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Actualités :

26.02.24

Info parution : « Les cinéastes du Diable », par Yann Calvet

Si au cours du 19ème et du 20ème siècles, l’image terrorisante du diable, conservée dans le champ religieux et moral, a perdu de sa puissance dans l’imagination littéraire et dans les illusions de la fantasmagorie, le cinéma va produire de...

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25.09.23

Éclipses N° 72 : Clint EASTWOOD, l'épreuve du temps

Consacré à Clint EASTWOOD, le volume 72 de la revue ÉCLIPSES est actuellement en cours d'impression. Il sera très prochainement disponible sur ce site (en version imprimée et aussi en PDF) ainsi que dans votre librairie préférée. 

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02.12.22

Éclipses n°71 : Invasion John CARPENTER

John CARPENTER a eu un jour pour son propre compte une formule qui raconte beaucoup, tant de son esprit que du statut particulier dont il a écopé : « En France, je suis un auteur. En Allemagne, je suis un cinéaste. En Grande-Bretagne, je suis un...

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Le Locataire Roman Polanski

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Réalisateur : Roman Polanski

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Critique : Cosmopolis  

Cosmopolis
(David Cronenberg, 2012)

Film suicidaire

par Estelle Bayon le 01.06.12

« Un glissement a lieu. Il se produit, il est à l’œuvre [...] Comme toujours, forcément, nous en sommes à la fois les auteurs et témoins [...] Il est trop tôt pour savoir ou pour sentir s’il s’agit d’une rupture ou d’une évolution, si le mode est celui du déplacement ou de la cassure, si le cheminement est réversible ou absolument orienté. [...] En fin de compte, tout ce que nous avons nommé « matière », « vie », aussi bien que « nature », « dieu », « histoire », « homme » tombe de la même chute. La « mort de Dieu » est très précisément la mort de toutes ces substances-sujets. Comme la première, ces morts sont très longues, interminables pour notre perception et même pour notre imagination. » (Jean-Luc Nancy)

 

 

Le goût du visqueux

 

« J’ai envie de quelque chose de flasque et de visqueux », dit Eric Packer (Robert Pattinson) à sa jeune épouse dans le taxi où il vient de la rejoindre, lors de la première sortie de sa limousine, antre de ce jeune roi de l’hyper-capitalisme qui règne sur le monde depuis son trône de cuir. Voilà résumé le projet du personnage comme du film, annoncé dès le générique graphique qui vient tacher l’écran à la manière d’un dripping de Jackson Pollock : Cosmopolis (2012) est une quête de l’inconsistance, de la relâche, du glaireux, voire de l’abject, une faim du jet et de l’éclaboussure, un désir de corporalité, de geste et de mouvement.

Alors que le monde financier s’effondre, Eric décide d’aller chez le coiffeur. A partir de ce maigre pitch, David Cronenberg accompagne le lent déplacement de sa limousine et ses rares excursions de proximité dans les lieux qui bordent la rue (hôtels, restaurants, librairie, salon de coiffure). La traversée d’une New York paralysée par le dense trafic causé par le cortège du président des Etats-Unis, un mouvement d’activistes anarchistes qui a érigé le rat en mascotte, et les funérailles d’une star du rap, se transforme en histoire d’une chute, d’une désintégration, crash au ralenti dont l’objectif sous-jacent est de sonder la corporalité que le petit univers aseptisé du golden-boy a éreinté.

Eric incarne le capitalisme, ce spectre qui hante le monde selon la formule qui s’affiche sur un panneau lumineux et parodie le Manifeste du parti communiste. Mais derrière ce blafard fantôme auquel Robert Pattinson prête idéalement ses traits blêmes et son visage lisse, derrière cette entité abstraite, il y a un corps. Un corps qui désire, mais bute contre le refus de sa femme frigide, richissime poète ratée, coquille vide faite de mots et de fric qui ne veut pas consommer le mariage. Un corps carnivore, qui consomme la maîtresse (Juliette Binoche) et la garde du corps, lesquelles disparaissent, comme avalées par le prince de la finance, une fois la pulsion sexuelle assouvie mécaniquement. Le sexe devient même clinique dans l’interminable toucher rectal qu’Eric subit volontairement face à sa conseillère joggeuse tripotant sa bouteille d’eau entre ses jambes. Car il est aussi un corps hypocondriaque, qui voit chaque jour son médecin pour un checkup complet. Un corps enfin qui a faim, qui se rend compte qu’il vieillit face au jeune trader de vingt-deux ans, et qui pue le sexe comme le lui reproche son épouse écœurée.

