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Si au cours du 19ème et du 20ème siècles, l’image terrorisante du diable, conservée dans le champ religieux et moral, a perdu de sa puissance dans l’imagination littéraire et dans les illusions de la fantasmagorie, le cinéma va produire de...

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25.09.23

Éclipses N° 72 : Clint EASTWOOD, l'épreuve du temps

Consacré à Clint EASTWOOD, le volume 72 de la revue ÉCLIPSES est actuellement en cours d'impression. Il sera très prochainement disponible sur ce site (en version imprimée et aussi en PDF) ainsi que dans votre librairie préférée. 

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02.12.22

Éclipses n°71 : Invasion John CARPENTER

John CARPENTER a eu un jour pour son propre compte une formule qui raconte beaucoup, tant de son esprit que du statut particulier dont il a écopé : « En France, je suis un auteur. En Allemagne, je suis un cinéaste. En Grande-Bretagne, je suis un...

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Critique : Shame  

Shame
(Steve McQueen, 2011)

Performances

par Michaël Delavaud le 26.12.11

Shameest le second film de Steve McQueen; il succède à Hunger (2008), l'une des œuvres les plus impressionnantesde ces dernières années, où la virulence du discours politique semblaitrésolument indissociable d'une rigueur formelle sidérante, atteignant dans sadernière partie à une forme de sublime élégiaque particulièrementbouleversante. En cela, Shame est une confirmation ; à travers leportrait de Brandon (Michael Fassbender), sex addict prenant consciencede sa dépendance et s'enfonçant de fait dans une terrible crise identitaire,Steve McQueen réalise un film qui, au-delà de ses apparentes dissemblances, sesitue dans le prolongement direct de Hunger, affinant encore sonapproche de la corporalité comme catalyseur d'un véritable état des lieux politiqueet sociétal.

Dépenses d'énergie

Brandonest donc un obsessionnel dont la vie est entièrement régie par la sexualité :quand il ne fait pas l'amour (de façon tarifée ou non), il passe son tempsdevant l'écran de son ordinateur à regarder toutes sortes d'imagespornographiques ou à se masturber de manière compulsive, que ce soit à domicileou au bureau. L'acte sexuel mène la vie du personnage, besoin naturel ici aussiévident que la respiration ou la nourriture. Et lorsque l'acte est impossible,il est nécessairement envisagé : il suffit qu'une jeune femme entre dansl'immeuble duquel Brandon sort pour que celui-ci se retourne de façonautomatique afin de regarder ses fesses ; il suffit qu'une autre jeune femmecroise son regard dans le métro new-yorkais pour que le sexoholic setransforme en une espèce de prédateur sans pitié, tentant d'envoûter sa proiepar la simple force de son regard vorace, puis la pourchassant dans la cohue dela sortie du train avant de la perdre de vue, suscitant chez lui un désespoirteinté de colère.

Lecorps de Brandon, musculeux et élancé, est une surface d'une brûlante froideur,à la fois séduisant pour le regard et dénué du moindre affect, corps parfait etrobotique inapte à se mouvoir dans un autre domaine que la performance, qu'ellesoit sexuelle ou autre. Il est paradoxalement alimenté par la dépense d'énergie; en cela, la libido maladivement frénétique du personnage est bien entendu unmoteur. L'inaction est ainsi considérée comme un état inacceptable, comme le montrel'une des scènes marquantes du film. Brandon assiste avec son patron et amiDavid (James Badge Dale) au concert de sa sœur chanteuse, Sissy (CareyMulligan). A l'issue de la soirée, les trois personnages se retrouvent dansl'appartement de Brandon ; David et Sissy font l'amour. Brandon, entendant lescris et soupirs des deux amants, vit la situation comme un traumatisme ; l'actecharnel, audible mais invisible, dont il ne peut être spectateur et auquel ilne peut pas participer, est une frustration, une décharge énergétique qui n'estpas la sienne, ceci au sein de son propre appartement. Ce corps dopé à laperformance se doit donc de trouver une solution palliative : il enfile sonsurvêtement et part courir dans les rues new-yorkaises au milieu de la nuit. Untrès beau travelling suit alors longuement la course de Brandon, scrutantl'effort du personnage et semblant traquer le moindre de ses signesd'épuisement. En vain, la dépense physique étant sa ressource vitale.

