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Chronique : The Haunting of Hill House  

The Haunting of Hill House
(Mike Flanagan, 2018)

Les fantômes intérieurs

par Michaël Delavaud le 13.07.20

Réalisateur, scénariste, monteur, dans une moindre mesure producteur, Mike Flanagan est l'un des véritables auteurs d'un cinéma de genre en cours de rénovation majeure et accédant peut-être à un nouvel « âge d'or », pour lequel le cinéaste sera sans conteste l'un des éléments majeurs. Auteur d'une dizaine de longs-métrages (mais il commença à se faire remarquer à partir de son quatrième film, Absentia [2011]), il s'avère que son chef-d'œuvre, la fiction qui contient en elle toutes les obsessions de son travail est une série télévisée, The Haunting of Hill House (2018). Mélangeant les temporalités et les niveaux de réalité, les superposant en générant ainsi divers dispositifs spéculaires aussi spectaculaires que bouleversants, cultivant une éthique formelle discrètement virtuose faisant de la mise en scène et du montage un personnage à part entière (c'est autant par le récit que par la mise en scène d'un espace étonnamment aussi vide que plein que Hill House semble être un corps pourvu d'yeux, comme l'explicite l'affiche française de la série), faisant de l'horreur et de l'épouvante un genre propice au déploiement du mélodrame familial (et inversement), The Haunting of Hill House est une somme. Une somme sur laquelle nous allons nous pencher, et qui nous permettra de défricher l'ensemble de l'œuvre de ce cinéaste de plus en plus important qu'est Mike Flanagan.


Un labyrinthe hanté

The Haunting of Hill House est un mille-feuilles narratif, encastrant les unes dans les autres un certain nombre de strates temporelles jusqu'à créer une sorte de labyrinthe narratif dans lequel se perdent tout autant les spectateurs de la série que ses personnages déboussolés, croyant dur comme fer ou, au contraire, ne souhaitant pas croire à ce qu'ils voient (ceci est l'une des grandes questions du travail de Mike Flanagan, ceci depuis Absentia : le surnaturel, le paranormal sont-ils des vues de l'esprit ou un réseau d'événements réels trop difficiles à assimiler pour ne pas être refoulés, donc obturés ? Ou pour le dire autrement : qu'est-ce qui sépare la folie de la croyance en un intangible ?). Cette idée de la perte de repères est assumée par Flanagan dès le générique de la série, montrant la demeure traumatique représentée comme un labyrinthe dont les protagonistes du programme ne parviennent pas à sortir, que ce soit spatialement ou temporellement, la demeure exerçant son emprise jusqu'à l'âge adulte des personnages.

Que raconte The Haunting of Hill House ? Une hantise, justement. Ou plutôt une ensemble de hantises, une hantise prenant diverses formes, de la plus classique aux plus symboliques. Dans le courant des années 1990, la famille Crain emménage pour l'été à Hill House, demeure aux allures de manoir que le père, Hugh (Henry Thomas), envisage de restaurer afin de la revendre. Il est marié à Olivia (Carla Gugino) ; les époux ont cinq enfants : Steven, Shirley, Theodora, Luke et Eleonor. Dès les premières nuits, la maison fait resurgir ses fantômes (au sens propre du terme), travaille l'esprit des habitants du lieu, ceci jusqu'à pousser Olivia au suicide, et Hugh à endosser les secrets inhérents à cette mort et au maléfice de Hill House. Dix-huit ans plus tard, les vies des six derniers membres de la famille sont encore influencées par la maison et par ce qu'elle a provoqué. Mais voilà que les spectres de Hill House resurgissent dans leurs vies respectives et obligent la famille Crain distendue à se retrouver dans des circonstances tragiques.

