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26.02.24

Info parution : « Les cinéastes du Diable », par Yann Calvet

Si au cours du 19ème et du 20ème siècles, l’image terrorisante du diable, conservée dans le champ religieux et moral, a perdu de sa puissance dans l’imagination littéraire et dans les illusions de la fantasmagorie, le cinéma va produire de...

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25.09.23

Éclipses N° 72 : Clint EASTWOOD, l'épreuve du temps

Consacré à Clint EASTWOOD, le volume 72 de la revue ÉCLIPSES est actuellement en cours d'impression. Il sera très prochainement disponible sur ce site (en version imprimée et aussi en PDF) ainsi que dans votre librairie préférée. 

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02.12.22

Éclipses n°71 : Invasion John CARPENTER

John CARPENTER a eu un jour pour son propre compte une formule qui raconte beaucoup, tant de son esprit que du statut particulier dont il a écopé : « En France, je suis un auteur. En Allemagne, je suis un cinéaste. En Grande-Bretagne, je suis un...

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Critique : Bad Lieutenant : Escale à la Nouvelle-Orléans  

Bad Lieutenant : Escale à la Nouvelle-Orléans
(Werner Herzog, 2010)

Le blues des iguanes

par Michaël Delavaud le 07.01.11

Quel drôle de film que celui-ci ! Werner Herzog ne nous a jamais habitués à un cinéma conventionnel, sain d'esprit et facilement accessible ; son Bad Lieutenant n'est heureusement pas le fragment de sa filmographie qui changera la donne, si tant est que cela arrive un jour. "Son" Bad Lieutenant : le possessif est important, le film étant vendu comme le remake du film homonyme d'Abel Ferrara (1992). Possible, mais l'hypothèse du remake laisse un rien pantois tant le film ultra-tendu, urbain et empreint de considérations mystico-religieuses de Ferrara est éloigné du polar amorphe ramolli par les stupéfiants de ce païen de Herzog. De plus, le cinéaste allemand revendique le fait de n'avoir pas vu l'original ; peut-on refaire une seconde fois ce qui n'a pas encore été expérimenté ? Avant d'être un remake, Bad Lieutenant : Escale à La Nouvelle-Orléans est donc surtout et avant tout un film de Werner Herzog, s'inscrivant pleinement dans la carrière follement cohérente d'un cinéaste ici très en forme.

De certains réalisateurs, on dit parfois que l'on reconnaît leur travail au premier coup d’œil, du fait de la récurrence de certains motifs formels ou de certaines figures de style qui leur sont associés ; ce n'est pas le cas de Werner Herzog. D'abord parce que le cinéma de l'Allemand ne s'apprivoise pas en deux secondes, et ensuite parce que son travail ne mise finalement pas grand-chose sur la virtuosité d'une forme qui fait une part du succès de certains metteurs en scène. A quoi reconnaît-on Werner Herzog ? Réponse : à ses personnages et à leur trajectoire.

Tous ses meilleurs films sont finalement des portraits de personnages vivant dans un entre-deux-mondes très particulier, un pied posé dans le réel et l'autre dans un monde parallèle, où les repères disparaissent et dans lequel ils se laissent peu à peu complètement aspirer, parfois jusqu'à la mort, comme dans de vicieux sables mouvants. D'une autre manière, on pourrait dire que Herzog filme la trajectoire de personnages s'enfonçant progressivement dans la plus pure démence ; c'est le cas d'Aguirre (Aguirre, la Colère de Dieu [1972], de Woyzeck (Woyzeck [1979]), de Fitzcarraldo (Fitzcarraldo [1981]) ou du village entier de Cœur de Verre (1976), mais cela l'est aussi dans les portraits documentaires qu'il a réalisés (Bokassa dans Echo d'un Sombre Empire [1990], Klaus Kinski dans Ennemis Intimes [1999] ou Timothy Treadwell dans Grizzly Man [2005]). De ce point de vue, le personnage de Terence McDonagh dans Bad Lieutenant fait clairement partie des grands spécimens de personnages borderline du cinéma de Herzog.

McDonagh (Nicolas Cage) est promu lieutenant juste après l'ouragan Katrina, ceci pour avoir sauvé de la noyade et des morsures de serpent un délinquant emprisonné. Son plongeon l'a cependant blessé incurablement au dos, ce qui provoque peu à peu l'addiction du flic aux antidouleurs, puis à la cocaïne. C'est dans ces circonstances que McDonagh est chargé de l'enquête sur le meurtre d'une famille d'origine sénégalaise, acte criminel vraisemblablement lié au commerce néo-orléanais de la drogue...

Plus que l'enquête, qui ressemble à un mcguffin géant et très habile, l'aspect le plus intéressant du film est de voir à quel point Bad Lieutenant s'envape au fur et à mesure que son personnage principal s'enfonce dans ses addictions et se décrépit à vue d’œil. Si le film ressemble de loin à un polar mélangeant un certain classicisme américain et une élégance formelle typiquement européenne (en cela, il peut évoquer le récent Dans la Brume Electrique [2009] de Bertrand Tavernier), il s'avère au contraire un contre-polar dès qu'on y regarde de plus près. Bad Lieutenant est une oeuvre qui se contrefiche royalement de la structure narrative de son enquête, qui se soucie de son dénouement comme d'une guigne, comme le prouve la scène vraiment très drôle où, successivement, l'enquête et les problèmes du policier se résolvent comme par magie. Les péripéties que traverse McDonagh trouvent leur intérêt dans le fait qu'elles ne sont visibles que par le prisme de l'esprit troublé du personnage. C'est en cela que ce Bad Lieutenant est véritablement herzogien : le film est le personnage, le personnage est le film, les deux font véritablement corps, indissociables (le long plan-séquence de l'arrestation, avec cette caméra portée collant littéralement au lieutenant).

