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Revoir : Crustacés et Coquillages  

Crustacés et Coquillages
(Olivier Ducastel / Jacques Martineau, 2005)

Une image de l'incestuel

par Myriam Villain le 20.01.11

Marc emmène Béatrix sa femme, son fils Charly et Laura sa fille, en vacances sur la Côte d’Azur dans la maison familiale où enfant et adolescent, il passait ses étés. Repos, soleil, plage et dégustations de coquillages semblent être le seul menu de ces journées familiales. Laura s’éclipse, à peine arrivée, pour un voyage en moto au Portugal avec son petit copain tandis que Martin, un ami de Charly, vient prendre place au sein de la cellule familiale pour passer quelques jours au bord de la mer. Martin est homosexuel et Beatrix soupçonne immédiatement - et en convainc son mari - que leur fils est le petit ami du jeune adolescent nouvellement arrivé.

Si les ressorts de la comédie d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau reposent sur la possible homosexualité du fils (avec tous les rebondissements dont le scénario est émaillé), le film raconte implicitement une histoire différente. L’absence de cadrages autres que sur les personnages, la nature serrée de ces cadrages (plans rapprochés poitrine principalement) et la proximité des corps à l’intérieur du cadre (les corps sont toujours serrés les uns près des autres rendant possible le contact à chaque instant) sont trop fréquentes voire excessives pour que l’œil, contraint perpétuellement à ces « corps-image », n’engage l’esprit à interroger cette promiscuité que les personnages vivent - apparemment dans la bonne humeur et l’harmonie - et que le spectateur, lui, subit, ne pouvant accrocher son regard sur rien d’autre.

Un huis clos familial : l’absence d’un hors-champ régulateur

Il découle de ces cadrages singuliers une dé-réalisation. Les personnages, coupés de tout lieu, ne s’ancrent pas vraiment dans la réalité spatio-temporelle. Seuls, l’allusion au château d’If (mais dont on ne sait si le lieu est réel ou rêvé) et le nom de la toute petite gare - « La Redonne-Ensues » - où descendent l’ami de Charly et l’amant de Béatrix, sont les seules indications pour définir l’espace.

Comme il n’y a aucune ouverture sur l’extérieur (aucun plan large de la maison de vacances à part un contrechamp qui la situe face à la mer, aucun plan non plus du village où ils habitent ni des paysages environnants), une toile se tisse autour des protagonistes et les abstrait du réel, accusant l’enfermement que le huis clos familial, par l’absence de personnages véritablement extérieurs à la famille imposait déjà ; l’ami de Charly, le petit copain de Laura, l’amant de Marc et l’amant de Béatrix sont les seuls « étrangers » de la tribu. La famille est comme repliée sur elle-même dans une complaisance autarcique au point que tous pourraient dire en cœur : « On est en famille, on y est bien et on y reste ». Le dedans pour eux est nourricier. Seule, peut-être, la fille s’échappant pour des vacances en un ailleurs - mais malheureusement pour mieux revenir telle que l’image de fin le propose – pourrait affirmer l’envie de sortir du cocon qui pourrait s’avérer étouffant et devenir une bulle mortifère ; bref, pourrait affirmer l’envie de s’en sortir.

A cette absence d’ouverture sur l’extérieur s’ajoute une gestion de l’intérieur ambiguë. Les chambres en effet, lieu hautement symbolique, s’inter-changent facilement. Au tout début du film, une dispute éclate entre le frère et la sœur à ce sujet puisqu’ils veulent occuper la même chambre et, plus tard, Charly, à l’arrivée de son ami Martin, lui cède sa chambre facilement pour en occuper une autre. Il n’y a ainsi pas de lieu attribué. Tout le monde peut dormir (à tour de rôle certes) dans le même lit ; une façon ainsi de dormir ensemble. Il n’est pas étonnant alors de voir Marc s’endormir avec Martin après avoir tenté de calmer l’adolescent en colère contre Charly. De même, dans cette propension familiale à partager la couche, il n’est pas étonnant non plus que les parents soient surpris que les deux adolescents ne dorment pas ensemble dans la même chambre. Le choix de deux chambres séparées devient même pour eux l’indice d’une homosexualité qui se cache.

