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Chronique : Matrix  

Matrix
(Andy et Larry Wachowski, 1999)

Réseaux immersifs

par Florent Barrère le 27.06.12

La resplendissante année 2009 pour la 3D, qui scellait les noces hollywoodiennes d’Avatar et d’Alice, semble bien éloignée à présent, alors que les studios s’abîment dans de paresseux kinéscopages de blockbusters actuels (Wrath of the Titans, Avengers) ou d’antan (The Phantom Menace et prochainement Independance day), sans compter les remasterisations des fonds de tiroirs disneyens (The Lion King, bientôt Beauty and the Beast). Epuisé par cette débâcle tridimensionnelle entamée il y a à peine trois ans, le spectateur semble déjà regretter l’âge d’or de l’image de synthèse des années quatre-vingt dix, où les meilleurs films questionnaient davantage les conditions de la création numérique que les procédés immersifs. La nostalgie d’un artisanat numérique puise ses racines dans Tron (1982) de Steven Liserberg et son monde virtuel à l’architecture géométrique et fluorescente, mimant les circonvolutions des circuits imprimés et les techniques d’affichage des premiers ordinateurs ATARI 8 bits.

 

Réseaux virtuels et autocratiques

 

Esthétiquement, le film de Steven Lisberger est remarquable par son articulation entre le règne archéologique de la prothèse et le désir d’un futur règne de l’image de synthèse présidé par les notions de fluide et d’entrelacé. Le rendu lissé et algorithmique des images de synthèse permettait de donner un caractère artificiel au monde généré par le MCP (Master Control Program), en décalage esthétique avec les séquences en prises de vue réelles. Si le programme virtuel de Tron (le MCP) piégeait le spectateur dans un labyrinthe à la géométrie basique, la matrice informatique de Matrix (1999) des frères Wachowski semble bien plus évoluée : l’entremêlement des composants, du tressage, du réseau informatique proposent enfin un monde virtuel crédible, semé de replis, de pièges et de tentacules.

Notre univers humain est réduit dans ce film à une grande ville aseptisée et capitaliste, qui n’est en fait qu’un programme généré par la Matrice, sorte de déesse-mère informatique contre laquelle les hommes, entités virtuelles, se révolteront pour retrouver leur identité corporelle. Notre monde est présenté comme une apparition numérique (La vie est un songe, nouvelle version de la fantaisie de Calderón…), et le réseau informatique en son entier, sous une forme biomécanique, en a enfin fini avec l’homme en le réduisant à une simple batterie d’énergie : le film, à cet égard, glisse exemplairement du cyberpunk au biopunk tant son organicité plastique est prégnante.

La technologie informatique dans son ensemble a évolué : elle n’est ni un outil pour l’homme comme l’ordinateur à l’époque du film, ni même un appendice sevrant du type I-Phone ou I-Pod. Elle s’est désengagée de sa valeur d’objet afin d’acquérir une réelle capacité d’autonomie, qui se manifeste dans un comportement animal, dont le motif symbolique de la pieuvre semble récurrent pour signifier l’autocratie : « En face d’un univers terrifié, on dresse alors un monstre terrifiant et tentaculaire : organisation financière, industrielle ou révolutionnaire, réseau d’espionnage, […], en un mot n’importe quel groupe qu’on imagine à la fois mystérieux, criminel et ramifié » (1). L’obsession du contrôle informatique pousse la Matrice à des ramifications biologiques : les puissantes machines-soldats sont des mélanges inextricables de fibres animales et de connexions informatiques, reflétant la philosophie de la créature tentaculaire, tour à tour calmar géant et poulpe colossal. Se mêlent aussi dans ces créatures biomécaniques toute la complexe organicité de l’insecte. Ainsi, une sensibilité proche de la tique apparaît dans le « mouchard » ; une ressemblance frappante avec le calmar géant dans la « sentinelle » ; ou encore l’évidence de la pieuvre géante dans l’image nourricière des « cultivatrices ».

