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Chronique DVD : Premier Contact  

Premier Contact
(Denis Villeneuve, 2016)

L’encre de tes yeux

par Florent Barrère le 10.04.17

Inspiré de la nouvelle fantastique L’histoire de ta vie (1), le film Premier Contact (2016) de Denis Villeneuve, incursion réussie du cinéaste canadien sur les terres neuves de la science-fiction, mêle habilement à l’intrigue rebattue de l’invasion extraterrestre une sous-intrigue militaire mâtinée de mélodrame métaphysique. Le film, dans son premier niveau de lecture, relate les tentatives de communication entre un couple de chercheurs et un couple de créatures extraterrestres. Les formes de vie d’origine inconnue se sont posées en plusieurs points de notre Terre sans que l’on sache leur véritable intention ; le titre américain Arrival (2) faisant explicitement référence à ce moment clef de l’atterrissage.

Pourtant, première source de surprise d’une intrigue qui en réserve de nombreuses, ces extraterrestres n’ont certainement pas vu les blockbusters hollywoodiens, car ils ne rasent ni la Maison Blanche, ni la statue de la liberté ou autres subtilités du même genre, mais atterrissent en plusieurs points du globe dont une zone rurale et brumeuse du Montana où ils semblent enclins à communiquer, apprendre de l’autre, et même à échanger un « outil » qui fondera toute la dialectique du film.

L’invasion extraterrestre

L’entrée dans le vaisseau embrasse le point de vue interne de la linguiste Louise Banks (excellente Amy Adams) qui nous fait vivre sensoriellement cette première rencontre : jambes tremblantes, souffle saccadé, buée de la respiration sous le casque [01].La focalisation interne permet une réelle empathie, et le spectateur partage pleinement cette crainte vis-à-vis de l’Autre, cette ignorance face à un nouveau monde qui se réduit pour l’instant à un vaisseau sombre à la sécheresse minérale.

Denis Villeneuve, par la précision de sa mise en scène, nous plonge en pleine « suspension volontaire de l’incrédulité » (3), notion théorisée en 1817 par Coleridge qui permet au public de faire abstraction de la réalité et d’appréhender les règles inhérentes à la fiction. Ainsi, les phénomènes extraterrestres s’enchâssent parfaitement dans la réalité terrestre, respectant à la lettre nos règles atmosphériques : la gravitation universelle est toujours présente mais inversée et un canari en cage (4) prouve par ses piaillements que l’air n’est pas vicié dans le sas de rencontre. La crédibilité de cette première rencontre extraterrestre est soutenue par l’étirement des plans et la musique dissonante et solennelle de Jóhann Jóhannsson. Le premier contact, titre-même du film et séquence-pivot, se fait ainsi par le filtre d’une surface vitrée. Frontière translucide, la vitre est la parfaite synecdoque du protocole scientifique : entre l’humain et l’extraterrestre, qui observe réellement ? Qui étudie l’un ? Qui est le cobaye de l’autre ?

Les extraterrestres du film sont modélisés de manière très réaliste et se rapprochent en bien des points des calmars géants : même silhouette élancée qui se retrouve aussi dans l’élégante forme oblongue des vaisseaux, même jet d’encre au fondement de leur subtile communication non articulée (5), même corps mou et élastique, même longs tentacules. Les « heptapodes », de l’étymon grec hepta/podos (« sept pieds »), sobriquet accordé par les scientifiques aux énigmatiques aliens à sept tentacules, seront plus astucieusement humanisés en Abbott et Costello, en référence au célèbre duo comique américain !

En effet, les créatures extraterrestres n’ont pas huit ou dix tentacules mais seulement sept appendices, cinq bras courts se référant aux cinq doigts de la main (qui soutiennent le stylo plume et permettent ainsi d’écrire) et deux bras longs évoquant les deux fouets du calmar géants (d’où s’échappent l’encre de la plume qui est nécessaire à leur graphie) [02]. Conformément à l’Ogru-Jahad esquissé par Guillermo Del Toro dans Hellboy (2004), et reprenant en cela l’esthétique lovecraftienne des créatures tentaculaires tel le mythique Cthulhu, l’heptapode n’a ni bec terrible et tranchant, ni yeux noirs et globuleux, mais un corps lisse d’autant plus troublant qu’il semble impénétrable. L’absence d’œil s’avère un choix sobre et pertinent de la part du cinéaste Denis Villeneuve, là où l’auteur de la nouvelle originale Ted Chian n’hésitait pas à doter son heptapode de dix petits yeux noirs ! Ces corps lisses et glabres semblent opaques à toute adhésion spectatorielle, ce qui est fort déstabilisant pour les scientifiques et le spectateur, mais avant tout pour les militaires qui angoissent face à la menace potentielle sécrétée par l’Autre, et relayée par les gros titres, la rumeur journalistique et le flux internet crescendo.