L’ambiguïté sur l’affectation des espaces intimes, et donc au final l’absence de réels lieux personnels, s’affirment davantage quand Charly propose non seulement sa chambre et son lit à son ami mais offre jusqu’aux draps dans lesquels il a dormi : « Ca ne te dérange pas qu’on ne change pas les draps ; je n’ai dormi qu’une nuit et j’ai été très sage » (sous-entendu qu’il ne s’est pas masturbé). Il y a une certaine perversité dans cette attitude. Charly sait que son ami est homosexuel et qu’il désirerait faire l’amour avec lui. Il lui donne non seulement sa chambre et son lit permettant à son copain le fantasme de dormir avec lui mais il lui donne surtout ses draps, là où s’est inscrite son odeur et où son sexe aurait pu laisser une trace. C’est ainsi une façon de permettre à Martin une intimité avec lui sans donner véritablement son corps. Charly cherche peut-être aussi à savoir ce qu’il en est de sa propre et possible homosexualité.

L’ambiguïté des espaces facilite la promiscuité puisque personne ne détient un lieu à lui malgré la superficie de l’endroit. L’enfermement devient plus dense encore. Le huis clos est total. Le spectateur est alors confronté à l’image du pot familial où l’on se serre et où l’on se sert.

Si l’espace est définitivement fermé sur l’extérieur, c’est en raison même d’un semblant d’ouverture. La maison est toujours ouverte, les chambres s’inter-changent, les espaces ne sont pas définis, il n’y a aucune distinction entre intérieur et extérieur, entre l’intime et le public. Matthieu peut se présenter nu sur le seuil de la maison (scène de l’amant caché nu dans un buisson à l’entrée de la demeure familiale), s’infiltrer sans gêne dans le hall intérieur et même jusque sous la douche - lieu hautement symbolique ici puisqu’on s’y lave (de ce qu’on a fait) et qu’on se donne du plaisir (sans que rien n’y paraisse ?) - sans aucune difficulté.

Les limites, sans cesse bousculées, sont définitivement balayées. Matthieu a certainement saisi que dans cette famille, on pouvait agir en toute liberté, qu’on pouvait entrer dans la maison comme dans un moulin (la porte est toujours ouverte !), prendre, se servir et repartir en toute impunité, et que si, au départ, on se cache (Martin est caché à la vue de Charly quand ce dernier vient le chercher à la gare ; situation qui se répétera à l’identique pour Béatrix venant chercher son amant au même endroit), c’est finalement pour mieux s’exposer (Matthieu se présentera nu à Charly dans le salon de la maison). Ainsi, lorsque Béatrix suit Matthieu derrière des rochers et fait l’amour avec lui, on ne sait plus très bien si elle vise à se cacher du regard des autres ou à s’exposer à leur vue au contraire, tant la proximité des baigneurs, de son mari et de son fils est grande. Il y a ici provocation par l’exhibitionnisme. Montrer pour partager. Vocation de l’image cinématographique aussi qui conduit le récit.

Partager ce qui ne devrait l’être pourrait être une définition de l’incestuel et vient en tout cas illustrer le propos du film. Rappelons la scène d’amour des parents pendant laquelle ils jouissent assez bruyamment. C’est une façon ainsi de faire participer les autres à leur intimité, de les introduire dans la chambre conjugale, jusque dans les draps (Martin, tous comme les autres certainement, entend et a un sourire amusé). Il n’y a pas de loi. Toute transgression est donc possible. Ou aucune finalement, car s’il n’y a pas de règles, comment peut-on les transgresser ?

Le dedans : un unique espace ou l’intime dévoyé

L’épisode de la pluie confirme ce bonheur à être ensemble, enfermés, les uns sur les autres, à se divertir, à se donner du plaisir, les uns par les autres.

Il pleut. Toute sortie est donc empêchée. Il faudra donc être et faire, à l’intérieur, pour ne pas s’ennuyer. Béatrix et Marc, pour s’amuser et amuser aussi les deux adolescents, n’ont rien inventé de mieux que de les rendre spectateurs (deux chaises sont installées à leur intention) d’une petite scène qu’ils improvisent pour eux. La mère est en tenue légère, les jambes nues, le décolleté ouvert, le soutien-gorge pigeonnant et largement apparent, parée de bijoux aussi et maquillée plus que de coutume. Elle est séduisante et sexy mais devient par sa gestuelle rapidement et totalement aguicheuse. Elle chante avec son mari une chanson « Crustacés et coquillages » (celle du début, du générique) de manière assez lascive en se collant et en se frottant au corps de son époux. Voilà le spectacle qu’ils proposent à leur fils et à son ami et qui semble enchanter d’ailleurs les deux adolescents.

