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Critique : Visages Villages  

Visages Villages
(Agnès Varda, 2017)

Éternelle Agnès

par Myriam Villain le 25.07.17

Le dernier film d'Agnès Varda, Visages Villages (2017), parle de rencontres. Mais, c'est en fait son cinéma en entier qui parle de cela (Daguerréotypes [1975], Les Plages d'Agnès [2008], Agnès de ci de là Varda [2011] ...) et l'on ne sait plus très bien si, pour Agnés Varda, la rencontre est objet du film ou moteur à l'envisager. Sans doute, les deux démarches se rejoignent-elles pour ne témoigner que de l'envie de l'Autre, du désir à connaître, à découvrir, qui animent la réalisatrice.

Le fil d'Agnès


Visages Villages commence, avec humour, par le récit de la rencontre d'Agnès Varda avec le jeune artiste JR (un magnifique documentaire Inside Out [2014] de Alastair Siddons rend compte de son œuvre). Et le récit de cette rencontre procède comme un jeu anaphorique qui aurait pour règle la négative : « On ne s'est pas rencontrés sur une route ». « On ne s'est pas rencontrés à un abribus ». « On ne s'est pas rencontrés dans une boulangerie ». « On ne s'est pas rencontrés au dancing ».

Le jeu est premier chez Agnès Varda : c'est ce qui fait toute la fraîcheur et la jeunesse de l'artiste. Le jeu et la curiosité aussi qui la poussent par exemple à questionner un paysan sur ses drôles de chèvres ... sans cornes.

Le fil de Visages Villages se tisse à sauts et à gambades, crochète du coq à l'âne, ou plutôt de la chèvre au chat pour rester dans un bestiaire plus proche de l'univers de la cinéaste. Le lien entre les séquences (hormis ce qui fait l'enjeu du film : parcourir des villages et y photographier des visages d'habitants rencontrés, dont les clichés en noir et blanc en taille monumentale orneront les murs de leurs lieux de vie), est toujours très pertinent car le lien est celui du sensible, de la poésie et surtout de l'association d'idées émanant de la singularité même de la réalisatrice. Ce qui fait fil, c'est Agnès. Une Agnès qui revendique le hasard, comme le meilleur assistant. Peu importe donc si JR lui a fait perdre le fil de la transition qu'elle avait en tête...

Partager un moment ensemble

Cette rencontre entre les deux artistes en engendre, de manière très féconde, de multiples à sa suite. Comme une poupée russe, la rencontre d'Agnès et JR ne cesse d'en faire advenir d'autres. Ainsi, le film raconte aussi les rencontres avec des inconnus ; ceux que JR et AV croisent tous deux, de villages en villages. La photographie laissée en très grand format sur les murs, est surtout celle qui évite à Agnès que cela tombe dans les trous de sa mémoire, comme elle dit. La photographie fait acte de souvenir. Pour soi, donc. Mais pas seulement.

La rencontre est généreuse. Varda et JR vont tous deux faire vivre leurs petites fantaisies au gré des lieux qu'ils traversent et faire en sorte que cela se partage : « Le tout, c'est le pouvoir de l'imagination. On se donne le droit d'imaginer des choses, et on demande si on peut faire nos imaginations chez vous ». Il n'y a rien d'autocentré et de narcissique dans la démarche de ces deux artistes. Bien au contraire.

Le cinéma de Varda est précisément celui-là : un cinéma de partage, de don (« oh zut, j'aurais aimé que cela vous fasse plaisir », dit Agnès, sincèrement déçue que sa photo ne plaise pas à une habitante rencontrée) et de transmission. Artiste, Varda l'est jusqu'au bout des cheveux (avec cette fantaisie des deux couleurs, celle qui montre que le temps a passé et celle du temps présent, à moins que cela ne soit l'inverse, le brun se rapportant à la jeunesse de Varda, une jeunesse qui ne finit pas).

Varda fait acte de création avec cette évidence : on a tous des âges différents (plus de cinquante ans séparent – ou rassemblent – Agnès et JR) mais ce qui compte, c'est de partager un moment ensemble. Ici et maintenant. En fait, il n'y a pas d'âge, il n'y a que des moments.