La série de Flanagan est un aboutissement : le motif de la maison hantée traverse sa filmographie de part en part, tout en faisant du fantôme un être constamment surprenant. Le fantôme d'Absentia n'est pas un mort mais Daniel (Morgan Peter Brown), le mari de Tricia (Courtney Bell) disparu depuis sept ans et présumé mort ; l'envahisseur du thriller Pas un bruit (Hush, 2016) est moins un fantôme qu'un psychopathe cherchant à pénétrer la maison d'une sourde-muette afin de la tuer sans raison (drôle de home invasion, où l'angoisse provient justement du fait que la menace rôde autour de la maison plutôt que dans le lieu, alors même que le criminel est capable d'y pénétrer comme le prouve le début du film) ; le fantôme-monstre de Ne t'endors pas (Before I Wake, 2016) est une projection, hante la maison du petit Cody (Jacob Tremblay) car il hante avant tout ses rêves, rêves que le petit garçon a le don incontrôlé de concrétiser dans le réel ; les esprits de Ouija : les origines (Ouija : Origin of Evil, 2016) sont multiples et hantent moins la maison qu'ils ne possèdent le corps de la petite Doris (Lulu Wilson, gamine époustouflante qui interprète aussi Shirley adolescente dans The Haunting of Hill House).

Cette hantise du corps et de l'esprit se retrouve bien entendu dans le dernier film en date de Flanagan, Doctor Sleep (2019), adaptation du roman de Stephen King où l'auteur créait la suite de Shining du point de vue de Danny Torrance devenu adulte. The Haunting of Hill House semble se calquer sur le récit en diptyque de King : ils racontent tous deux un lieu habité par une famille dont le personnage de père à la charge (de l'Overlook qui'l faut faire survivre tout l'hiver à Hill House qui doit être restaurée en un été), où l'un des éléments de la parentèle perd sa raison puis sa vie (Jack Torrance chez King, Olivia Crain chez Flanagan) et où l'emprise du lieu s'exerce jusque dans les âges adultes des enfants qui l'ont subi dramatiquement dans un premier temps (de Shining à Doctor Sleep chez King, de l'enfance à l'âge adulte mêlés par la narration chez Flanagan). L'idée du labyrinthe dans le générique de la série de Mike Flanagan n'est finalement qu'un lien supplémentaire entre le paradigme Shining (l'adaptation magistralement traîtresse de Kubrick) et The Haunting of Hill House.


Le miroir et le manoir

L'emprise maléfique de la maison sur l'esprit des enfants Crain est du même ordre que celle exercée par le miroir sur les deux personnages de The Mirror (Oculus, 2013 [nous privilégierons le titre original]), film à la profonde beauté tragique dont The Haunting of Hill House peut être vu comme une version augmentée. Ce film raconte l'histoire de Kaylie et Tim (interprétés par Karen Gillian et Brenton Thwaites), sœur et frère cherchant à détruire un miroir maléfique ayant tué leurs parents ; ce miroir prend le pouvoir sur le psychisme de ceux qui s'y mireraient trop longtemps, pousse ses victimes à la mort et conserve leur âme (et leur corps, prenant l'allure d'un reflet d'autant plus toxique qu'il ne montre pas une simultanéité mais bel et bien un passé révolu et morbide). Hill House est une sorte de double de ce miroir surpuissant. Double car l'objet et le lieu refusent l'un comme l'autre de se laisser détruire (les coups assénés au miroir par les deux personnages d'Oculus ne laissent pas de traces sur l'objet à la fragilité feinte ; la tentative d'incendie de Hill House par Luke [Oliver Jackson-Cohen] semble étouffée par le souffle vivant de la maison), allant même jusqu'à se défendre (tant le miroir que la maison manipulent leurs assaillants malveillants à leur encontre pour les pousser à la mort). Double, aussi, car l'emprise de Hill House déborde du lieu même pour envahir voire gangréner le temps, les fantômes du passé surgissant bien après les événements traumatiques de l'enfance.

