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Critique : Spring Breakers  

Spring Breakers
(Harmony Korine, 2013)

The Doom Generation

par Florent Barrère le 26.03.13

Plaisir cinéphilique inespéré de renouer avec Harmony Korine au meilleur de sa forme, quinze années (déjà) après le premier coup de maître du cinéma indépendant américain Gummo (1997), suivi d’une longue traversée du désert [Julien Donkey Boy (1999) ; Mister Lonely (2007)], tempérée par la grande réussite de Trash Humpers (2009) – « les baiseurs de poubelles » en VF, qui marque sans aucun doute pour l’auteur l’aboutissement d’un travail sur le « ready made » et le désœuvrement de l’Amérique profonde (l’american white trash), geste nihiliste et désespéré dont le bariolé Spring Breakers (2013) semble illusoirement se détacher.

Alors qu’Alexandre Aja filmait en Arizona un Spring Break de l’intérieur des terres qui virait au cauchemar gore dans Piranha 3D (2010), Harmony Korine semble se complaire dans le Spring Break pérennisé par la triste série Girls Gone Wild (1997-2006) de Joe Francis, soit celui des plages saturées de soleil, de bikinis roses, de majeurs levés au ciel, d’alcool coulant à flots. Autant de clichés ne risquent-ils pas de nuire à l’artiste underground ? N’est-ce pas un faible alibi que cette simple délocalisation de la grisaille de sa banlieue natale (Nashville) aux sunlights des tropiques (Daytona Beach) ?

 

La méthode Korine

Spring Breakers marque sans doute pour son auteur le premier jalon d’une seconde période artistique – sans savoir néanmoins si ce geste, toute proportion gardée, pourra être comparable à la maturité classique développée par David Fincher après Zodiac (2007) ou Quentin Tarantino après Inglorious Basterds (2009). Toutefois, Korine montre enfin qu’il sait raconter une histoire : l’orgie étudiante du teen movie est solidement charpentée, mais lentement délaissée pour des enjeux narratifs bien plus convaincants, du spleen d’une adolescence en manque de repères à la bouffonnerie carnavalesque d’un rappeur au grand cœur, en passant par une odyssée nihiliste et sans retour des plus déconcertantes… Rien ne manque à la palette d’Harmony Korine, singulièrement inspiré par cet exil consenti sous le soleil de Miami, qui draine toute une faune attirée par la « semaine de relâche », de la jeunesse dorée de Floride aux filles de l’intérieur des terres, en passant par les racailles du coin favorisant un business de rap et de défonce.

Les premières images après le générique de début paient honorablement leur tribut au Spring Break : danse fluo des bikinis, déhanchements suggestifs, seins exhibés au vent et aspergés d’alcool, jusqu’aux étudiants en rut pissant leurs bières sur des filles à moitié nus. Pourtant, là où le réalisateur de Gummo nous avait habitués à filmer ses séquences de body performance en plans-séquences saccadés, dans un style brouillon et rageur, on le surprend à nous proposer une image soignée de ces orgies étudiantes, à « geler l’image » pour reprendre la jolie expression de Faith (Selena Gomez) qui fantasme son Spring Break depuis sa morne banlieue natale.

Harmony Korine se déleste narquoisement de l’approche documentaire pour nous proposer une vision subjective du Spring Break, de l’intérieur d’un cercle adolescent composé d’une brune catho et de trois blondes délurées, qui voudraient elles aussi être, le temps d’un week-end, des spring breakeuses, et même davantage : les suprêmes spring break bitches ! Elles sont toutes adolescentes et filmées comme telles : alanguies, rêveuses, utopiques ; l’abrutissement progressif dans la furor du Spring Break n’en sera que d’autant plus tragique. Sensibles, connectées à leurs i-phones, chaperonnées aux réseaux sociaux et aux clips vidéo, elles pourraient être une de nos petites sœurs ou cousines égarées dans un concert rock. L’identification primaire à ce groupe de filles est d’autant plus convaincante qu’elles sont les icônes de la nouvelle génération : Selena Gomez et Vanessa Hudgens sont des égéries Disney et Ashley Benton la star de la série Pretty Little Liars (depuis 2010). Ironie suprême, ces trois filles sont maternées par Rachel Korine (la femme du réalisateur), de quelques années leur ainée, sorte de grande sœur qui s’y entend pour mener son propre Sprink Break de sexe et de défonce ! Pourtant, Harmony Korine nous épargne ce vil passage à l’acte, feint de ne pas s’y intéresser, uniquement occupé à reconduire des spirales visuelles, à répéter inlassablement des bribes de phrases, à geler l’image : le rythme du film s’apparente parfois à l’expérience languissante du shoot, le plus souvent aux aigreurs d’estomac des lendemains qui déchantent. Harmony Korine a toujours procédé ainsi : une solide base documentaire sur laquelle se développe mythomanies, digressions, bouffonneries. Le moindre détail du réel est alors matière à élucubration, « un regard sur la jeunesse altérée par la musique, la drogue et l’alcool » (Guillaume Loison, CinéObs, « Entretiens avec Harmony Korine », 06 Mars 2013).