Et le film d'adopter le rythme de son guide, alternant les moments d'asthénie avec de subites explosions de violence (les antidouleurs et la cocaïne). Ces deux attitudes radicalement inverses s'expriment dans deux espaces différents. C'est là que l'enquête menée tout au long du film trouve sa véritable importance, engourdie comme celui qui la mène ; cette investigation, qui au mieux stagne et au pire recule (McDonagh laisse stupidement s'échapper son seul témoin et passe un temps fou à le rechercher dans le lieu de l'évasion), permet une dilatation temporelle très particulière, transformant l'enquête en temps de pause alors qu'elle génère usuellement une accélération du rythme narratif. Cette accélération survient justement là où le polar traditionnel situe ses instants de pause, c'est-à-dire dans les périphéries de l'enquête, où le film laisse éclater ses instants de démence : McDonagh dévalise une pharmacie juste après avoir réglé les détails de son enquête par téléphone, il menace de son gros flingue deux grands-mères qui ont aidé son témoin à fuir (la scène est d'une noirceur burlesque assez jouissive, ressemblant à une parodie hallucinée de la série The Shield), il joue les caïds cintrés au sein du gang de trafiquants étant coupable des meurtres sur lesquels il travaille (mais joue-t-il vraiment ?), il fait mine de corriger le client irrespectueux de la prostituée qui lui sert de petite amie (Eva Mendès)...

Derrière le polar faussement classique se dissimule donc une véritable étude de la déchéance de ce « mauvais lieutenant », un film littéralement contaminé par la folie progressive de son personnage. Une scène, absolument géniale, suffit à montrer que Bad Lieutenant est la représentation filmique de l'espace mental détraqué du policier. McDonagh entre dans une pièce où se déroule une scène de planque ; dans la pièce, quelques policiers, un guéridon et sur celui-ci, plusieurs iguanes. Lorsqu'il demande ce que ces reptiles font dans la pièce, on lui répond qu'il n'y a pas d'iguanes ! La mise en scène de Herzog, en plaçant les animaux au premier plan et en les rendant directement accessibles au regard du spectateur, ne fait rien d'autre que d'inscrire dans le réel ce qui est de l'ordre du plus pur fantasme. La suite de cette scène, peut-être le plus beau delirium tremens depuis la fameuse séquence du Cercle Rouge de Jean-Pierre Melville (1970), complexifie encore ces données : après la surprise provoquée par le caractère virtuel des iguanes se fait entendre un morceau de blues, dont on ne sait précisément s'il sert de musique d'accompagnement ou s'il participe du fantasme de McDonagh. Les attitudes shootées et émerveillées de celui-ci, le montage alternant le personnage et les animaux (en gros plans), leurs positions équivoques, feraient pencher la balance vers la seconde solution, faisant penser que ces iguanes irréels sont les chanteurs du blues que nous entendons, mais rien n'est définitivement assuré.

Cette séquence littéralement folle pourrait définir à elle seule le film et le cinéma de Werner Herzog, un cinéma qui doute autant du réel que du fantasme ; un cinéma expressionniste, inscrit dans un réel déformé par le point de vue dérangé de personnages à fleur de peau. Ce Bad Lieutenant : Escale à La Nouvelle-Orléans, plongée patraque dans un esprit en perdition, à la fois noir et très ludique, provoquant simultanément le malaise et une sorte d'amusement malsain, étrangement poétique et violemment sensoriel, est tout simplement digne des meilleurs films du cinéaste allemand ; cette oeuvre semble donc essentielle.

Dernière chose : si le film nous permet de retrouver un Werner Herzog très en forme, il nous permet aussi de revoir un Nicolas Cage enfin au meilleur. Alors que l'acteur semblait depuis quelques temps s'être perdu dans des productions mercantiles au mieux passables (les deux Benjamin Gates [Jon Turtletaub, 2004 et 2008]), au pire complètement nulles (exemples parmi d'autres : Next [Lee Tamahori, 2007] ou Ghost Rider [Mark Steven Johnson, 2007]), le Bad Lieutenant de Herzog rappelle de façon éclatante à quel point Cage peut se révéler un superbe acteur, peut-être le seul (avec Johnny Depp) à pratiquer l'overplay tout en restant extraordinairement crédible, comme on avait déjà pu le constater chez Lynch (Sailor et Lula [1990]) ou chez Scorsese (A tombeau ouvert [1999]). Sans pouvoir remplacer Klaus Kinski dans le cinéma de Herzog (à la différence de Cage, Kinski ne composait pas la démence), l'acteur américain est tout de même un ersatz d'une qualité incontestable, qui effectue ici l'une des plus impressionnantes prestations de sa carrière. Au-delà de ses belles qualités intrinsèques, on est en droit de penser que Bad Lieutenant : Escale à La Nouvelle-Orléans doit aussi beaucoup à son acteur principal.

Michaël Delavaud

 

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