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26.02.24

Info parution : « Les cinéastes du Diable », par Yann Calvet

Si au cours du 19ème et du 20ème siècles, l’image terrorisante du diable, conservée dans le champ religieux et moral, a perdu de sa puissance dans l’imagination littéraire et dans les illusions de la fantasmagorie, le cinéma va produire de...

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25.09.23

Éclipses N° 72 : Clint EASTWOOD, l'épreuve du temps

Consacré à Clint EASTWOOD, le volume 72 de la revue ÉCLIPSES est actuellement en cours d'impression. Il sera très prochainement disponible sur ce site (en version imprimée et aussi en PDF) ainsi que dans votre librairie préférée. 

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02.12.22

Éclipses n°71 : Invasion John CARPENTER

John CARPENTER a eu un jour pour son propre compte une formule qui raconte beaucoup, tant de son esprit que du statut particulier dont il a écopé : « En France, je suis un auteur. En Allemagne, je suis un cinéaste. En Grande-Bretagne, je suis un...

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Chronique : L'Étrange Festival 2019  

L'Étrange Festival 2019
(L'Étrange Festival, 2019)

Notes sur l'Étrange Festival 2019

par Michaël Delavaud le 23.10.19

Du 4 au 15 septembre 2019 s'est déroulée au Forum des Images à Paris la 25ème édition de l'Étrange Festival, devenu essentiel pour tout amateur de cinéma de genre qui se respecte, ceci à une période où ce pan entier de cinéma fait florès (tant dans les salles que dans les palmarès des grands festivals), alors qu'il était il y a encore peu de temps totalement méprisé par ceux-là même qui semblent aujourd'hui le chérir. Cette reconnaissance actuelle fait plaisir à voir, et permet d'avoir de l'espoir pour la pérennité d'une manifestation qui accueille d'année en année de plus en plus de visiteurs. Survol des moments marquants d'une édition riche et belle.


Compétition internationale

Plutôt que de parler d'une « compétition internationale » dans ce festival de défrichage, nous parlerons ici d'un concours amical où toutes les propositions sont méritantes, ceci du fait même d'être des propositions, des essais certes plus ou moins fragiles ou concluants mais où le cinéma est partout visible. Nous parlerons de cinq films du concours, marquants pour diverses raisons.

Petite sensation du dernier Festival de Cannes, Vivarium repose sur un concept très twilight-zonesque que le réalisateur irlandais Lorcan Finnegan étire sur une heure et quarante minutes, alors même qu'une heure de moins aurait largement suffi. Un couple bien sous tous rapports (elle est institutrice, il est jardinier, et ils sont tous deux compassionnels face aux oiseaux morts tombés du nid, c'est dire !) visite un logement dans un lotissement labyrinthique où toutes les maisons vert pastel se ressemblent. L'agent immobilier disparaît, voilà ce couple prisonnier de cette nouvelle mouture de l'enfer vert (la jungle de Monos paraît accueillante à côté de ce quartier peuplé de vide). Intrigant dans un premier temps par son ton d'abord éthéré et par un humour à froid à la fois assez hilarant et franchement anxiogène (Jonathan Aris interprétant l'agent immobilier, ou encore l'enfant Senan Jennings, semblant tout droit sorti du Village des Damnés, sont vraiment très impressionnants dans le registre unheimlich), Vivarium, gloubiboulga mélangeant Jens Lien, André Delvaux et le théâtre de Beckett adapté par Friedkin,finit par lasser, puis par agacer. Au bout de trois quarts d'heure, Finnegan n'a plus rien à dire ou à filmer de neuf (à part une belle scène dans les soubassements du lotissement), étire son idée forte comme une vieille guimauve pour aboutir, avec la précision d'une horloge atomique trop bien réglée pour être honnête, à un point final sans alternative. Il faut du talent pour être un escroc : Lorcan Finnegan a beaucoup de talent. Tellement de talent que le film gagne le Grand Prix Nouveau Talent de cette édition. Le petit malin a eu le vent en poupe.

Autre lieu d'espoir d'une vie meilleure se changeant en espace cauchemardesque à fuir coûte que coûte, la résidence à la bienveillance malsaine de 1BR de l'Américain David Marmor (dont c'est le premier long-métrage) n'est pas, elle non plus, franchement rassurante. Sarah (Nicole Brydon Bloom) est un jeune oiseau tombé du nid dans le marigot angeleno. Elle visite une résidence de rêve où la gentillesse est commune à tous. Sarah est choisie par les résidents pour être la nouvelle occupante des lieux. Mais l'amabilité générale, suintante, poisseuse, est un écran de fumée dissimulant une vraie communauté malade de son entre-soi.

