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26.02.24

Info parution : « Les cinéastes du Diable », par Yann Calvet

Si au cours du 19ème et du 20ème siècles, l’image terrorisante du diable, conservée dans le champ religieux et moral, a perdu de sa puissance dans l’imagination littéraire et dans les illusions de la fantasmagorie, le cinéma va produire de...

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25.09.23

Éclipses N° 72 : Clint EASTWOOD, l'épreuve du temps

Consacré à Clint EASTWOOD, le volume 72 de la revue ÉCLIPSES est actuellement en cours d'impression. Il sera très prochainement disponible sur ce site (en version imprimée et aussi en PDF) ainsi que dans votre librairie préférée. 

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02.12.22

Éclipses n°71 : Invasion John CARPENTER

John CARPENTER a eu un jour pour son propre compte une formule qui raconte beaucoup, tant de son esprit que du statut particulier dont il a écopé : « En France, je suis un auteur. En Allemagne, je suis un cinéaste. En Grande-Bretagne, je suis un...

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Revoir : Cléo de 5 à 7  

Cléo de 5 à 7
(Agnès Varda, 1962)

2 heures de la vie d'une femme

par Emilie Chaudet le 28.12.10

L'une chante, l'autre pas. Cléo, une enfant gâtée rêvant de célébrité est jetée dans l'anonymat de la maladie. Agnès Varda, le regard bienveillant sur sa créature, pose sur elle un voile protecteur ou un linceul, ce sera selon. Avant cette gravité enfantine des personnages de Varda, la femme de la Nouvelle Vague avait toujours été symbole de liberté, mais celle-ci ne s'acquérait qu'au prix d'une profonde aliénation. C'était la Nana de Vivre sa Vie (Godard), ou la Lola de Jacques Demy. Des femmes déchirées par des passions qui les dépassent ou des prostituées sans plus de questions pour les autres ni pour elles-mêmes. Il est également question de lutte chez la femme de Varda, mais l'issue en sera la libération. Cléo n'a pas le charisme d'Anna Karina, ni la majesté de Delphine Seyrig. Son attente peut s'apparenter à celle de Florence (Jeanne Moreau) dans le bar du Petit-Bac (Ascenseur pour l'échafaud). Sa possible maladie se devine aussi terrible que la psychose de Giuliana (Monica Vitti) dans Le désert rouge. La beauté, l'angoisse, l'amour de leur cinéaste respectif, sont les points communs de ces trois femmes. En effet, Cléo-Corinne Marchand hérite, elle aussi, d'une forme d'amour, celle d'une mère, d'une soeur. C'en est à croire qu'Agnès Varda, trop attachée à son personnage, l'a confiée à son «alter-ego» cinématographique, Angèle (Dominique Davray), la dame de compagnie et amie qui ne cessera de veiller sur elle, jusqu'à ce que Cléo se sente prête à vivre assez fort pour affronter l'idée de la mort.

Des gestes convulsifs de l'enfant qui veut tout, tout de suite, la mollesse chantante d'une voix capricieuse, un splendide corps de femme qui accroche les yeux de tous les hommes qu'elle croise, cachent une âme qui n'a jamais pris la température du dehors. Ses peurs, jusqu'à ce jour fatidique, ont toujours été imaginaires. Un miroir qu'elle vient de briser, le port d'un vêtement neuf le mardi, sensé porter malheur. Ses rêves étaient simples : chanter et en devenir célèbre. Sa conception de la vie est à l'image de la bande-son diffusée par l'autoradio du taxi qui l'amène dans son refuge du quartier Montparnasse. Les flashes-info sur les morts de la guerre d'Algérie sont suivis par une annonce publicitaire pour un shampooing au whisky. Cléo de 5 à 7, comme son titre l'indique, c'est avant tout le conte d'un passage, mais pas n'importe lequel. Celui, constant, de la futilité à la fatalité.