Non seulement cette scène (qui se veut, au premier degré, légère) confirme la tendance de la famille à un enfermement confortable, à un isolement bénéfique (l’extérieur – la fuite même – en raison de la pluie n’étant pas possible) mais, par son aspect provocateur (les parents cherchent comme à séduire et exciter sexuellement les adolescents), démultiplie la pathologie qui affleurait déjà. Les deux garçons sont les spectateurs d’une forme de « scène primitive » (danse, baisers et effleurements du couple) non par malheureux hasard, mais contraints par les parents eux-mêmes. C’est véritablement un viol de l’intimité dont il s’agit puisqu’ils sont obligés de voir ce qu’ils ne devraient pas voir.

Une scène antérieure en fait le pendant annonciateur. Marc déguste des violets (coquillages à la chair jaune) et semble troublé par ce que cela lui évoque, petite madeleine qu’il ne dévoile pas aux siens mais qui provoque tout de même les douces moqueries à connotation sexuelle de ses enfants. Béatrix, dont le corps est très proche de celui de son mari - trop proche même ?, le scénario et la mise en scène ne nécessitant pas cette proximité à ce moment-là -, se propose de goûter un coquillage. Si elle réprimande gentiment ses deux adolescents pour leur esprit « mal tourné », elle s’empare d’un violet et l’avale de manière sensuelle en se rapprochant encore davantage de son mari. Elle l’embrasse dans une totale insouciance de la présence de ses enfants. Son attitude répond de la double contrainte. Tout en reprochant à Charly et Laura de jouer sur les connotations sexuelles du crustacé, elle-même, le mange de manière quasi orgasmique. La double contrainte est clairement assumée par Béatrix d’ailleurs qui, dans une scène où Valéria Bruni-Tedeschi est excellente, agacée, dit à son fils : « Et pourquoi on ne pourrait pas dire « oui » et « non » à la fois ? ». C’est une belle liberté revendiquée mais sourd immédiatement la manipulation ; car s’il est possible de dire « oui » et « non » à la fois, la déstabilisation et l’emprise peuvent alors œuvrer. Le fils ici a besoin au contraire de repères (ou de « re-mères ») et ne peut être dans le vague et le flou, le « changeant » aussi, selon l’humeur ou les caprices de sa mère.

Les séductions de la mère

La mère est un personnage clé qui a sa part – voire sa responsabilité – dans le jeu des relations déplacées entre parents et enfants. C’est une femme ET une mère ; féminine (excessivement peut-être pour aller marcher dans la colline ou dans les rochers avec des talons compensés qui rendent sa démarche mal assurée, mais peut-être plus féminine et provocante encore) et maternante (elle est attentive à ses enfants, compréhensive, prête à donner un conseil et sait faire l’autorité quand il le faut). Elle ferait même « du père » certaines fois en posant la loi (épisode de la dispute de ses enfants à propos d’une chambre). Femme apparemment complète puisque femme en équilibre entre son masculin et son féminin et puisque mère aussi.

Femme ou monstre ? La question est à se poser car la confusion des rôles, parfois, tend à faire basculer Béatrix dans une ambiguïté destructrice pour sa progéniture. En effet, Béatrix est femme avec son fils quand elle se fait aguicheuse et elle est mère avec son mari quand elle l’aime et le comprend malgré l’homosexualité enfin affirmée de celui-ci, malgré aussi le fait, avant cela, qu’il ne la satisfasse pas sexuellement – « il bande mou » - ce qui la pousse à prendre un amant, Matthieu (lequel pense n’être qu’ « une bite de substitution »), et à rire aussi quand Marc lui fait l’amour, ce qu’une séquence rend très clairement. Marc ne peut être qu’irrévocablement impuissant face à ce rire léger de sa femme - mais qui est au fond moqueur et méprisant - quand il essaie de jouir en elle.

Monstre alors ? Car n’est-ce pas un fantasme de la mère finalement que de voir son fils homosexuel pour ne pas que ce dernier connaisse un autre corps de femme que le sien ? Le sien qu’elle lui met sous le nez pour qu’il n’aille pas chercher ailleurs ? Et n’est-ce pas une façon de faire l’amour avec lui - et de le condamner pour le coup à l’homosexualité : Charly est le seul d’ailleurs à ne pas être accompagné à la fin du film même s’il annonce que sa copine Julie va bientôt arriver - que de se dandiner de manière lascive devant lui ou de l’introduire dans sa sexualité en lui présentant son amant qui se pose nu face à l’adolescent, ou encore, en hurlant le plaisir charnel que son mari lui donne (une scène atteste que les ébats des époux sont perçus par les autres) ?