Sil'on peut se permettre de paraphraser et de détourner une fameuse réplique deMolière, Brandon est donc un être qui, à la fois, baise pour vivre et vit pourbaiser, un homme pour qui le sexe est devenu une drogue, à la fois source deplaisir dans l'assouvissement et source de malheur dans la dépendance. Unpersonnage esclave de ses compulsions et inapte à ressentir ; la relation qu'ilnoue avec sa collègue de bureau Marianne (Nicole Beharie) est en cela trèssignificative. Le lendemain d'un agréable rencard au restaurant, Brandonretrouve Marianne au travail, l'embrasse langoureusement et l'emmène dans unhôtel. Au moment de faire l'amour, Brandon devient impuissant, dans tous lessens du terme. L'affection est l'absolue antithèse de la performance, lesentiment le contraire de la sexualité telle que la conçoit le personnage. Lascène suivante voit Brandon lutiner frénétiquement une prostituée, comme unsordide retour à la normale.

Ultra-moderne solitude

Lafroideur insensible du personnage peut être considérée comme un décalque decelle des lieux qu'il visite ou qu'il habite. Steve McQueen filme New York, sesrues (celles, nocturnes, blafardes et ponctuellement irradiées par la lumièredes magasins pendant le travelling du footing), ses immeubles, son métro, sesrestaurants, ses bureaux, ses appartements... dans un chromatisme généralementgris-bleu, figeant les décors dans une esthétique glacée voire glaciaire. Tousles espaces sont cloisonnés, séparant les humains les uns des autres et leslaissant livrés à eux-mêmes, face à leur solitude et à leur écran d'ordinateur; c'est ce cloisonnement qui permet à Brandon de se complaire dans lapornographie jusque sur son lieu de travail (un contrôle de son ordinateurprofessionnel dévoile que son disque dur contient des images des plus hard).Certaines de ces cloisons peuvent permettre au regard de s'exercer, les vitresprenant une place prépondérante dans l'urbanité telle que la filme McQueen.Trois images-clés à ce sujet : la première montre Brandon, à l'extérieur durestaurant, observant Marianne en train de l'attendre ; la seconde voit le sexaddict regarder un couple en train de faire l'amour aux yeux de tous appuyéà leur fenêtre ; la troisième montre le personnage réitérer la scène précédenteavec une prostituée. Désir sexuel, voyeurisme, exhibition : en transformant laville en une sorte de peep show géant, Steve McQueen n'en fait riend'autre qu'un lieu d'obsessions figées, impliquant une vitrification du regardet du désir.

 

L'appartementde Brandon est à l'avenant, représentatif de cette urbanité moderne froidementaseptisée. D'une propreté clinique, témoignant des réflexes hygiénistes de sonpropriétaire (Brandon va jusqu'à méticuleusement essuyer la lunette destoilettes de son lieu de travail avant de s'y masturber), cet appartement est moinsun lieu de vie que l'antre du personnage, l'abri sécurisé qui le laisse hors devue du monde extérieur, le cocon où peut s'épancher librement sa sexualitédébridée. L'apparition de sa soeur dans cette bulle autiste est donc en soi unesorte de cataclysme, un retour au visible, donc une forme d'impuissance. Lapremière confrontation Brandon/Sissy est de ce point de vue explicite. Le frèreentre chez lui et entend du bruit dans la salle de bains ; croyant avoiraffaire à un cambrioleur, il ouvre son placard et en sort une batte debase-ball. L'arme pointée devant lui porte en elle une indéniable dimensionphallique. Il ouvre alors brusquement la porte de la salle de bains et y voitsa soeur nue sous la douche. L'habitude est chamboulée : cette femme n'est pasun simple corps lisse sur lequel le personnage peut projeter ses fantasmes sansaucun affect, elle précède Brandon dans son appartement qui est sonlieu-identité et le rattache à un passé familial dont nous ne saurons rien...De la toute-puissance de la virilité armée, Brandon passe à l'impuissance dugarçon pris au piège, incapable de se servir de son arme face à cette fille nuequi est avant tout sa sœur.