L'histoire des deux heures avec Cléo s'ouvre par un prélude à quatre mains. En contre-plongée, les deux premières, fines et délicates, tapotent anxieusement la table. Les deux autres, en face, manient avec dextérité un jeu de cartes. Puis, viennent les yeux. Ceux de Cléo qui interrogent, ceux de la voyante qui la fuient. La cartomancienne a vu, dans les cartes, la terrible nouvelle. Cléo interroge le regard de la mort, impassible et froid. Une nouvelle vie commence pour une femme qui n'a pas encore pris le temps de la goûter. Une vie en noir et blanc, un présent qui prend déjà des allures de passé.

A la vie à la mort

La vie, c'est bien d'elle dont il est question à travers l'attente de résultats médicaux qui vont confirmer ou démentir les prévisions de la voyante. Le film est alors constamment divisé entre espoir et pessimisme, entre joies infantiles et gravité hiératique – Cléo s'efforce de vivre ces deux heures comme elle aurait aimé vivre sa vie. Cette intensité du temps va marquer l'état de son esprit et celui de son espace, Paris. Après avoir traversé la Seine en taxi, en passant de la rive droite à la rive gauche, comme on y passerait l'arme, elle reste ensuite dans le XIVème arrondissement, entre la Gaîté-Montparnasse et la Pitié-Salpetrière. Du rire aux larmes, elle ne cesse de monter et de descendre dans son espace. Jean Douchet, dans une analyse des 400 coups avait déjà souligné l'importance des escaliers. Antoine Doinel les montait dans ses rares moments de plénitude, avec sa famille, au retour d'une sortie au cinéma, et les descendait, accompagné de son père pour être livré au commissariat. Cléo ne cesse de grimper pour mieux travailler sa chute. Quitte à tomber bientôt, autant se faire entendre. Elle s'effondre littéralement dans les escaliers de la voyante en apprenant la terrible nouvelle, puis en bas sourit à son reflet dans un miroir, sûre que sa beauté tellement semblable à la vie saura la préserver de la mort. Dans le parc Montsouris, elle monte sur un pont en chantant et en jouant avec son châle. Elle redescend l'air subitement interdit, s'apercevant qu'il ne sert à rien de fuir la tête en avant dans ses rêves puisque la réalité, à l'instar de son éventuelle maladie, est incurable. Ses états d'âme changent si rapidement qu'elle semble vivre chaque instant en accéléré. Elle décide de quitter son nid douillet, cette chambre blanche stérile, au milieu de laquelle trône ce lit à baldaquin, trop grand écrin de sa solitude. Elle sort seule et à pieds pour la première fois, après la rencontre de l'amitié pure, immuable malgré le passage des années, Cléo fera la rencontre de l'amour en la personne d'Antoine, autre «mort en permission», puisqu'il doit retourner en Algérie le lendemain. En deux heures, Cléo grandit et passe de l'enfant à la femme. Son dernier itinéraire en autobus avec Antoine retrace les étapes importantes de la vie qu'elle a eu au aurait aimé avoir. Des arrêts sur elle-même, de nouveaux départs, un terminus. Deux infirmiers traversent la rue avec un nouveau-né dans une couveuse ; à côté d'eux, dans l'autobus, deux inconnus font timidement connaissance. Puis il s'arrête devant des pompes funèbres. Cléo veut descendre, le gardien l'arrête et lui dit que ce n'est pas encore le bon arrêt. Antoine lui parle des Polonias, les arbres qui bordent les avenues parisiennes, symboles d’une vieillesse tranquille. Une vie, au même rythme accéléré, une mort très probable pour tous les deux, et la fragilité émouvante d'un amour avorté. Une définition de la vie selon Agnès Varda; des cartes à portée de main mais aucun moyen d'en jouer.