Béatrix affiche son épanouissement peut-être de manière un peu trop ostentatoire et la scène de la chanson le jour de pluie en est l’exemple le plus frappant. Son corps libre est presque mis en scène par elle. Valéria-Bruni Tedeschi dégage dès les premières images une très forte sensualité en raison d’une outrance de ses mimiques et attitudes. Elle est comme au bord de l’orgasme à chaque instant. Elle est dans un plaisir perpétuel sachant profiter du soleil, de sa famille, de son amant, etc.

Le déplacement de rôles est perceptible aussi vis-à-vis de sa fille, même si cette dernière est pratiquement absente tout le long du film. Quant le petit copain de Laura vient la chercher en moto, Béatrix fait tout naturellement à son mari la réflexion admirative suivante : « Il a un cul ce garçon ! ». Non seulement cette attitude est assez perverse vis-à-vis de Marc qui ne peut que souffrir d’une comparaison sous-entendue mais elle induit aussi que la mère peut se permettre de juger le petit copain de sa fille comme si elle était elle-même l’adolescente. C’est encore une façon de partager le même objet de désir, cet objet parce qu’il est identique fait le lien et rapproche ainsi excessivement, et de manière pathologique, la mère et la fille dans un quasi corps à corps. C’est une totale intrusion dans l’intimité de la fille et c’est une omnipotence de la mère - Béatrix est de toutes les images ! - qui est mortifère puisqu’il n’y a pas de distinction.

Pour conclure sur le personnage, on ne peut que constater que sous prétexte qu’elle a eu une mère hollandaise (donc soit-disant libre et libérée), Béatrix affirme savoir parler « sexe » avec ses enfants de manière naturelle. Mais tout est question de distance et Béatrix va trop loin. Pour ne pas faire du sexe un tabou, par son attitude excessivement libre et proche, elle est dans une transgression qui fait perdre à tous les repères.

Les ambiguïtés du père

Si l’on a pu évoquer l’inceste de second degré par le biais de Béatrix quand elle se permet une réflexion sur un aspect physique - et implicitement sexuel - du partenaire de sa fille comme si elle était désireuse de partager le même corps que celui que sa fille désire, ce qui induit le contact entre les deux femmes par le biais d’un troisième terme (tel que le film Fatale de Louis Malle l’avait illustré aussi puisque le père et le fils partagent la même femme), on peut l’évoquer à nouveau dans la relation qui se tisse entre Marc et Charly.

A l’instar de sa femme, Marc pénètre l’intimité de son fils quand il lui fait la remarque ambiguë de ne pas « s’astiquer » trop longtemps sous la douche sous prétexte qu’il n’y a plus d’eau chaude pour les autres. Le terme « astiquer » est équivoque puisqu’il peut être tout aussi bien le synonyme de « se laver » que de « se masturber ». En se permettant de parler à son fils de ses masturbations, c’est pour le père une façon de violer son intimité. C’est aussi de cette manière-là qu’il accueille Martin : « J’espère que tu ne passes pas ta vie sous la douche », donnant immédiatement ainsi le ton de ses préoccupations. Le père pressent d’ailleurs peut-être les troubles divers que va provoquer chez lui l’adolescent, ce dernier faisant figure en quelque sorte d’ange révélateur qui permet à chacun, tel que dans Théorème de Pasolini, de se révéler à lui-même. Marc s’intéresse donc de près à la sexualité de ces jeunes adolescents, ce qui le conduit d’ailleurs à lancer à brûle-pourpoint au premier déjeuner partagé une conversation sur le sida.

Il est aussi à l’affût des douches des garçons et se présente systématiquement derrière la porte quand ces derniers occupent la salle de bain. Marc se trouve donc derrière la porte quand son fils se masturbe sous la douche. Là, il est rejoint par Martin qui est tout excité. Marc le calme et les deux hommes s’endorment sur le lit de l’adolescent. Marc surprend aussi, un autre jour, Martin en train de se masturber sous la douche et, excité à son tour par cette vision, retourne vers sa femme à qui il fait l’amour. Le père en vient de même à s’adonner sous la douche au même rituel que les garçons ; rituel d’ailleurs appuyé par une petite ritournelle presque identique à celle utilisée dans le film Don Giovanni de Fellini au moment où le personnage s’adonne au sexe. Comme coupable de s’être laissé aller à cette pratique qui lui rappelle peut-être des souvenirs qu’il veut oublier ou qui l’excite trop fortement, Marc décide de couper l’eau chaude. Une douche froide remettra les idées en place de tout le monde et lui permettra à lui de refouler ses désirs, pense-t-il.