 

L'arrivéede cette sœur un peu bohême est le déclencheur de la crise identitaire deBrandon. Contraint de partager son antre, il est aussi contraint d'exhibercette addiction qu'il pensait protégée et, par extension, la glaciation de sessentiments. Sissy est l'inverse de son frère : il vit dans l'inhibition, ellevit de ses exhibitions (nous l'avons déjà dit, elle est chanteuse) ; il esthygiéniste, elle n'hésite pas à boire le jus d'orange à même la brique ; ilsemble imperméable à la vie, elle a multiplié les tentatives de suicide ; ilest esclave du sexe, elle est esclave du sentiment. Cette alliance descontraires renvoie Brandon à sa condition de performer, à sa vacuité, àsa triste solitude au sein d'une vie urbaine upper class dont il sepensait un roi. La honte du titre est dans ce constat. Certains critiques ontdénigré le film de McQueen sous prétexte qu'il était moralisateur. Lecontresens est total, la sexualité débridée du personnage de Brandon n'estjamais définie comme honteuse ; le mot shame désigne essentiellement lahonte ressentie par un personnage que le principe de performance enfonceinexorablement dans un sorte de cynisme, transforme en pure corporéité vidée detoute âme. Une fois cette prise de conscience opérée, la performance sexuelledevient mise à l'épreuve (la scène des backrooms de la boîtehomosexuelle ; l'éprouvante séquence de triolisme, où la performance devientsouffrance morale, la sexualité devenant un besoin physique autant qu'undéplaisir), la prédation devient punition (Brandon drague explicitement unefille devant son jules et se fait tabasser à la sortie du bar). La honte et latristesse sont de nouveaux sentiments salissant la pureté clinique du fantasme,comme Sissy a souillé l'appartement aseptisé de son frère par sa simpleprésence. La salissure ultime du lieu est celle provoquée par la tentative desuicide de cette sœur précédemment considérée comme "un fardeau"; la mare de sang dans la salle de bains de Brandon est la marque définitive dudésordre, la tache maculant l'immaculé, la violence d'une mise à l'épreuve dela vie s'opposant à la froideur du vide. Ce sang possède finalement la mêmeforce symbolique que celui de Peter Bermuth dans The Big Shave (MartinScorsese, 1967).

Corps social

Shame inscrit pleinement le monstre de performance froidequ'est Brandon au sein de la société dont il semble un membre parfait ; encela, le second film de Steve McQueen est, à l'instar de Hunger, unevéritable réflexion politique. Revenons sur la scène du métro, dans laquelleBrandon tente d'envoûter une jeune femme assise en face de lui. La séquence estmontée en alternance avec une réunion de travail, où David prône une logiquecarnassière d'écrasement de la concurrence, une logique sans pitié visant auxmeilleures performances dans les résultats professionnels. La mise en parallèleinduite par le montage rend la scène particulièrement troublante, transformantla scène de séduction/prédation en une simple quête du résultat, quête qui serévèle un échec. De fait, si l'addiction de Brandon à la sexualité secaractérise par un besoin de performances physiques et de décharges d'énergie,elle peut aussi être dictée par une logique comptable tout aussi aliénante. Lepersonnage est révélateur de cette cohérence exponentielle : toujours plus derapports sexuels, plus de femmes, plus de revues et d'images pornos à regardercompulsivement... La même cohérence exponentielle qui dirige un monde modernelui-même aliéné par la course à la performance.

 

Shamese situe donc dans le prolongementde Hunger, Steve McQueen développant encore un peu plus la puissance discursiveet politique du corps. Le fait d'employer le même acteur d'un film à l'autre,et ceci d'une manière parfaitement inversée, est une preuve supplémentaire decette volonté de continuité et d'évolution conjointes du discours. La maigreurde Michael Fassbender dans Hunger, reclus, immobile et décharné par unegrève de la faim, montrait le potentiel de contestation et d'indignationpolitique du corps malmené, images choc jetées à la face de l'inhumanité et desinjustices de la société thatcherienne. Le corps sculpté, parfait, lisse del'acteur dans Shame est moins politique que symptomatique d'un systèmesocial déshumanisant, dévitalisant, vidant l'humain de sa substance etl'obligeant à s'aliéner pour lui permettre d'y survivre. Brandon n'est qu'unexemple parmi d'autres de cette société carnassière telle que décrite par SteveMcQueen. La dernière séquence est éloquente : la jeune femme du métro, quiavait esquivé Brandon une première fois, le recroise ; c'est elle qui, à sontour, tente de capturer l'homme dans le filet de ses regards appuyés. Pourciter les paroles de la chanson Conquest de Patti Page : "Thehunted became the huntress / The hunter became the prey." Laproie innocente devient à son tour une redoutable carnassière ; elle montreainsi qu'elle a fait son entrée dans l'impitoyable ordre social. 

D'unetristesse à toute épreuve, aussi désespérément mélancolique que visuellementsplendide, éminemment politique, Shame confirme la place essentielleprise par Steve McQueen, ceci en seulement deux films, sur la carte du cinémacontemporain.      

Michaël Delavaud

 

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