Néanmoins, la méthode Korine n’échappe pas à quelques maladresses, à l’image de la scène de hold-up du diner, certes bien emballée, mais ô combien incohérente : les filles avaient-elles réellement besoin de cet argent alors qu’elles semblaient (surtout Faith, la fille de bonne famille) venir d’un milieu bourgeois privilégié ? Avait-on besoin de ce passage à l’acte pour justifier le basculement dans la seconde partie du film, plus sombre et décadente ? Pourquoi la police met-elle autant de temps à les arrêter alors qu’elles sont rien moins que discrètes ? Autant de questionnements,de frustrations, qui prouvent qu’Harmony Korine, pourtant scénariste précoce et doué de Kids (1995) de Larry Clark, n’est pas encore un maître dans la conduite de grands récits classiques. Et pourtant, malgré des imprécisions, un style poseur et rutilant, Spring Breakers échappe in extremis au gimmick par une démesure grotesque jamais égalée dans la filmographie de son auteur, dont l’incarnation idéale semble Alien (James Franco grimé en Eminem des gouttières), sourire en acier, tresses métalliques et lunettes Ray-Ban fumées, roi d’un kitsch ghetto radicalisé par les clips et l’esthétique MTV [01]. It’s the Spring Break ! A fucking paradise, Yo !,ânonne-t-il bêtement à la tête de son groupe de rap. Fidèle à la notion de « carnavalesque » brillamment théorisée par Mikhaïl Bakhtine (1965), James Franco épate en petit blanc du ghetto, en « pape des fous », en leader nihiliste et attardé d’un business de la drogue que rejoindra le groupe des filles, à l’exception de la prude Faith, rentrant chez elle après s’être lassée d’un Spring Break davantage rêvé que réellement expérimenté… Une fois de plus, le portrait d’Alien, looser excentrique, est gâché par un excès de bonnes intentions : il s’adjoint deux acolytes (les jumeaux) [02], deux rednecks aux rôles stéréotypés, qui semblent uniquement là pour faire écho aux anciennes fratries freaks de Gummo.

 

Eros et thanatos

Emporté par l’énergie fulgurante de sa fratrie adolescente, Spring breakers se décompose en deux moments : l’excès et la joie inconsidérée de vivre la parenthèse orgiaque que les filles espéraient toute leur vie ; le désœuvrement et la gueule de bois des lendemains où il faut bien passer à autre chose, quitte à prendre les armes. Une première partie « sea, sex and sun » (dionysie festive, versant Bacchus) ; une seconde partie guerrière, punk et nocturne (dionysie macabre, versant Saturne). Ces deux temps, cette réversibilité de la fête formait déjà le noyau de la pièce tragique Les Bacchantes d’Euripide, où la reine de Thèbes Agavé, après s’être abandonnée à l’ivresse dionysiaque avec ses sœurs dans les combes du Cithéron, égorge de ses mains son propre fils Penthée venu l’épier, le prenant dans un accès de fièvre pour un lion des montagnes. Une fois revenue à elle, et reconnaissant la tête de son fils sur le glaive plantée, Agavé pleure de douleur et se contraint à l’exil, ne sachant comment faire face à autant de barbarie et de déraison… Spring breakers est aussi l’histoire d’une de ces ivresses qui tourne mal, d’une de ces bacchanales aux deux versants, jour et nuit, jouissance et décadence, éros et thanatos. Dans la seconde partie du film, afin de venger Alien, les deux dernières blondes (Ashley Benton et Vanessa Hudgens) laissent tout sur leur chemin et déchirent la nuit : enfiévrées, armes au poing, elles foncent tête baissée vers un avenir incertain, voué à l’enfer et à la damnation du monde de la drogue et des règlements de compte.