 

Une quête organique

 

Peu à peu, la figure parfaite de Packer se défait de son étroite panoplie : il ôte les lunettes noires, perd sa veste, sa chemise blanche est tachée de crème lors de l’attaque de l’entarteur qui lui fait enfin goûter le flasque et le visqueux et le réveille à sa violence contenue, et sa parfaite coupe de cheveux est déstructurée quand il décide de l’interrompre alors que son coiffeur n’a coupé qu’une moitié. Sa main, même, sera trouée. La limousine, l’autre héroïne du film, subit également cette détérioration, ravagée de coups et de tags par les anarchistes. Eric quitte peu à peu son improbable fauteuil de cuir pour les autres sièges, vient même s’asseoir près du chauffeur avant de regarder sa voiture cabossée rentrer au garage. Seul dans la rue, débarrassé de son carcan sécuritaire (il a froidement abattu Torval, son garde du corps), débraillé, mis à nu, aussi asymétrique à l’extérieur qu’à l’intérieur (caractéristique de sa prostate comme lui a annoncé plus tôt son médecin), il va pouvoir affronter la menace qui inquiétait Torval depuis le matin, et qui s’incarne finalement dans un corps qui pue et apparaît sortant des chiottes de son taudis, celui de Benno Levin (Paul Giamatti) qui ne vit que pour tuer le jeune maître du monde. Packer ne pouvait se confronter à ce corps peu ragoutant qu’en abandonnant lui-même les oripeaux de l’abstraction financière qui enrobait son enveloppe charnelle. La longue scène finale transforme leur confrontation en un monologue schizophrénique suicidaire.=Il n’est donc guère étonnant que le réalisateur de Videodrome (1982), Crash (1996) et Existenz (1999) se soit intéressé au court roman que publiait Don DeLillo il y a neuf ans. Balafré, amputé, éventré, mutant, atteint d’une tumeur au cerveau ou dévasté par la migraine, le corps cronenbergien est toujours corrompu par la maladie ou l’accident. Sur le chemin de la détérioration de Packer vers les humeurs, dont la limo est un prolongement machinique, nouvelle hybridation chère au cinéaste entre le cuir et la peau, conduite par un chauffeur au visage mangé par une cicatrice, un individu s’immole et les hommes deviennent et sèment des rats. Son cinéma est fasciné par les métamorphoses, et la transposition sur grand écran de l’œuvre culte de DeLillo, permet de mieux rendre compte de cette dégradation physique. Mais dans l’univers du canadien, la matière devient grise. Ses films sont torturés par la névrose et la schizophrénie (Faux semblants, 1988 ; Le Festin nu, 1991), par la perception altérée du héros (Spider, 2002), quêtes identitaires aussi physiques que psychiques. Le cinéma cronenbergien est cérébral : il a autant la viscosité de l’organe-cerveau que sa complexité mentale.

 

A dangerous method…

 

Derrière les vitres en transparence, sur ses écrans où défilent chiffres et images du monde, sur la scène de la théâtrale rave-party qu’Eric observe depuis le balcon, Cosmopolis déploie l’univers mental de son personnage comme un grand spectacle apocalyptique, jalonné de cadavres : Eric lui-même, mort-vivant suicidaire plongé dans l’effondrement du marché financier, l’immolation de l’activiste, l’assassinat du directeur du FMI et le cortège funèbre du rappeur. A la différence du roman, on remarque que le Packer du film ne rejoint pas les funérailles dans la rue mais les laisse venir à lui, exacerbant la dimension claustrophobe de la version cronenbergienne par le magnétisme centripète de son véhicule qui se paie le luxe d’y rejouer quelques (rares) scènes (celle-ci originellement dans la rue, celle avec sa maîtresse qui se déroulait à son domicile), voire de supprimer celle du tournage dans la rue jonchée de corps nus.

Mais à l’exception de ces quelques déviations, l’adaptation maniaque du canadien suit fidèlement la lente voie tracée par le livre, se contentant d’en extraire les dialogues abscons que récitent les voix blanches et monocordes des effigies sans âme qui défilent dans la voiture. Très bavard, Cosmopolis est un film éminemment théorique, dont la doublure philosophique est aussi épaisse que la carcasse de liège qui insonorise la limo et ajoute à l’enfermement. Très bavard, inscrit en cela dans la lignée de A Dangerous method (2011) qui déjà clivait son public, ce film peu aimable tend à virer au pensum, et il est certain qu’il perdra en route quelques spectateurs, tentés de claquer la port(ièr)e et de rester parfois sur le trottoir, abandonnant le véhicule à se lente parade déchue.

Sa lente mécanique narrative, sa froide mise en scène, son verbe hermétique, ses figures abstraites rendant impossible toute identification, transforment le récit visionnaire de DeLillo en plastique hyper contemporaine qui risque de mal vieillir, prise au piège des tics du cynisme. En même temps, c’est par ce cynisme même que le film est un défi qui se contrefiche de plaire et prend le risque d’une abstraction peu complaisante qui sied idéalement à son sujet. La méthode est dangereuse et divisera le public, comme le traitement académique du film précédent rebutait déjà ceux qui attendaient plus de subversion. On hésite alors parfois face à l’écran entre le génie et le canular. Car Cosmopolis est comme la tarte à la crème violemment jetée au visage d’Eric par l’hystérique Mathieu Amalric : un gag indigeste et gratuit ou une véritable claque, geste autant politique qu’esthétique.

 

 

 

Estelle Bayon

 

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