De ce point de vue, The Haunting of Hill House est un regard perpétuel vers l'époque mal digérée passée dans une grande maison aux allures de mémoire de bois et de pierre, une mémoire qui influence la vie de tous les personnages et vers laquelle on est nécessairement menés à revenir pour la mieux exorciser. Là où la série excède finalement Oculus (et le reste de la filmographie de Mike Flanagan), c'est que cette mémoire ne se réveille pas en présence du lieu ou de l'objet maléfique (par ailleurs, dans Oculus, le lieu n'est pas par essence vicié, c'est l'objet qui transforme l'espace en danger). Elle ne se réveille pas car elle ne s'est jamais vraiment endormie ; elle a oeuvré pendant toute la vie des personnages (d'où la nécessité de la durée sérielle) : le personnage d'Eleonor (interprété, adulte, par l'exceptionnelle Victoria Pedretti) voit année après année cette « Dame au cou tordu » qui a commencé à hanter sa vie dès la première nuit à Hill House ; Luke est visité enfant par les spectres qui lui dirent alors que son corps serait empoisonné jusqu'à sa mort (augure qui s'avérera vrai : Luke deviendra un héroïnomane rejeté par toute sa famille pourtant originellement protectrice) ; Shirley (interprétée, adulte, par Elizabeth Reaser) devient thanatopractrice après qu'elle a vu sa mère poussée au suicide par la maison rendue visible par l'embaumement, comme si le corps mort était devenu lui-même une mémoire. La seule mémoire défaillante est celle de l'aîné, Steven (Michiel Huisman) ; dernier enfant à avoir vu sa mère vivante le soir de son suicide, il est cependant celui qui ne voit rien, c'est-à-dire celui dont la conversation avec le passé est une imposture (il raconte l'histoire de sa famille à Hill House de façon très romancée, donc fausse). Si Eleonor et Luke continuent à voir les fantômes du passé dans leur vie adulte influencée par eux, si Shirley a ce pouvoir lazaréen de redonner post mortem une apparence de vie (même si l'apparence du corps embaumé, beau en surface mais mort et pourrissant dans ses profondeurs, est aussi fallacieuse que la vision romancée du passé des livres du frère), si Theodora (personnage très émouvant interprété par Kate Siegel) acquiert dans Hill House le pouvoir de consulter l'histoire d'un objet ou d'un corps par apposition des mains, Steven, lui, voit mais ne sait pas, est obligé de réinventer Hill House (et donc de trahir le savoir des autres) pour exister.


Du spéculaire comme mise en scène de la mémoire

Pour savoir, Steven devra revivre, et c'est l'un des grands talents de Mike Flanagan, cinéaste presque proustien : redonner corps au passé par le dispositif spéculaire. Le dernier épisode de The Haunting of Hill House est consacré à cette revisitation, tant de la demeure que du passé, par Steven accompagné de son père (Timothy Hutton), seul dépositaire de la vérité sur la mort de la figure maternelle. Ce retour à Hill House a autant valeur de révélation (au sens presque religieux du terme) que de retour du refoulé (Steven sait que la maison est hantée mais ne veut pas y croire, met les visions familiales sur le compte de l'hallucination collective). Cette idée de « retour du refoulé » est importante car elle formule un élément primordial du cinéma de Flanagan : il s'agit d'un cinéma résolument psychanalytique. Cody dans Ne t'endors pas permet à ses rêves de prendre corps, faisant du réel l'espace virtuel de son Inconscient ; dans Docteur Sleep, Danny Torrance (Ewan McGregor) a le talent de façonner dans le monde concret ses constructions mentales grâce à son shining, lui permettant de compartimenter son Inconscient et de gérer les traumatismes de son enfance pour les faire resurgir à l'envi pour combattre d'autres démons (de fait, le retour à l'Overlook dans le film de Flanagan, au-delà du geste maniériste, a exactement la même fonction que le retour à Hill House dans l'ultime épisode de la série).

Le dispositif spéculaire, figure de style récurrente chez Flanagan et que le cinéaste maîtrise à merveille, est à même de rendre compte de ce retour vers l'Inconscient et le Subconscient. Dans Jessie (2017), adaptation de Stephen King racontant l'histoire d'une femme devant survivre après avoir été menottée au lit par un amant vieillissant qui a la mauvaise idée de mourir d'une crise cardiaque, Jessie (Carla Gugino) parle à son double et au double (vivant) de son mari pourtant mort (joué par Bruce Greenwood), mais leur parle moins qu'elle ne parle à son Inconscient (révélateur d'un passé adolescent traumatique) et à son intellect (les deux personnages virtuels lui indiquant la marche à suivre pour survivre le plus longtemps possible).