En coupant l’eau chaude pour éviter les douches et les caresses et aussi de céder à ses désirs, c’est finalement par ce moyen qu’il est précipité le plus directement vers ce à quoi il voulait échapper, c’est-à-dire véritablement ses désirs homosexuels refoulés depuis l’adolescence. En effet, Charly, croyant bien faire, prend l’initiative d’appeler un plombier rencontré sur un lieu de drague homosexuelle, Didier, qui se trouve être l’ancien amant de son père. Le passé revient ainsi à Marc en plein figure (c’est le cas de le dire car Didier lui donne un coup de poing au visage en guise de bonjour) et lui fait pour le coup l’effet d’une douche froide.

La sexualité semble à ce point troubler le père qu’il refuse d’en parler (« Ce sont vos affaires, cela ne me regarde pas ! », dit-il aux adolescents) et qu’il a besoin de décharger sa nervosité en s’activant à des menues tâches quotidiennes : réparer le vélo, ranger le garage, s’occuper du jardin ; décharge subliminale pour endiguer le désir. Quand il affirmera enfin totalement – et déjà à lui-même – son désir homosexuel, il dira assuré : « Y’en a assez que les choses soient propres, rangées ». S’il parle du garage et du jardin, c’est surtout à sa sexualité à laquelle il fait allusion.

Con-fusion

Les parents jouent donc tous deux avec l’ambiguïté et modifient ainsi les rapports familiaux. Les fruits de mer (de mère ?) – dont le père est friand – sont le jeu d’une séduction, dont les victimes sont ici les enfants. La chanson du début (générique) – forte en ce qu’elle est inaugurale et peut ainsi donner une clé de lecture du film qui va suivre - prévient : « fruits de mer, fruits mystère et confusion … ». C’est bien de confusion en effet dont il s’agit ; une confusion qui passe par l’ambiguïté, encore une fois, entretenue par les parents eux-mêmes.

Con-fusion. Fusionner ensemble. C’est pour ne pas perdre ce corps à corps bienheureux des premiers temps que la mère – et le père – entretiennent un lien fort, fusionnel avec leurs enfants et qui, parce qu’il n’est pas élaboré (les enfants n’en sont plus et sont presque des jeunes adultes) finit par conduire à une dérive incestuelle. Il y a confusion entre les générations, entre les sexes aussi (ou en tout cas entre les sexualités) à une période critique où la résurgence du conflit oedipien après la période de latence peut rendre encore plus complexe pour l’adolescent la prise d’autonomie et l’épanouissement affectif (et sexuel) en dehors de la famille.

Dans le même esprit « léger » de la scène de la pluie, la séquence finale de chant et de danse dévoile le propos implicite qui construit le récit. L’épilogue sous forme de « happy end » montre tous les personnages habitant la maison familiale : la famille est recomposée selon le sens de ses désirs assumés. Dans chaque chambre, un couple est reconstitué : Béatrix et son amant, Marc et Didier, Martin et son petit copain, Laura et son nouveau compagnon et Charly seul, attendant l’arrivée de sa copine Julie. Les chambres s’inter-changent, une fois de plus, allègrement et ne semblent ainsi à tout jamais définitivement attribuées. On peut imaginer que d’autres affectations sont encore possibles. Cette re-distribution s’illustre sur le mode de la comédie musicale. Tous les personnages se mettent à chanter et danser et, sous prétexte d’un ballet chorégraphique, s’échangent les partenaires. Tout le monde danse avec tout le monde. Tout le monde passe dans les bras des uns et des autres. La comédie musicale vient apporter une caution d’insouciance et de légèreté (on est heureux, on est en vacances, on est ensemble) par le genre cinématographique reconnaissable mais ce n’est là que le moyen de permettre, l’air de rien, des contacts interdits. L’indistinction règne. C’est la loi du « tout est permis ». Les couleurs des habits s’harmonisent même pour créer à l’infini des couples possibles. Les corps se mêlent et se démêlent dans de multiples combinaisons. Il n’y a plus de loi. La confusion est à son comble (l’image se brouille parfois par la rapidité des mouvements exécutés). L’incestuel s’affiche ainsi. Le symbole en est le chauffe-eau énorme et flambant neuf que Didier, le plombier, a installé dans la maison pour établir définitivement l’eau chaude sans restriction et permettre à chacun finalement d’assumer librement sa sexualité sous le toit familial.