 

Réseaux tentaculaires de la Matrice

 

Thomas Anderson/Néo (Keanu Reeves), jeune citoyen ordinaire, sans doute un peu plus doué qu’un autre en informatique (programmeur dans une entreprise de logiciels et hacker à ses heures perdues), suit un jeu de piste se référant explicitement à Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll – Follow the white rabbit lui murmure un message informatique – qui doit le conduire à Morpheus (Laurence Fishburne), le chef de la rébellion contre la Matrice informatique. Il se fait appréhender dans son bureau par des agents de la Matrice (plusieurs avatars du même acteur, Hugo Weaving), qui le maîtrisent sans ménagement et lui infiltrent par le nombril un « mouchard » (20ème minute) [01].

Le « mouchard » est une sorte de puce informatique, à entendre dans sa double acception : celle d’un virus informatique, il va sans dire, mais aussi celle d’un parasite animal. Cette créature biomécanique évoque, par son irrépressible désir de succion, la tique héritée des travaux du savant allemand Jacob Von Uexküll : « Lorsque la femelle a été fécondée, elle grimpe à l’aide de ses huit pattes jusqu’à la pointe d’une branche d’un buisson quelconque pour pouvoir, d’une hauteur suffisante, se laisser tomber sur les petits mammifères qui passent ou se faire accrocher par les animaux plus grands. […] S’il tombe sur quelque chose de chaud (ce que décèle pour lui un sens affiné de la température), il a atteint sa proie, l’animal à sang chaud, et n’a plus besoin que de son sens tactile pour trouver une place aussi dépourvue de poils que possible, et s’enfoncer jusqu’à la tête dans le tissu cutané de celle-ci. Il aspire alors lentement à lui un flot de sang chaud » (2). La seule raison d’être de la tique est donc de parasiter un mammifère à sang chaud pour survivre, opération qui sera répéter sans fin jusqu’à la réussite finale.

L’effrayante tique de Jacob Von Uexküll et le « mouchard » de Matrix semblent s’accorder dans une même nécessité biologique – s’immiscer dans le corps humain : la créature biomécanique afin de contrôler Néo, l’insecte des champs afin de sucer du sang chaud. Les deux créatures sont des parasites de l’homme, qui menacent sa santé : la tique (porteuse de la maladie de Lyme) peut être enlevée à l’aide d’une pince et de chloroforme alors que le « mouchard » espion de la fiction hollywoodienne s’extrait du nombril de Néo à l’aide d’un pistolet-ventouse.

Après avoir rejoint Morpheus, Néo voyage dans le vaisseau des rebelles à travers les immenses canalisations des villes humaines rasées par la Matrice. Ils sont alors repérés par une « sentinelle », le gardien vigilant de la Matrice, à mi-chemin entre une machine-espion hérissée de capteurs et un calmar géant. Le vaisseau rebelle tente de se dissimuler, et se cache dans une sombre cavité, tout en prenant soin d’éteindre ses lumières. Ainsi postés, Néo et Morpheus observent la « sentinelle » (55ème minute) [02].

La « sentinelle » est le programme le plus véloce et le plus agressif de la Matrice : c’est un chasseur-né, programmé pour éradiquer toute intrusion humaine. Le surnom donné par les rebelles à cette créature est « squiddy », terme intraduisible mais qui reprend néanmoins la racine « squid », c'est-à-dire le calmar. Tout, dans la Matrice, converge vers une évolution aquatique, jusqu’aux humains qui pour servir de source énergétique aux machines sont réduits en esclavage dans un liquide amniotique. Pas étonnant, dés lors, que les machines générées par la Matrice se soient adaptées à ce régime aquatique, en épousant la forme fuselée et aérodynamique des calmars géants. Pour les frères Wachowski, l’agressivité animale de la « sentinelle » passe par un rapprochement avec la technique de propulsion spécifique du calmar géant Architeuthis dux lors de sa fuite, qui semble curieusement se mouvoir en arrière.