Ainsi, les créatures poulpeuses de Premier Contact rejoignent dans la filmographie de Denis Villeneuve les araignées héritées de Louise Bourgeois qui étaient cauchemardées par Jake Gyllenhaal dans Enemy (2013), sympathie de structure entre les deux formes animales qui a déjà été pressentie par Roger Caillois : « La pieuvre se présente à l’œil naïf comme une araignée gigantesque et visqueuse, plus redoutable peut-être d’habiter un autre milieu et de se tenir non pas au centre d’un piège, mais d’être d’une certaine façon piège elle-même. Elle est à la fois la toile qui paralyse et le monstre qui dévore. Elle possède le même nombre de « pattes » ou de « bras » que l’araignée, mais souples, non articulés. Comme celle-ci, elle se tapit et elle guette. » (6)

La méprise militaire

Toutefois, et c’est sans doute l’un des bémols de ce grand film, un dû semble à payer au film de genre pour que le projet apparaisse plus bankable : l’intrigue militaire. Ainsi, comme dans tout bon Independance day (1996) ou Mars Attacks ! (1996), les vaisseaux extraterrestres lévitent en plusieurs points de la Terre. Seulement, le positionnement semble beaucoup plus aléatoire, ces nouveaux aliens préférant aux métropoles américaines ou occidentales des zones plus neutres et donc propices au contact avec la civilisation humaine : un désert caillouteux, un océan, une plaine embrumée, etc. Mais l’armée est tout de mêmeen alerte maximale et cherche à parer les éventuelles vindictes extraterrestres. Forest Whitaker, après le général rebelle Saw Gerrera dans Rogue One (2016)de Gareth Edwards, incarne une nouvelle fois un militaire aux intentions opaques au côté d’un Michael Sthulbarg plus retors.

Ainsi, le rhème « outil » évoqué par les extraterrestres, véritable McGuffin de l’intrigue, sera diversement interprété par les institutions : considéré comme une « arme » par la faction armée (Forest Whitaker, Michael Sthulbarg), il se révélera être un « don » de préscience pour les scientifiques plus ouverts d’esprits (Amy Adams, Jeremy Renner). Cette notion d’« outil », comme synecdoque du langage extraterrestre, prouve qu’un même code peut être interprété de deux façons différentes : d’une manière pacifique (les scientifiques) ou belliqueuse (l'armée). Sentant cette divergence de point de vue envers l’Autre, et perdant leur crédibilité face à l’équipe scientifique, les militaires ripostent et posent une bombe qui explosera dans le vaisseau alien, colorant ainsi la relation finale d’une dimension macabre.

Le dernier segment du film, au montage plus précipité et aux relents d’actioner movie,charte graphique du film hollywoodien oblige, demeure tout de même fort instructif car Louise Banks accède à l’aquarium des visiteurs et voit les heptapodes évoluer dans une atmosphère brumeuse propre à leur survie. Vivaces, ils semblent même se propulser avec la prestance et la vélocité des calmars géants.

Tout comme les décapodes et les octopodes dans les représentations artistiques, les heptapodes demeurent lovecraftiens car puissamment rattachés à la symbolique de la mort, comme le prouve la dernière communication désabusée entre les deux parties suite à l’explosion de la bombe posée par les militaires : « Abbott est processus de mort » induit amèrement la linguiste de l’ultime tâche d’encrée léguée par l’alien survivant.

Cette méprise langagière sur le sens du rhème « outil » permet à Denis Villeneuve de creuser le travail sémiologique inhérent au métier de linguiste. Entre les deux théoriciens, la linguiste et le physicien, Amy Adams et Jeremy Renner, Denis Villeneuve choisit clairement son camp : la linguiste devient sa « machiniste » (7) et c’est par elle que nous accédons à la langue secrète des aliens. Ainsi, le sobre personnage de physicien incarné par Jérémy Renner n’a le droit qu’à la part congrue des dialogues. Il apporte néanmoins un contrepoint terre-à-terre à la verve sémiologique de sa collègue linguiste, instaurant ainsi un dialogue platonicien et inquiet sur les réelles motivations de cette visite extraterrestre [03].

La boucle temporelle

La subtilité d’une communication extraterrestre par complexes jets d’encre, option retenue par Denis Villeneuve et l’auteur de la nouvelle originale Ted Chiang, surprend et réjouit, car nous étions davantage en droit de nous attendre de la part de ces calmars géants de l’espace à une communication par bioluminescence (à l’aide des chromatophores retenus sur leurs peaux), se calant par exemple sur le rythme stroboscopique de la communication extraterrestre pérennisée par Steven Spielberg dans Rencontre du troisième type (1977). Mais la surprise ne s’arrête guère là, l’encre n’étant pas émise par le bec du calmar mais par l’extrémité de ses tentacules, lâchant ainsi des nuages noirs qui se solidifient en labyrinthes cycliques, à la croisée des chemins entre le test de Rorschach et l’Ouroboros de la mythologie nordique. Le signe encré des extraterrestre est un glyphe complexe, qui se matérialise en un cercle composé de plusieurs motifs sans début ni fin, apparemment sans queue ni tête pour les scientifiques décontenancés. Pourtant, cet amas de glyphes sans cesse continué attisera en nous une fascination sémiologique et le désir irrépressible de décoder, de traduire les énigmatiques cercles d’encre.