L’incestuel à découvert

C’est donc l’ambiguïté et la confusion dans les rapports que les parents tissent avec leurs enfants, la grande proximité aussi, pour ne pas dire la promiscuité entre les personnages, qui engagent à poser les relations sur un mode incestuel. Un élément est pourtant majeur pour la mise en place de ce type de rapport, c’est la notion de « caché » dont les crustacés et coquillages pourraient être le symbole. Et si le caché joue un rôle déterminant dans la confusion portant à un rapport de type incestuel, il le joue par deux aspects. Le premier, mis en évidence plus haut, fonctionne de manière perverse car c’est un caché qui n’en est pas un. Il en a l’apparence mais au final c’est pour mieux montrer. C’est un « montré » qui ne s’assume pas et qui avance … masqué !

Le deuxième aspect concerne l’idée de secret. Le secret est ici ce sur quoi se fonde la famille. Marc, le père, est homosexuel (ou en tout cas l’a été et peut le redevenir) et a tenu cela secret à sa famille tout comme Béatrix qui cache son infidélité. Le secret caractérise la famille et oblige donc cette dernière à vivre sur le mode du mensonge (Béatrix reçoit un appel de Matthieu et ment à Marc sur l’identité de son interlocuteur) jusqu’à ce que le mensonge soit découvert ; s’il ne l’a pas été déjà d’une certaine façon sur un mode inconscient. Comment se fait-il sinon que Charly lorsqu’il se fait draguer sans le savoir par l’ancien amant de son père, dise s’appeler Marc du prénom même de son père ; ce qui ne peut déclencher qu’un regain de désir chez l’autre à l’évocation de ce doux nom chargé de beaux souvenirs. De même Charly s’amuse à faire d’un mensonge un secret. Il laisse croire en effet à ses parents qu’il pourrait être le petit copain de son ami Martin. Charly, inconsciemment, utilise le mode familial.

Il apparaîtrait que le plus sûr moyen de faire partager quelque chose soit finalement de le tenir secret. « Ce qu’on ne voit pas, on l’imagine », dit en ouverture de film Béatrix à Marc lequel était assuré d’apercevoir le château d’If d’un certain point de vue du paysage. « On va dire que les pins parasols qui ont poussé le cachent », lui répond, complaisante, sa femme.

Ce qu’on ne sait pas, on l’imagine tout autant et c’est bien parce qu’il cache son homosexualité que Marc la dévoile totalement. Mais avant la révélation claire de ses penchants, l’homosexualité est en tout cas ce qui « travaille » la famille souterrainement : la mère pense que son fils est homosexuel, le fils s’interroge certainement sur son homosexualité, joue avec l’ambiguïté par sa chevelure longue peut-être, par le flou en tout cas qu’il laisse planer à ses parents sur la nature de son rapport avec Martin, par des allusions à son ami et aussi par ce jeu avec Didier sur le prénom et la possible séduction. Puis le secret est levé de manière quasi aveuglante pour Charly qui voit littéralement son père avec un autre homme. Charly est d’une certaine façon confronté, une fois de plus, à la scène primitive. Il voit en tout cas ce qu’il ne devrait pas voir. Il est spectateur de la sexualité de son père ; une façon, une fois de plus, d’y participer et d’être ainsi dans une intimité partagée.

Si on ne parle pas d’inceste, c’est en raison d’une absence réelle de corps à corps, d’une absence totale de dimension physique vécue entre les deux hommes mais le lien tissé entre eux par le biais d’un troisième terme (ici Didier) permet de poser sans conteste la nature incestuelle de leurs rapports. Le corps à corps apparemment sans ambiguïté entre Marc et Martin quand le père cherche à calmer la colère de l’adolescent et finit par s’endormir contre lui, inaugurait déjà ce lien singulier au fils.

« Ca ne va pas être facile », dit Marc à Béatrix parlant de la nouvelle situation qui oblige à un repositionnement de tous au sein de la cellule familiale puisque le père assume à présent son homosexualité et sa relation à Didier et la mère son infidélité et sa relation à Matthieu. « Avec un peu d’imagination … » lui répond, légère, sa femme.

Les parents sont solidaires et liés dans leurs petits arrangements familiaux, reste que les enfants en sont les spectateurs et les premières victimes. Une certaine ambiguïté est certes levée (le père et la mère ne cachent plus leurs amants), mais le partage de l’intimité reste le fondement des liens. La famille s’agrandit et le huis clos se resserre.

Myriam Villain

 

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