Cette « sentinelle » apparaît dans le film comme une réponse animale proposée par la Matrice à la surveillance contrôlée des ruines humaines, et reproduit assez fidèlement la figure très en vogue du calmar géant du genre Architeuthis dux : si le film n’a pas pu s’inspirer des célèbres clichés photographiques du scientifique japonais Tsunemi Kubodera (Septembre 2004), l’animal s’était déjà débarrassé de ses oripeaux mythiques depuis l’épidémie d’échouages sur les côtes de Terre-Neuve et du Labrador (1871-1879) et le spectaculaire spécimen de dix mètres étudié en Norvège puis exposé au Muséum de Ranheim (1954) [03]. « Squiddy » est l’arme ultime de la Matrice, doté d’un super-œil rougeoyant, mieux armé que l’œil humain pour voir, dernier coup de chapeau au calmar géant Architeuthis dux qui possède les plus gros yeux du règne animal.

Dans son apprentissage au côté de son maître Morpheus, Néo apprend à suivre la « voie du samouraï » par une doctrine qui tendrait à « dépolluer » son esprit des dangereuses illusions de la Matrice. Ainsi, une séquence troublante nous dévoile le terrible aspect du Monde réel : dans un état de ruines indescriptible, les villes irradiées sont l’assaut d’immenses pieuvres biomécaniques, les « cultivatrices », qui surveillent la gestation de milliers d’humains enfermés dans des sortes de couveuses prénatales. Les humains fournissent tout un stock biologique, qui dans un curieux retournement de situation, se trouve être la seule énergie nécessaire à la survie des multiples machines générées par la Matrice (41ème minute) [04].

Un rapprochement clair peut être opéré entre « les cultivatrices » de Matrix, en meute animale très serrée, et les hordes de tripodes extraterrestres envahissant la terre dans La guerre des Mondes (1898) d’H. G. Wells : « Alors que la pieuvre est un être benthique plutôt solitaire, sa confusion récente avec le calmar géant pélagique explique que l’on trouve des bataillons de poulpes dans les récits d’aventures fantastiques et dans les romans d’anticipation, depuis les ouvrages fondateurs que constituent « La guerre des Mondes » (H.G. Wells, 1898) et « Le prisonnier de la planète Mars » (Gustave Le Rouge, 1908) » (3). Un extrait tiré de La guerre des Mondes révèle ce mélange indécidable entre l’organique du céphalopode et le fer de la machine, deux revêtements intrinsèquement liés : « Quel spectacle ! Comment le décrire ? Un monstrueux tripode, plus haut que plusieurs maisons, enjambait les jeunes sapins et les écrasait, dans sa course ; un engin mobile, de métal étincelant, s’avançait à travers les bruyères ; des câbles d’acier, articulés, pendaient aux deux côtés, l’assourdissant tumulte de la marche se mêlait au vacarme du tonnerre. Un éclair le dessina vivement, en équilibre sur un de ces appendices, les deux autres en l’air, disparaissant et réapparaissant presque instantanément, semblait-il, avec l’éclair suivant, cent mètres plus près » (4). Une illustration de La guerre des Mondes d’H.G. Wells [05] suffit à trahir la source d’influence des « cultivatrices » du film.

Les tentacules des innombrables « cultivatrices » qui peuplent le chaos urbain de Matrix, de longs tuyaux oranges et phosphorescents, sont associés à une vie primitive, en gestation, celle des milliers de corps humains tenus en esclavage : une énergie première qui sert à alimenter toute la batterie de machines générées par la Matrice. La pieuvre biomécanique de Matrix, de par son contrôle nourricier sur les fœtus humains, acquiert une véritable autonomie, celle qui prévalait déjà dans les hordes de tripodes de La guerre des Mondes : quittant son milieu aquatique naturel, le céphalopode évolue désormais à ciel ouvert dans le sombre champ de ruines irradié par la Matrice. « A partir de tels ouvrages, la double nature aquatique et terrestre de la pieuvre (elle se déplace sur les rochers plus qu’elle ne nage) lui permet de hanter dorénavant l’espace continental ou extra-terrestre, sous des formes biologiques ou mécaniques variées » (5). L’espace urbain irradié, à défauts de mutants ou de zombies, est souvent colonisé par des monstres poulpeux dans les récits de science-fiction, et le tentacule reste l’appendice de référence des créatures biomécaniques, se diversifiant à travers Matrix dans un même asservissement de l’humanité : tour à tour arme prédatrice (le mouchard), œil de surveillance (la sentinelle) ou cordon ombilical (les cultivatrices).

