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26.02.24

Info parution : « Les cinéastes du Diable », par Yann Calvet

Si au cours du 19ème et du 20ème siècles, l’image terrorisante du diable, conservée dans le champ religieux et moral, a perdu de sa puissance dans l’imagination littéraire et dans les illusions de la fantasmagorie, le cinéma va produire de...

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25.09.23

Éclipses N° 72 : Clint EASTWOOD, l'épreuve du temps

Consacré à Clint EASTWOOD, le volume 72 de la revue ÉCLIPSES est actuellement en cours d'impression. Il sera très prochainement disponible sur ce site (en version imprimée et aussi en PDF) ainsi que dans votre librairie préférée. 

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02.12.22

Éclipses n°71 : Invasion John CARPENTER

John CARPENTER a eu un jour pour son propre compte une formule qui raconte beaucoup, tant de son esprit que du statut particulier dont il a écopé : « En France, je suis un auteur. En Allemagne, je suis un cinéaste. En Grande-Bretagne, je suis un...

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Revoir : Phénomènes  

Phénomènes
(M. Night Shyamalan, 2008)

Le vent contre les mots

par Roland Carrée le 20.01.11

Après la parenthèse enchantée de La Jeune Fille de l’eau, M. Night Shyamalan revient à ses premières amours avec Phénomènes, nouveau film de terreur où la menace ne surgit plus du ciel (Signes, 2002) ni de l’enfer (Sixième Sens, 2000), mais de la végétation alentour – on se rapproche donc davantage du Village (2004), mais c’est de suite aux Oiseaux (Alfred Hitchcock, 1963) que le film, de par le danger inexpliqué qu’il met en scène et sa fin résolument ouverte, fait le plus directement référence. Comme d’ordinaire chez le cinéaste, les faits sont exposés avec la plus grande rigueur, sans effet particulier, et avec tout l’humanisme qui se doit – les personnages secondaires des séquences d’exposition sont traités avec une importance telle qu’il devient difficile de dégager les véritables protagonistes de l’histoire. Mais avant tout, Shyamalan a ceci de génial qu’il répond avec un naturel confondant, comme s’il était le premier à le faire, à toutes les interrogations posées par les frères Lumière lorsqu’ils réfléchissaient encore au Cinématographe : comment rendre la vie ? La réponse, que l’on connaît, s’était rapidement imposée dès le premier film des célèbres inventeurs : lumière et mouvement. Si, à partir de l’ampoule s’allumant au tout début de Sixième Sens – nous excepterons les films réalisés auparavant, que je regrette de n’avoir vu –, l’œuvre de Shyamalan a remarquablement exploité la première de ces donnes (revoir notamment les remarquables clairs-obscurs de Sixième Sens et Incassable, qui révélaient en filigranes la nature cachée de leurs héros, ou la lumière solaire faussement onirique de Signes, qui ne servait qu’à mieux faire tomber les protagonistes dans le piège qui leur était préparé), Phénomènes marque un véritable tournant, encore plus décisif que ne l’était celui de La Jeune Fille de l’eau il y a deux ans. Explications : on a notamment reproché au film sa lumière sale, délavée, à la limite de l’image documentaire. Mais est-ce encore là la préoccupation de Shyamalan ? Les premières images de Phénomènes montrent ainsi, tandis que s’écoule le générique, des nuages en mouvement dans le ciel, premier indice quant à l’importance que prendra le vent dans le film. Puis une série de séquences nous expose les enjeux du film : des gens meurent, sans explication aucune, et tous par la voie du suicide. La séquence la plus réussie de cette exposition reste celle où des ouvriers se jettent du haut d’un bâtiment en travaux – superbe plan en contre-plongée, pris au ralenti, où nous voyons les corps sauter du toit avec une aisance à la limite de la chorégraphie, transformant ironiquement ces suicides collectifs en un splendide ballet mortuaire.

Nouvelle folie du cinéaste, donc, pour laquelle son attrait pour le mouvement des corps devient naturellement évident : le vent serait mortel, en ce sens où il véhiculerait des sécrétions végétales nocives, sécrétions elles-mêmes dues à une nature qui, selon les hypothèses émises par les personnages scientifiques du film, tendrait à se rebeller contre l’espèce humaine, seule responsable de sa disparition progressive. De par sa présence constante dans le film, le vent, filmé tel que les scènes en extérieur se révèlent être encore plus angoissantes que celles prises en intérieur, devient un personnage à part entière, rapprochant ainsi Phénomènes du célèbre film muet du Suédois Victor Sjöström, Le Vent (1928). Dans ce dernier film, toutes les émotions des personnages se voyaient vectorisées par le vent, qui soufflait tant et si bien que le seul mouvement des corps dans le cadre suffisait à rendre compte de la grande puissance de cet élément naturel. Mais si vent est le vecteur des sentiments, c’est sur l’amour en particulier que Sjöström et Shyamalan fondent leur thématique, et c’est aussi en cela que le film du deuxième rejoint celui du premier, en ce sens que les personnages, de prime abord distants les uns des autres, vont finalement apprendre à se connaître, le tout sous la contrainte d’un vent qui n’aura de cesse de les rapprocher tout au long du film – sublime scène, dans Phénomènes, où les deux protagonistes (Mark Wahlberg et Zooey Deschanel), au-delà du danger qu’ils courent, sortent de leurs abris respectifs pour se rejoindre au milieu d’un jardin secoué par un vent terrifiant, et renouent au milieu des herbes dansantes un amour enfoui depuis longtemps déjà.