Les glyphes portent tous sur la notion philosophique du temps et son appréhension dans l’univers. Selon l’hypothèse de Sapir-Whorf (8), la langue que nous apprenons façonne notre cerveau et donc la représentation que nous nous faisons du monde. Ainsi, adoptant un système communicationnel cyclique, les aliens ont une perception temporelle totalement déconstruite, a-linéaire, sans début ni fin. Le fameux « outil » offert par les aliens se révèle alors être un don inestimable pour la scientifique Louise Banks : appréhender le temps comme un tout cyclique, en trois dimensions, et non comme un écoulement linéaire et chronologique, en deux dimensions. D’ailleurs, la mère de famille léguera à son unique enfant le prénom d’« Hannah », un palindrome, c’est-à-dire un mot que l’on peut lire aussi bien à l’endroit qu’à l’envers.

En décodant patiemment une langue alien qu’elle enseignera plus tard à l’Université, Louise Banks n’est plus soumise au temps linéaire mais parvient à le transcrire, à le maîtriser, percevant ainsi intensément sa vie comme une trouée de flash-backs et de flash-forwards. Pourtant, malgré cette précieuse préscience, Louise Banks ne choisira pas d’éviter sa destinée mais de vivre intensément les incidents de parcours induits par les flash-forwards : se marier avec le physicien malgré l’inévitable rupture affective, donner naissance à sa fille malgré sa mort programmée. Le fait de vouloir vivre sa propre vie, « l’histoire de ta vie » pour reprendre le titre de la nouvelle originale de Ted Chiang, teinte la relation d’un fatum qui fait sans crier gare basculer le mélodrame amoureux vers la tragédie grecque. Louise Banks, transcendée par le don sémiologique des aliens, préférera l’expérience affective de la vie, avec ses accords et désaccords, à une trajectoire parfaite. Le choix émotionnel et cyclique de l’amour et de la connaissance alien s’avèrera plus noble que l’ignorance militaire et les incidents tragiques (divorce, mort) et platement linéaires qui émaillent le cours d’une vie.

À travers ce film de science-fiction mémorable, Denis Villeneuve semble réaliser le véritable fantasme de tous les amateurs de céphalopodes : qu’adviendrait-il si le lent processus d’évolution n’avait pas favorisé l’ordre des primates (les grands singes et les humains) mais l’ordre des mollusques (poulpes, calmars, et évidemment heptapodes de la fiction) ? Qu’adviendrait-il si le tentacule avait remplacé la main ? La boucle la ligne ? Le temps le territoire ? Les extraterrestres tentaculaires de Denis Villeneuve et Ted Chiang ne semblent ni dénués d’intelligences, ni de moyens de communications, ni de sagesses. Et si c’était finalement à leur tour de supplanter notre agressivité territoriale trop humaine par la quiète apesanteur de leur monde encré et vaporeux de mollusques ? Deux règnes essentiels du vivant (les primates et les mollusques, les vertébrés et les invertébrés) se toisent, se défient, s’affrontent parfois, mais apprennent avant tout à communiquer, échanger et s’apprécier.

Après un film aussi profond et formellement réussi que Premier Contact, nous sommes dorénavant confiants face aux deux prochains projets de science-fiction que Denis Villeneuve portera sur ses épaules : Blade Runner 2049 (2017) ouvrira le bal avec la confrontation métaphysique entre l’animé (l’humain) et l’inanimé (le Replicant), et la réitération cinématographique du Dune de Frank Herbert permettra au cinéaste à travers le personnage du Navigateur de la Guilde (créé naguère au cinéma par le prothésiste Carlo Rambaldi dans le film de David Lynch) de se confronter à une nouvelle entité tentaculaire et prophétique.

Notes :

(1) Ted Chiang, « L’histoire de ta vie » (1998), in. La Tour de Babylone, Editions Denoël, 2002.

(2) Ce titre fait aussi penser à un bon petit film de série B, The Arrival (1996) de David Twohy, où les aliens se dissimulaient sous une apparence humaine !

(3) Samuel Taylor Coleridge, Biographia Literaria, 1817.

(4) Les canaris étaient amenés auparavant par les mineurs au fond des mines pour prévenir des fuites de gaz toxique. En effet, l’oiseau mourrait avant l’homme !

(5) Toutefois, les heptapodes émettent des sons puissants et gutturaux proches de ceux des Cétacés qui font à merveille écho à la partition abrupte de Jóhann Jóhannsson.

(6) Roger Caillois, La pieuvre. Essai sur la logique de l’imaginaire, les Editions de la Table Ronde, 1973. p. 132.

(7) Nous empruntons cette jolie opération de substitution entre l’auteur et son personnage principal à Beaumarchais dans la « Lettre sur la chute » du Barbier de Séville (1775).

(8) Edward Sapir, Selected Writings in Language, Culture, and Personality, University of California Press, 1985.

Florent Barrère

 

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