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26.02.24

Info parution : « Les cinéastes du Diable », par Yann Calvet

Si au cours du 19ème et du 20ème siècles, l’image terrorisante du diable, conservée dans le champ religieux et moral, a perdu de sa puissance dans l’imagination littéraire et dans les illusions de la fantasmagorie, le cinéma va produire de...

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25.09.23

Éclipses N° 72 : Clint EASTWOOD, l'épreuve du temps

Consacré à Clint EASTWOOD, le volume 72 de la revue ÉCLIPSES est actuellement en cours d'impression. Il sera très prochainement disponible sur ce site (en version imprimée et aussi en PDF) ainsi que dans votre librairie préférée. 

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02.12.22

Éclipses n°71 : Invasion John CARPENTER

John CARPENTER a eu un jour pour son propre compte une formule qui raconte beaucoup, tant de son esprit que du statut particulier dont il a écopé : « En France, je suis un auteur. En Allemagne, je suis un cinéaste. En Grande-Bretagne, je suis un...

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Critique : A Serious Man  

A Serious Man
(Joel Coen, 2010)

Microcosmes

par Michaël Delavaud le 07.01.11

Annonçons d'emblée la couleur : A Serious Man est une oeuvre capitale, la seconde dans un intervalle de deux ans pour les frères Coen. L'importance de ce nouvel opus n'est pourtant pas aussi flagrante que ne l'était celle de No Country for Old Men (2008). Ce dernier, oeuvre totale, d'une ampleur narrative dingue et d'une impressionnante beauté plastique, venait après une décennie 2000 constituées de films au mieux sympathiques, au pire ratés (dans l'ordre : O'Brother [2000], The Barber [2001], Intolerable Cruauté [2003], Ladykillers [2005]) et signait de façon éclatante le retour en forme d'une fratrie sur laquelle il était alors difficile de ne pas avoir quelques doutes.

Grâce à cet énorme succès, les Coen n'ont, du moins en ce moment, plus rien à prouver, et A Serious Man en est en quelque sorte une confirmation : à l'inverse de son prédécesseur, jamais le film n'ambitionne la claque formelle, l'efficacité dramatique, l'énergie explosant dans de fulgurantes bouffées de violence. Justement, le nouveau Coen mise sur sa discrétion, sur ses allures mineures, sur un casting principalement composé d'acteurs venant de la télé et où les têtes d'affiches habituelles brillent par leur absence. Bref, A Serious Man est un film de poche, mais d'une densité telle que les Coen parviennent à y faire entrer quelques données biographiques tout en y synthétisant un pan entier de leur cinéma.

Larry Gopnik (Michael Stuhlbarg) est un serious man, un homme honnête qui mène sa vie du mieux qu'il le peut en respectant les règles qu'impose la société et la communauté juive dans laquelle il vit ; il a une emploi de professeur de mathématiques, une famille, une maison dans un quartier suburbain angoissant de normalité. Et tout à coup, cette vie parfaitement moyenne s'effondre comme un château de sable trop sec, lentement mais inéluctablement : la titularisation de son poste d'enseignant devient incertaine, l'un de ses étudiants cherche à le corrompre pour transformer un F en une meilleure note, sa femme adultère l'expulse froidement de sa maison au profit de l'amant, son frère aussi glandeur que génial s'accroche à lui comme un parasite, ses enfants le traitent de plus en plus comme un larbin... Assailli par les dettes et les doutes, il cherche le réconfort auprès des rabbins qu'il connaît, tous plus déconcertants les uns que les autres.

En soi, le programme du film (prendre un pauvre gus et faire tomber sur lui une giboulée de problèmes) n'est pas nouveau pour les Coen ; Larry Gopnik n'est en fait qu'un avatar de Barton Fink, du Jerry Lundegaard (William H. Macy) de Fargo et de tant d'autres. On reproche d'ailleurs souvent aux deux frères de plonger leurs personnages dans un bain d'acide et de se gausser de façon complaisante de leurs souffrances. On pourrait peut-être valider ces accusations si les Coen revendiquaient une forme de vérisme ; il n'en est rien, les deux cinéastes prennent au contraire le parti de la parodie, de la représentation iconoclaste, de la caricature au sens satirique du terme, ce qui exige une exagération, un grossissement des détails, une exacerbation des situations. On reproche en fait aux Coen ce qu'on adule usuellement chez les Farrelly, deux fratries de cinéma qui ne sont finalement pas si éloignées que cela l'une de l'autre.