Une jeunesse qui n'en finit pas

JR a en fait l'âge de Varda (il a toujours vécu avec des vieilles personnes dit-il. Quand il était avec ses grands-mères, et avec les personnes âgées de son palier). Il a une âme vieille, c'est-à-dire riche de sensibilité et d'intuitions, de générosité aussi. Varda a l'âge de JR, elle a trente-trois ans parce qu'elle a, en fait, tous les âges.

Elle a cette jeunesse (intacte) qui passe dans sa voix (la voix off de Varda est à elle-seule un enchantement que vient parfois ponctuer une musique légère, aussi primesautière que Varda elle-même). Sa jeunesse, avec ce que cela peut comporter parfois de fragilité, s'exprime aussi dans ses larmes de déception à cause de cette « peau de chien » (comme elle dit) de Jean-Luc Godard qui, bien que lui ayant donné rendez-vous chez lui, ne lui a pas ouvert, et l'a plongée dans la mémoire encore douloureuse de la perte de son amour, Jacques Demy, par deux mots griffonnés sur la vitre de sa porte d'entrée.

Agnès a la jeunesse des enfants qu'elle salue (« parce qu'ils ont sa taille », dit JR en riant), à qui elle s'adresse pour savoir comment ils trouvent leur maman, dont l'image en grand est collée sur un mur du village de Bonnieux. Agnès est encore plus jeune qu'on ne croit. Elle rajeunit même de film en film. Ici, elle est une petite fille qui ne touche pas le sol de ses pieds qui gigotent quand elle est assise sur un banc. JR lui propose même de venir l'aider à en descendre. Elle est une petite fille, avec ses petits pieds fripés, presque ceux d'un nourrisson, que JR a l'idée de faire voyager en collant leur image sur un conteneur de train.

Si Varda peine (un peu) à monter quelques marches (elle a fait ainsi la gymnastique pour la semaine dit-elle), c'est qu'elle a « mal aux escaliers ». Quelle tendresse porte-t-elle sur son âge !

Agnès est l'éternelle jeunesse. Agnès Varda est à tout jamais ce personnage dessiné qui habite les génériques de début et de fin de Visages Villages. C'est un personnage à part entière, avec son costume qui n'en est pas un (car Varda ne cultive rien de superficiel en elle et s'offre au contraire dans sa grande authenticité) tout en en étant un quand même, malgré elle (habits et accessoires colorés dans les tons de rouge, de grenat, de rose et coiffure courte de toujours, bicolore aujourd'hui).

Quand JR l'interroge, Varda se dit impatiente de connaître la mort, elle veut que cela finisse (« J'y pense beaucoup. Je crois que j'aurai peur. J'ai bien envie d'y être... Parce que ce sera fini », dit-elle). On a peine à croire que cela finira. On a peine à croire surtout, en raison de la curiosité, de la fraîcheur, de l'énergie qui l'habitent, qu'elle veuille elle-même que cela finisse ; elle, capable de parcourir les routes de France en camion, de chantonner Ring my bell ou Le port du Havre à 89 balais. Varda est jeune jusque dans ses élans, comme celui de ramener une prise, une photo, celle de la tombe d’Henri Cartier-Bresson.

La vie en rose-Agnès

Agnès aime la couleur. La toile cirée de sa table à manger est rose, le broc d'eau est rose, les ballons (lors de la fête dans un village désaffecté mais réinvesti pour un repas d'habitants du coin, pour l'occasion d'une séance-photo) sont roses, rose bonbon, rose fuchsia. La vaisselle est rose et jaune aussi. Les sacs d'Agnès (à main, à dos) sont bariolés de rose, de rouge. Rouge encore est l'écharpe d'Agnès qui vole au vent, lui masquant gracieusement le visage parfois, devenant même, pour un bref instant, le personnage principal.