Dans Oculus, l'emprise du miroir par son reflet ne s'exerce pas que face à l'objet maléfique mais par le dispositif narratif lui-même, le frère et la sœur croisant dans les couloirs et escaliers de leur maison d'enfance les êtres qu'ils furent à dix ou douze ans, comme si la maison entière était une sorte de miroir où les personnages et les temporalités renvoyaient un reflet, une image tout à la fois similaire (les personnages se voient bel et bien comme ils étaient) et complètement déformée (ils se voient comme ils ne sont plus) ; le frère et la sœur revisitent leur passé et se revoient selon le miroir déformant de la mémoire et, peut-être, de l'aliénation. Oculus est fondé sur un paradoxe (de même, finalement, que The Haunting of Hill House): rechercher la vérité dans un passé qui n'existe plus que sous la forme du reflet, simplement comprendre dans un monde sans repères où le visible a l'air réel, où le passé et le présent se rencontrent et se croisent jusqu'à abolir le temps, où le reflet a le réel pour reflet, et où le réel se dédouble dans un reflet montrant autant un présent fallacieux que des figures authentiques du passé ! De ce point de vue, la fin de l'épisode 5 de The Haunting of Hill House (qu'il serait véritablement criminel de déflorer), choc esthétique et narratif d'une puissance rare et apothéose du travail sur le spéculaire de Flanagan, est peut-être le moment le plus vertigineux de toute sa filmographie, mettant en scène de façon déchirante cette idée du reflet, non pas ici figurée par l'objet miroir mais par cette conception métaphysique selon laquelle le passé, le présent et le futur se reflètent les uns les autres tout au long de la fiction, faisant de la vie des personnages une sorte de galerie des glaces dans laquelle il est impossible de ne pas se perdre comme dans un cauchemar carrollien.


Un cinéma traumatisé

Cette façon de mettre en scène la rétrospection, le retour du refoulé rend visible ce qu'est finalement le cinéma d'horreur de Mike Flanagan : un cinéma traumatisé, où le traumatisme se doit d'être enfoui (comme on cache la poussière sous un tapis) pour empêcher la souffrance des personnages mais où la résurgence du trauma fait souvent autant voire plus de mal. La carrière de Flanagan est emplie de mélodrames familiaux (à l'exception notable de Pas un bruit) qui n'ont du cinéma d'épouvante que l'apparence. Mieux : ce sont les éléments horrifiques qui rehaussent encore la dimension tragique des récits de Flanagan. Les spectres de ses films ne sont souvent que des morts en souffrance ou des signes de la souffrance des survivants. Le cinéma de Flanagan est un cinéma endeuillé.

Les visions de Daniel qu'a Tricia dans Absentia sont moins spectrales que mentales (on ne sait même pas si Daniel est mort), mais les apparitions témoignent autant des souffrances qu'a subies le disparu durant son absence que du chagrin que celle-ci a provoqué à Tricia et de la culpabilité qu'elle peut ressentir face à son envie de tourner la page et de se mettre en couple avec un autre homme. De fait, Absentia, film aussifauché qu'habile, doit autant à l'horreur lovecraftienne qu'à une épouvante mélodramatique de Kiyoshi Kurosawa.