La force de ce thriller oppressant comme un discours sectaire est de créer une tension assez remarquable sans pour autant en faire trop. Jamais le film ne s'égare sur les pentes savonneuses du trop-plein grand-guignolesque ; jamais 1BR ne cherche l'esbroufe formelle, restant toujours au ras de son sujet (comment une idéologie sectaire de type scientologue endoctrine-t-elle ses proies ?), montrant de manière simple, sèche, directe, la violence exercée sur les corps et les âmes, l'isolement imposé aux disciples forcés de rompre les liens avec les leurs (la scène de rupture familiale est assez terrible), et expliquant comment se faire violence est le seul moyen de rompre avec cette violence première, qu'elle soit physique et/ou psychologique. 1BR, version vicelarde de La Jeune fille de l'eau reconduisant peu ou prou le discours extrême sur l'idée de communauté et de famille développée dans le magistral Midsommar d'Ari Aster, est un petit film très bien senti sur cette idée terrible de la réappropriation des solitudes par les manipulateurs ou autres laveurs de cerveaux fragiles. Cinéma salubre.

La maison de Come to Daddy, vu un peu par défaut pour combler la soirée du samedi et sur lequel nous n'aurions pas misé un kopeck, est, elle, un lieu moins accueillant mais pas moins surprenant. L'argument du film semble avoir été traité mille fois (un garçon qui n'a pas vu son père depuis l'enfance le visite trente ans plus tard, et le moins que l'on puisse dire est que l'accueil n'est pas d'une chaleur humaine inouïe...) ; le metteur en scène, Ant Timpson, réalise ici son premier film (après avoir, certes, écumé la série B et le cinéma bis en tant que producteur) ; Elijah Wood, dont la trogne improbable évoque ici un peu celles du cinéma pas franchement enthousiasmant de Guy Ritchie, ne rassure pas quant au niveau du film. Mais au final, cette série B est l'un des tout meilleurs films vus en compétition cette année, petite pépite dont nous ne dirons rien de plus que l'argument donné plus haut tant le scénario, qui emprunte « l'allure poétique, à sauts et à gambades », « art […] léger, volage, démoniaque » (pour citer Montaigne, les trois épithètes caractérisant parfaitement Come to Daddy), est riche et ludique. Seulement dire qu'il s'agit d'un mélange de comédie à l'humour méchant et cru et de série noire très premier degré, vicelarde et sadique. Avec ce film énergique et plus qu'excellent, Ant Timpson se dévoile d'emblée comme un petit cousin du Ben Wheatley de la première époque. C'est dire si l'on va suivre l'évolution de ce metteur en scène !

Comme lieu clos, le voilier abandonné de The Boat (comme tous les bateaux de ce sous-genre pourtant limité qu'est le thriller maritime) est presque un stéréotype.Réalisé par Winston Azzopardi, interprété par son frère Joe (Azzopardi, donc), écrit par les deux hommes, des Azzopardi divers et variés proliférant dans le générique final à tous les postes possibles et imaginables, The Boat est visiblement une histoire de famille, ce qui semble idéal pour tourner une histoire en vase clos. Fait avec trois fois rien, ce beau film fantastique s'avère finalement être l'une des plus belles réussites de cette édition.

Un homme part en mer sur son canot à moteur pour aller pêcher. Le temps est dégagé puis, soudainement, semble avalé dans une épaisse nappe de brouillard. Dans cette purée de pois, il emboutit un voilier. Inoccupé. Son canot disparaît. Et voilà notre homme à bord d'un vaisseau fantôme qui semble ne plus vouloir le laisser partir...

Ce qui est très fort dans The Boat, c'est le fait de voir à quel point le film ne repose sur rien (jusqu'à en devenir vide et inutile pour certains) : le synopsis tient sur un confetti, l'espace de l'action lui-même est réduit à l'exiguïté de ce voilier plein de recoins de plus en plus resserrés (dont vingt bonnes minutes dans le mètre carré des toilettes du bateau !). Et pourtant, Winston Azzopardi n'ennuie jamais, ceci grâce à une mise en scène parvenant miraculeusement à ne jamais être redondante, grâce à ce véritable talent pour faire du hors-champ un enjeu considérable (les façons de limiter le champ de vision du personnage et du spectateur paraissent illimitées : cloisons du bateau, hublots-meurtrières faisant du regard vers l'extérieur une sorte d'hypothèse, brouillard introduisant le film qui semble programmatique...), grâce à une bande sonore participant de cette vie du hors-champ (par ses craquements et les tintements métalliques des haubans sur les mâts, musique sonore d'un film qui est dépourvu de score, donne l'impression que le navire parle !), grâce enfin à un scénario qui multiplie les situations dramatiques sans que jamais cela ne semble appuyé. Tendu comme une arbalète (la scène du cargo est assez incroyable !), à peine gâché par un dernier plan mal foutu, The Boat, version maritime du Christine de Stephen King (et de John Carpenter), est une franche réussite et une impressionnante leçon de mise en scène.