 

Réseaux piratés : le nouveau statut du spectateur 3D

 

Le MCP de Tron, dans toute sa mégalomanie bouffonne, contraignait son hôte (Jeff Bridges) à un parcours vidéoludique où le game over signifiait la mort. Son activité de sujet agissant lui était alors reniée : pire qu’une simple pièce sur le grand échiquier informatique, il devenait ce je-ne-sais-quoi qui menace le système, un dangereux virus à éradiquer. Le spectateur de 1982 goûtait sur grand écran à cette inversion carnavalesque, le réel devenant virtuel, l’humain devenant l’entité intrusive d’une borne d’arcade géante dont la mythique course de motos demeurait le parangon.

Presque trente années après Tron, James Cameron prédit aussi un sombre avenir à l’homme du règne informatique : celui d’un geek, exemplairement avec le marine Jake Sully (Sam Worthington) pressé de quitter son enveloppe charnelle abîmée par la tétraplégie pour se connecter à la potentialité débordante de son avatar Na’vi. Le cheminement est inverse dans Matrix, car l’homme ne choisit pas librement le sevrage informatique, à l’image du réveil cauchemardesque de Néo baignant dans le liquide amniotique d’une couvaison imposée par la Matrice. Néanmoins, la figure du geek s’impose une nouvelle fois, les rebelles étant tous des hackers surdoués cherchant à pirater la Matrice, à l’image des deux réalisateurs déjouant sans cesse les codes de leur gros film d’action hollywoodien.

Les frères Wachowski, en véritables enfants de l’ère informatique, s’amusent de toutes les nouvelles expérimentations techniques : si beaucoup ont glosé sur la paternité ou tout simplement la finalité de l’effet bullet time, peu ont relevé les diverses déclinaisons du motif du pixel ou la boucle vidéoludique proposée par une nouvelle version du chat de Schrödinger, décryptée par les rebelles comme un bug informatique de la Matrice. Etouffant et tentaculaire, le triste monde de Matrix appelle un apaisement, une coloration, contre-proposition esthétique relevée de mains de maître par les deux frères avec le très audacieux et bien solitaire Speed racer (2008) : l’arène virtuelle n’est plus réseau mais lignes de fuites, vitesses et transversalités. Fidèle à la pensée deleuzienne, l’espace strié de Matrix fait écho à l’espace lisse de Speed Racer, à la grande réjouissance visuelle du spectateur, très gâté par l’imaginaire virtuel et virtuose des frères Wachowski.

 

 

 

(1) Roger Caillois, La pieuvre. Essai sur la logique de l’imaginaire, Editions de la Table ronde, 1973. p. 15.

(2) J. V. Uexküll, Mondes animaux et monde humain, Editions Denoël, 1965. Chapitre I, « La tique et son milieu », p.18.

(3) Jean Arnaud, « Entrelacs et ruses de la pieuvre, d’Alain Séchas à Jeff Wall », in. « Animaux d’Artistes », Figures de l’art 8, dirigé par Bernard Lafargue, Publications de l’Université de Pau, Janvier 2005. p. 348.

(4) H.G. Wells, La guerre des Mondes , Editions Gallimard, 1898. 2005 pour la présente édition. p. 26.

(5) Jean Arnault, op. cit. p. 349.

Florent Barrère

 

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