Mundruczò est bien entendu l’anagramme), dans cette manière de montrer à quel point l’humain influence la bestialité de l’animal qui lui est voisin… White God est donc un mélange très impressionnant de cinéma politique (rarement nous aurons vu des séquences de soulèvement révolutionnaire aussi efficaces : V pour Vendetta peut aller se rhabiller !), de bluette disneyenne et de brutalité hard boiled.

Ce film est à l’image de ce qu’on demande à un film de genre réussi, donc de ce qu’on demande à un film vu à l’Etrange Festival : il sait se faire redoutablement intelligent tout en étant admirablement divertissant et constamment surprenant. White God est donc tout à fait essentiel. A l’image de cette formidable manifestation qui l’a accueilli et dont on ne voudrait manquer les prochaines éditions sous aucun prétexte. Vivement l’année prochaine et la découverte d’une sélection qu’on souhaite aussi attrayante que cette année !

P.S. : Le prix Nouveau Genre et le Prix du Public ont été remis au même film, The Voices de Marjane Satrapi. Cette unanimité provoque un double sentiment : si l’accord de tous sur un film peut forcer à être soupçonneux, il n’empêche que le fait que cette unanimité ait lieu chez les freaks de l’Etrange titille la curiosité. Bravo à Marjane Satrapi, donc !

Michaël Delavaud

 

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