A pile ou face

Des règles du jeu dont Cléo fera l'apprentissage, pendant deux heures. Sans savoir si elle va mourir ou si elle est déjà morte, elle arpente les rues de Paris. Cela commence par la brutalité d'un meurtre en pleine rue, avant le passage de Cléo, dont on ne voit plus que l'impact d'une balle dans une vitre, et les badauds bousculés pas les policiers. Comme si la mort rappelait à Cléo qu'elle n'est jamais loin d'elle. Cependant, si elle se rappelle à son souvenir, elle ne la suit pas mais la précède, laissant toujours à Cléo une chance de s'en sortir. Le retour au calme s'effectue par un disque que Cléo choisit dans le juke-box d'un café, c’est elle que l’on y entend. Elle constate tristement que personne ne l'écoute, comme si elle appartenait déjà au passé. Pourtant, tous les clients et tous les passants la dévisagent, lui rappelant qu'elle est bien présente dans leur monde, encore. Puis, sur son chemin, juste avant de rencontrer la nouveauté dans sa vie, en la personne d'Antoine, elle retrouve une vieille amie, Dorothée, un modèle pour des étudiants en art. Elle est brune, gaie et légère, l'antithèse de Cléo, à qui elle dit qu'elle lui rappelle le bon vieux temps. Une manière de parler de Cléo au passé. Pourtant, Cléo finit par faire cadeau à Dorothée de son chapeau neuf, une relique du présent, une manière de lui dire qu'elle n'est pas encore partie. Cette série de faux départs trouve tout son sens durant cette sublime scène de méta-cinéma, Les fiancés du Pont Mac Donald, un court métrage muet que l'amant de Dorothée, projectionniste, montre aux deux jeunes femmes. On y voit Jean-Luc Godard et Anna Karina jouer les amoureux chaplinesques d'une farce quotidienne. Jean-Luc déplore sa malchance devant son amoureuse inconsciente. Il finit par enlever ses lunettes noires, tout s'arrange, Anna se réveille, il la prend dans ses bras et constate que ses lunettes lui faisaient voir la vie en noir. Cléo a des lunettes noires symboliques : l’idée de sa tumeur. L'idée de sa maladie la rend malade, à proprement parler. Lors d'une crise de désespoir, sa gouvernante s'inquiète «Dans quelle état elle se met?...». Cléo en fermant sa robe noire, lui répond: «Je me mets en noir, comme ça je serai dans la note!». C'est que Cléo a infiniment plus de cartes en main que la voyante des premières minutes. C'est à elle de décider si elle va vivre ou non. Elle décide, en sortant de chez la cartomancienne, de voir la vie en noir et blanc comme une photo du passé. C'est avec Antoine qu'elle va recommencer à croire en la vie. Elle lui dira, en entrant à l'hôpital, qu'elle n'a plus peur, que ça lui est égal. Soudain, c'est lui qui devient grave, comme un jeu de miroir, ils jouent à la mort comme ils jouaient à l'amour quelques instants auparavant. Antoine, faute de redonner de la couleur à la vie de Cléo, lui donnera des mots. Lors de leurs premiers échanges, il lui dit que c'est un jour particulier, le solstice d'été, le jour où le soleil quitte les gémeaux pour entrer dans le cancer. Une manière inconsciente de minimiser et de poétiser le drame de Cléo. Cette manière de détourner tous les mots qui effraient Cléo. Son vrai prénom, Florence, qu’Antoine dit préférer car il renvoie à la flore, au printemps, au retour de la vie. Les résultats d'un examen qu'elle attend, et qu'il voit comme ceux d’une étudiante plutôt que comme ceux d’une malade... Ces jeux sur les mots s'inscrivent dans la continuité des nombreux calembours de Michel Legrand, dans la scène anthologique de répétition de chant, au début du film: « Cléo! Où as tu mis la clé oh », «Tu as tort! Et le tort tue». Comme si la vie de Cléo devait avoir la légèreté et le caractère éphémère d'une chanson. Jacques Demy, le mari d'Agnès Varda, expliquait, à propos des Parapluies de Cherbourg, qu'il voulait faire un film en-chanté comme d'autres feraient des films en couleurs. Cléo qui se présente suivie de deux chiffres impaires laissant présager l'absence de rythme, la dissonance, est plongée dans une vie où les mots sont plus forts que ses maux et peuvent donner l'espoir de l'en guérir.

Cléo est donc, malgré le contexte de sa naissance sur pellicule, l’antithèse de la femme-courage et indépendante. Agnès Varda s’est heureusement gardé de faire de Cléo l’égérie d’un manifeste féministe. Un autoportrait à travers la fragilité de deux peurs universelles, celle de la mort et de la solitude. Tout sauf un portrait de Femme.

Emilie Chaudet

 

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