Agnès fait avec ce qui vient. Elle accueille. Sa main laisse passer largement la vie. Et quand elle se ferme pour retenir une pépite, c'est pour l'offrir ensuite. Agnès aime la vie. Agnès aime les autres. « Non, non, je ne suis pas pour Meetic », réagit-elle vivement à la blague de JR pour répondre à la question de comment ils s'étaient rencontrés. « Je suis pour la vie », affirme-t-elle.

Plus importants que les yeux, le regard

Les yeux d'Agnès Varda voient trouble. Soit. « En fait, tu vois flou », lui dit JR, « et tu es contente ». Pourquoi la vie ne pourrait pas se regarder ainsi ? « Ça dépend de comment on voit les choses », dit-elle. « Avec du recul ou de la hauteur ».

Les yeux sont moins importants que le regard. C'est cela qu'elle dit ainsi et c'est cela qui fait d'elle une artiste. Le regard est bien la question. Même de façon anecdotique, Varda l'aborde quand elle harcèle gentiment JR pour qu'il ôte ses lunettes noires qu'il porte toujours. Par timidité ? Par coquetterie ? La ressemblance avec Godard jeune ne fait aucun doute. Agnès Varda induit le rapprochement. Elle montre à JR sur son ordinateur portable, lors d'un déplacement en train, un film qu'elle avait fait sur Jean-Luc Godard, qui avait bien voulu, un court instant, ôter ses lunettes noires à la demande de Varda. Voilà que l'histoire se rejoue cinquante ans plus tard. JR ne veut pas ôter ses lunettes et son chapeau, deux accessoires qui font costume ou plutôt identité pour lui. Deux accessoires qui le rendent jumeau de Godard en quelque sorte, pour l'apparence. C'est peut-être cela qui engage Varda à faire la surprise à JR d'aller rendre une visite à JLG. Mais JL fait faux bond et JR console AV en lui proposant enfin (le film est ponctué de demandes incessantes de Varda en ce sens, jusqu'à provoquer une petite dispute entre eux ; une chamaillerie plutôt) de lui montrer ses yeux. Geste gémellaire puisque identique de celui de JLG beaucoup d'années plus tôt. Le temps s'annule ainsi.

Varda se voit enfin satisfaite. Elle voit enfin les yeux de JR, les voit à sa façon, c'est-à-dire flous et nous les donne à voir comme elle les voit, flous donc. JR n'aura ainsi offert son visage qu'à Agnès. Agnès témoigne d'une humanité profonde. Elle ne révèle donc pas ce que JR ne veut pas montrer puisque le spectateur voit le visage de JR, à l'identique de Varda : flou !

Un regard pris en vaut un autre. JR fera un gros plan des yeux de Varda dont il dira que les rides ont des muscles. Ses yeux, il les offre au voyage, là où Varda n'ira jamais. Ces yeux sont collés en grand sur un conteneur de train, comme ses pieds. Partir, Agnès est toujours partante. Découvrir encore et encore d'autres lieux et d'autres gens.

Varda tisse son présent avec une ou deux mailles du passé. Ses ouvrages que sont ses nombreuses réalisations (on parle ici de ses documentaires) honorent la mémoire, mais non de manière passéiste, ils l'honorent en rappelant combien le passé nous construit et fait des ponts permanents, par de simples clins-d’œil, cela suffit, avec le présent. C'est dans ce mouvement du passé au présent, du présent au passé, que la vie se poursuit et construit la suite. Agnès avance en se renouvelant, se régénérant par ce qu'elle a déjà produit. Elle laisse des mues successives tout en gardant une part infime de celles-ci qui lui permettent sa nouvelle peau.

Et s'il fallait résumer Varda en une image, ce serait Agnès assise de dos sur une chaise regardant la mer. Tout est dit. Par sa posture, elle témoigne de son attachement au lieu : « L'attachement à un lieu, c'est très fort », dit-elle. Par sa posture, elle dit sa présence au monde : une présence sereine, discrète, contemplative et un regard vers la mer, un regard qu'elle offre, donc un regard généreux et confiant vers l'infini et l'éternité.

Myriam Villain

 

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