En excellents satiristes, les Coen dessinent des mondes en vase clos, parallèles et similaires au monde réel et qu'ils presseront par la suite comme des citrons pour en tirer toute l'absurdité et la violence, et par contamination celles d'un monde réel désespérant. Ils l'ont fait par exemple pour Barton Fink (l'hôtel kafkaïen et les multiples déboires de Fink comme portrait en creux du vampirisme hollywoodien) ou pour leurs deux polars complémentaires Fargo et No Country for Old Men (la description de communautés méchamment white trash dépassées par la brutalité exponentielle du monde). Chacun de leurs films, des meilleurs aux moins bons, est la description d'un monde existant indépendamment, d'un monde artificiel, excessif, absurde mais cohérent. Le nouveau film des deux frères ne fait pas exception à cette règle. Mieux : il théorise enfin la mise en scène de ces univers artificiels et montre par la même occasion le véritable intérêt métaphysique de leur cinéma, jusqu'alors parfaitement dissimulé.

Un plan d'A Serious Man, absurde, hilarant et profond, symbolise le monde tel que les Coen le représentent. Larry fait son cours de mathématiques, écrivant sur son tableau noir une série d'équations, de vecteurs et de racines carrées d'une complexité sans égal. Le plan d'ensemble qui suit montre le tableau, gigantesque et intégralement occupé par la démonstration du personnage. La scène entière, et ce plan d'ensemble plus spécifiquement, métaphorisent l'enjeu du cinéma des deux frères, dont Larry Gopnik semble être un avatar : tenter d'expliquer un monde d'une complexité telle qu'il est impossible à expliquer intelligiblement. Les films des Coen sont des tentatives d'explication, constamment avortées. C'est certainement pour cette raison que les cinéastes sont si attachés à l'idée d'une cinéma de la caricature, du grossissement, qu'ils fondent leur art sur la création de mondes à la fois crédibles et décalés, de microcosmes dont ils scrutent les détails comme de prodigieux laborantins.

Le fait qu'ils ancrent A Serious Man dans une communauté juive de l'Amérique profonde, qu'ils apportent des touches autobiographiques à leur cinéma et en rehaussent la saveur de façon significative. Très clairement, les Coen puisent en eux-mêmes, en leur histoire personnelle pour tenter de comprendre et d'expliquer le monde. En mettant à l'épreuve leur double fictionnel Larry et en faisant peser sur lui le poids de la communauté tel qu'ils l'ont certainement supporté, en l'obligeant ainsi à consulter le rabbinat local a priori synonyme de sagesse, les deux cinéastes ne font rien d'autre que de solliciter leur propre judéité afin de pérenniser leur projet cinématographique.

Les rabbins consultés ne sont généralement d'aucune utilité : le plus jeune des trois, sans expérience, se trouve incapable de réfléchir le monde ; le plus âgé reste mutique, refuse l'entretien pour pouvoir réfléchir, immobile (nous ne saurons pas à quoi, peut-être à l'explication du monde ?). Par contre, le rabbin intermédiaire apporte, lui, une réponse aux questions de Larry, par le biais d'une formidable séquence, celle dite de la "séquence dentaire" : le rabbin raconte l'histoire d'un dentiste obsédé par un message gravé derrière les dents de l'un de ses patients, inscrit en yiddish et menant le médecin à enquêter pour percer ce mystère, puis finalement à oublier ce cas aussi étrange qu'unique. La séquence, très drôle, est une question (en gros : "quelle est la signification de cette histoire ?") sans réponse. Et paradoxalement, cette absence de réponse répond, de façon déceptive, à l'enjeu métaphysique du travail des Coen : le monde est lui-même une question sans réponse, un mystère indéchiffrable, et jusqu'ici indéchiffré malgré les multiples tentatives des frères. A l'instar de leur cinéma contesté qui leur permet de manipuler arbitrairement leurs personnages comme de simples marionnettes, le monde manipule arbitrairement ceux qui l'habitent, les met constamment à l'épreuve du hasard et de malheurs plus ou moins catastrophiques, comme le symbolise le très beau plan de la tornade concluant le film. En cela, les microcosmes créés par les Coen ressemblent moins aux mondes parallèles décrits précédemment qu'à des prolongements fictionnels d'un monde réel sondé en profondeur et en vain. De fait, en légitimant l'acidité et les aspects caricaturaux de leur cinéma et en en explicitant les dimensions métaphysiques étourdissantes, Joel et Ethan Coen prouvent à leurs détracteurs qu'ils sont finalement bien moins cyniques que profondément humanistes.

A Serious Man représente dans la filmographie des Coen à peu près la même chose que ce que Gran Torino a représenté pour celle de Clint Eastwood : une oeuvre magistrale, dissimulée dans le costume d'une "petite" oeuvre mineure, remettant en perspective l'ensemble de leur travail. Film plein comme un oeuf, vertigineusement intelligent, A Serious Man s'avère l'un des plus hauts sommets d'une filmographie coenienne qui en compte pourtant quelques-uns.

Michaël Delavaud

 

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