À l’instar du chef-d’œuvre de Sjöström, les films de M. Night Shyamalan sont, au-delà de leurs apparences, de belles et véritables histoires d’amour, de ces histoires où les protagonistes ne se reconnaissent leurs sentiments qu’à la toute fin, après une dure série d’épreuves – rappelons-nous encore le dialogue final de Sixième Sens, encore plus chavirant que la pirouette narrative qui le précède, où le fantôme joué par Bruce Willis avouait son amour à sa femme pendant son sommeil, ou encore le même Bruce Willis, dans Incassable, s’allongeant près de sa femme pour lui confier ses peurs, chose qu’il avait avoué ne plus pouvoir faire avant qu’il ne se redécouvre lui-même. Mais les similitudes, dans Phénomènes, de viennent pas seulement de ces deux films : lorsque la famille en fuite s’enferme dans un abri de jardin pour échapper à un vent particulièrement féroce, c’est de suite au Village, mais aussi à Signes que nous pensons, au moment où une même famille se réfugie dans une cave pour se cacher des envahisseurs extra-terrestres. À ce moment, l’espace se referme, la caméra se resserre sur les protagonistes, et les sentiments surgissent enfin, cernés au plus près par une caméra désireuse de capter la véritable nature d’êtres susceptibles de connaître prochainement la mort.

Mais il y a une réminiscence, typiquement Shyamalienne, qui trouve enfin sa maturité dans ce nouveau film : celle du gros plan sur les mains qui se tiennent entre elles. S’il n’était nul question de cela dans Sixième Sens (et pour cause, les fantômes sont immatériels), le premier signe de cette évolution apparaissait à la fin d’Incassable, où, suite à une poignée de mains échangée avec son ami atteint d’une maladie osseuse, le héros aux pouvoirs extraordinaires se rendait compte de la nature criminelle de ce dernier. Et, tandis que, dans Signes, les membres de la famille, apeurés dans leur cave, se tenaient tous par la main pour mieux combattre la peur de l’inconnu, c’est dans Le Village que Shyamalan faisait pleinement éclater sa croyance en l’amour sauveur et filmait, au ralenti, la main du jeune Lucius (Joaquin Phoenix) attrapant celle de sa bien-aimée Ivy (Bryce Dallas Howard) pour la tirer in extremis à l’abri du danger. Ces plans, qui rappellent la poignée de mains salvatrice de la fin du Voleur de bicyclette (Vittorio de Sica, 1948), deviennent monnaie courante dans Phénomènes, et pourraient même se poser comme indices quant à une éventuelle explication de ces étranges événements : contre la menace, seul l’amour peut encore sauver les hommes ; amour que porte encore le héros pour sa femme, amour d’un père (John Leguizamo) pour sa petite fille (Ashlyn Sanchez), amour du couple en fuite pour cette même fillette recueillie suite à la mort du père, etc. Shyamalan n’a jamais été un pessimiste, et il le prouve cette fois encore en affirmant que l’amour se déplace et circule entre les hommes, non plus seulement par les mots, mais aussi dans l’espace, comme le vent : de par cette croyance inédite en la communication physique entre les corps, ajoutée au fait que le scénario se construit sur des hypothèses scientifiques – et non spirituelles, comme dans les précédentes œuvres du cinéaste –, Phénomènes devient le film le plus positif, mais aussi le plus rationnel de toute la carrière du jeune réalisateur.

En ce sens, il est important de revenir sur le rôle de l’enfant dans ce dernier film. Si certains n’ont vu en cette fillette quasi-mutique qu’un personnage inutile accompagnant nonchalamment les deux héros sans agir sur le déroulement de l’histoire, c’est qu’ils ont encore en tête les figures enfantines de Sixième Sens, Incassable ou Signes, véritables adultes souvent plus conscients de l’état de leurs aînés que ne le sont ces derniers, et grands révélateurs de personnalités cachées. Il ne faut pas considérer ce changement de position vis-à-vis de l’enfant comme un défaut du film, mais plutôt comme un symptôme, celui du repositionnement même de son auteur : en ce nouveau millénaire cinématographique où la parole l’emporte trop souvent sur l’image, le génial Shyamalan revient au temps du muet, où seul le mouvement des corps à l’écran pouvait transmettre les émotions – considérer également, à ce titre, les beaux yeux bleu de Zooey Deschanel –, en nous offrant avec Phénomènes l’une des plus belles actualisations du grand classique de Sjöström, et, à l’instar de Roberto Rossellini soixante ans plus tôt, offre à l’enfant le rôle qu’il sait sans doute le mieux tenir quand il se révèle impuissant face aux événements (et avant qu’il ne tende sa main vers l’adulte perdu), celui de leur contemplation passive, silencieuse et dénuée de tout jugement. Puisse le vent ne pas emporter trop rapidement un cinéaste d’une telle trempe.

Roland Carrée

 

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