Dans les autres films de Flanagan, les spectres sont des signes de chagrin : les spectres violents d'Oculus sont réveillés par les deux personnages principaux qui veulent exorciser le deuil de leurs parents (ne peut-on pas voir l'idée de la réflexivité impliquée par le miroir et par la narration du film comme une parabole sur le deuil impossible, un regard en arrière toxique phagocytant l'esprit et la sérénité des personnages ?). The Canker Man, le monstre vivant dans l'esprit du petit Cody dans Ne t'endors pas et hantant la maison de ses parents adoptifs (les rêves du garçonnet réveillant par ailleurs la douleur de la perte de leur propre petit garçon), n'est qu'une forme de refoulement de la mort de sa mère et de l'apparence physique de cancéreuse rendue au stade terminal de cette maman lorsqu'il la vit pour la dernière fois. Les esprits de Ouija : les origines sont des êtres en souffrance, Juifs torturés et tués par un tortionnaire nazi à la sortie de la guerre dans le sous-sol de la maison de la famille Zander, le tortionnaire étant lui-même une sorte de démon possédant l'enveloppe de la petite Doris par le truchement d'un miroir (encore une fois, le reflet s'avère le révélateur d'un passé, historique ou personnel, chargé de ses morts). Les visions de Jessie dans le film éponyme sont autant impliquées par sa situation au présent (elle est attachée sur un lit sans solution pour s'en libérer) que par le deuil de son enfance à cause d'un père à la main baladeuse et qui, de fil en aiguille, l'a conduite à se retrouver menottée à la tête de lit. Danny Torrance dans Docteur Sleep (titre impliquant lui-même l'alliance de Conscience et d'Inconscient, la capacité du personnage à arpenter l'inconnu du monde cérébral) est bien entendu lui-même influencé par le traumatisme vécu à l'Overlook connu de tous et par la mort du père (la scène réflexive du retour à l'hôtel a la même fonction que les reflets de miroirs dans Oculus ou dans Ouija : les origines : revisiter le passé pour tenter de l'exorciser et/ou pour en perpétuer le mal). Dans une autre mesure, dans Pas un bruit, le personnage de sourde-muette Sarah (Kate Siegel, femme de Flanagan et co-scénariste sur ce film) transfigure son handicap par la lutte contre le tueur sadique qui cherche à pénétrer sa maison (et interprété par John Gallagher Jr.) ; le combat est autant contre le tueur que contre le deuil de sa vie d'avant le handicap.


Hauntings

Comme nous l'avons dit, The Haunting of Hill House est une somme des thèmes chers à Mike Flanagan. La série est en effet une sorte de cathédrale narrative dont le véritable fil rouge est le deuil et son impossibilité face aux secrets et non-dits en tous genres. Les spectres hantant Hill House, dont nous connaîtrons l'histoire au fil du déroulement de la série, sont des êtres en souffrance, physique (comme le garçon en fauteuil roulant ou la grand-mère alitée) ou morale (Poppy [Catherine Parker], belle femme bipolaire qui, décédée et réduite à l'état de fantôme, transmet son aliénation à Olivia), et dont le premier propriétaire de la maison s'est échappé en s'emmurant (le père, Hugh, retrouve le cadavre momifié lors de la réfection de Hill House dans le septième épisode). Le mal a tué, les murs sont remplis de cette culpabilité (de fait, thématiquement, The Haunting of Hill House n'est pas si loin du sens profond du « Chat noir » d'Edgar Poe), dont les spectres sont les signes les plus patents. Le mal est contagieux, emplit le personnage d'Olivia qui, lui-même, cherche à se faire adopter par la maison par la mort (mouvement qui perdurera encore dans le temps comme le prouve le fracassant épisode 5 de la série). Et la mort de cette figure maternelle et ce qu'elle recèle (secret, culpabilité, folie...) contaminera elle-même toute la descendance.

Qu'est-ce que le « haunting » du titre, finalement ? La hantise du lieu par les différents spectres s'étant accumulés au fil des ans, ou la hantise des esprits provoquée par les évènements traumatiques poursuivant les enfants jusqu'à l'âge adulte ? L'éclatement narratif et temporel de la série tend à prouver qu'il s'agit de la seconde solution. Série humaine aux personnages bourrés de failles et comportant tous un traumatisme en forme de trou noir aspirant toute leur existence (ce néant que voit une Theodora effondrée en posant sa main sur le corps mort d'un personnage « tué par la maison »), tragédie familiale en forme de puzzle dont manque la pièce-maîtresse qu'est la mère (la dimension tragique est assumée par le très bergmanien épisode 6, formellement virtuose, composé de cinq plans-séquences comme autant d'actes de théâtre classique), The Haunting of Hill House est une série exprimant de façon vertigineuse ce qu'exprime l'ensemble du cinéma de Mike Flanagan : ce sont moins les maisons de ses films d'épouvante qui sont hantées que ceux qui les habitent.


Michaël Delavaud

 

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