A l’image de Britney Spears, égérie de cette génération pop, dont les tubes sont repris avec gourmandise et a capela par les girls [Baby One More Time (1999)], puis par Alien au piano [Everytime (2004)], le moment de gloire a son revers, la fête son envers cauchemardesque : la wannabe star se mue en junkie décharnée, la disney team en une horde sauvage à la solde de leur mentor Alien. Ce basculement de l’instant festif au lendemain sans gloire au sein d’une grande manifestation étudiante comme le Spring Break a eu un précédent en termes de documentaire, avec l’excellent Woodstock (1970) de Michael Wadleigh, qui revenait non sans déchanter (aube décadente dans la brume des amphétamines) sur le concert phare de la génération hippie.

 

Vers quelle morale ?

La première partie, assez trouble dans ses ressorts de mise en scène, semble embrasser cette fascination pour une jeunesse dorée et consumériste, alors que la seconde partie, plus bouffonne et théâtrale, met réellement à distance la société de consommation. Spring Break for ever, for ever… for ever… Répété ad nauseam par les quatre adolescentes, le nouveau mantra du film d’Harmony Korine trouve enfin la manière la plus naturelle de s’exprimer : on est loin du mécanique refrain Jesus loves me de Gummo, trop folklorique, ou encore des cigarettes avalées par dizaine dans Julien Donkey Boy. C’est que les filles de Spring Breakers poursuivront leur trip jusqu’au bout, armes aux poings, loin de la simple niaiserie adolescente promise par cette semaine de défonce.

La dernière partie du film trace sa voie comme une flèche, par l’évacuation totale d’Alien, qui ne devient qu’un personnage de circonstance, un bouffon d’arrière-cour bien vite liquidé par un gang rival. Il ne reste alors plus que deux filles blondes, qui vont jusqu’au bout de leur logique interne, qui s’enfoncent dans l’absurde de leur raid macabre et nihiliste. Il faudrait saluer ce geste formel rare : à chaque fois que l’on perd une fille du quatuor initial (Selena Gomez, Rachel Korine, Ashley Benton, Vanessa Hudgens), un nouveau film naît : le départ de la brune Selena Gomez autorise la partie « Alien » et bouffonne du film [03] ; l’évacuation de Rachel Korine blessée par balle permet la rébellion sans cause, fusils aux poings, des deux dernières blondes (Ashley Benton et Vanessa Hudgens). Le chef opérateur français Benoît Débie, l’un des maîtres incontestés des virées nocturnes sans retours [Irréversible (2002) de Gaspard Noé ; Vinyan (2008) de Fabrice du Welz] est vraiment aux commandes de la seconde partie du film, plus fiévreuse et intense. Eminemment tragique.

A chaque nouvelle étape une peau est abandonnée, le film muant à chaque fois vers des formes plus violentes, plus sombres, plus archaïques. La vision morale proposée par le film, de prime abord opaque, réside sans doute dans ce dernier cri de rébellion arraché au néant, dans cette prière anarchiste (sensiblement proche du mouvement punk et féministe Riot grrrl) : une ode à la barbarie ordinaire de la société MTV, à l’imagerie bouffonne du ghetto, à l’idiotie abyssale des rêveries lubriques et vénales d’une jeunesse condamnée. The Doom generation, pour reprendre le titre prophétique d’un autre grand film du cinéma indépendant américain (Gregg Araki, 1995).

En faisant feu sur la Floride, Harmony Korine veut redevenir maître et possesseur du cinéma indépendant américain : on est pourtant en droit de ne pas goûter à cette régression kitsch et de lui préférer un courant plus naturaliste mais tout aussi cruel, de Winter Bones (2010) de Debra Granik à Martha Marcy May Marlene (2011) de Sean Durkin. Néanmoins, la puissance et l’ampleur du geste force le respect. Même si un tel pavé dans la mare aurait mérité un positionnement éthique plus ferme, on pourrait parler à bon droit de résurrection. De rédemption même : quinze années après le sombre Gummo, le fluorescent Spring breakers rend à Harmony Korine les clefs d’un cinéma indépendant américain macabre et dionysiaque, grotesque et décharné, punk et bouffon, hurleur et désenchanté.

Florent Barrère

 

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