Dans le cas de Monos du réalisateur colombien Alejandro Landes, œuvre toute en latences, en mystères en tous genres, ne répondant qu'incidemment aux questions que l'on pourrait se poser, c'est le film lui-même qui est un passionnant lieu clos.

Sur un plateau perdu au milieu de nulle part s'abattent des adolescents laissés à eux-mêmes : qui sont-ils ? Où sont-ils ? Quels sont ses étranges jeux, danses et rites païens qui fondent leur micro-société ? Au milieu de cette bande que l'on sent très vite dénuée d'innocence, une Américaine (interprétée par une Julianne Nicholson, qui fait penser ici à un double très convaincant de Tilda Swinton), otage de ces jeunes qui s'avèrent être les soldats de l'Organisation, armée nébuleuse aux actions et objectifs flous. Après un incident au sein de cette armée, tout ce beau monde migre au sein de la jungle, dans une ambiance de plus en plus tendue.

Monos interpelle par son jusqu'au-boutisme, par la radicalité de sa représentation du groupe par le biais de son environnement. A l'ennui d'une armée sans combat mais non sans mission (garder l'otage) répond une abstraction graphique due au chaos vert de la jungle, nourricière (elle nourrit, étanche la soif, protège) et meurtrière (ce monde sans repères est autant un lieu de dissimulation que de perte si l'on ne le maîtrise pas) dans le même élan. Film rude, radical, éminemment romantique (certains plans, extrêmement picturaux, évoquent les plus fameuses toiles de Friedrich), abstrait sans être rebutant et incompréhensible, Monos évoque tout autant Joseph Conrad que William Golding, le baroquisme de Werner Herzog que la rudesse pourtant très humaine de John Boorman. Bref, film impressionnant, dont une seule vision ne suffit pas à faire le tour. Sortie prévue pour mars 2020.

Quelques avant-premières

Parmi le programme fourni en nouveautés, qu'elles soient attendues ou surprenantes, nous nous concentrerons sur trois œuvres marquantes de cette édition 2019.

Considéré avec Ari Aster (pourtant bien supérieur) comme le nouveau nabab de « l'horreur intello » après le très surestimé The Witch (2015), Robert Eggers nous revient avec son second film, The Lighthouse, auréolé d'une réputation flatteuse venue de Cannes et soutenu par ses deux acteurs-piliers que sont Willem Dafoe et Robert Pattinson. La salle, fébrile et pleine comme un œuf, confirme ce que nous pressentions en début de festival : ce film était bel et bien le plus attendu des deux semaines cinéphiles passées au Forum des Images.

Deux hommes, un vieux loup de mer dictatorial au verbe haut et aux pets sonores (Dafoe) et un jeune homme renfrogné et mystérieux employé par l'autre comme une bête de somme (Pattinson), arrivent sur une île pour s'occuper pendant un mois du phare qui l'occupe. Mais par un coup du sort ou par malédiction (selon les croyances), une tempête terrible empêche la relève et condamne les deux antagonistes à la réclusion sur l'île. Jusqu'à la folie.

The Lighthouse est heureusement supérieur à The Witch, Eggers donnant une véritable ampleur à son récit, lui instillant un mystère réel et non plus factice (c'est ce qui empêchait son premier film : une sorte de prétention arty faisant prendre des vessies pour des lanternes, et la vacuité ennuyeuse pour une envie de différer la résolution d'une histoire fantastique dont, dans le fond, on se moquait éperdument), créant une sorte de rapport prométhéen presque littéral entre les hommes et la lumière à la fois régénérante et aliénante de leur phare. Visuellement splendide, reprenant à son compte l'esthétique du muet, qu'il soit expressionniste ou élémentaire (le petit catalogue du Festival compare le film au cinéma de Jean Epstein, et l'on ne peut lui donner tort tant les plans d'éléments déchaînés évoquent Finis Terrae [1929]), une mystique presque dreyerienne, The Lighthouse évoque également le cinéma de Joseph Losey dans sa façon de peindre la relation trouble faite de haine, d'amour et d'humiliation liant les deux personnages.

Cependant, s'il est meilleur que The Witch, The Lighthouse reste bien trop long, étirant inconsidérément un scénario qui ne mérite pas cela, faisant stagner illégitimement un récit qui ne demande qu'à avancer. C'est dans ces moments de creux terribles que Robert Eggers retrouve ce qui provoquait l'ennui prétentieux de son premier film. Lenteur n'est pas preuve de grande œuvre radicale. Ce côté un peu m'as-tu-vu est le travers du cinéma de Robert Eggers qui, s'il s'améliore nettement, devra encore attendre pour nous convaincre pleinement.

Autre film très attendu (ayant laissé du monde à l'extérieur de la salle), double du Vivarium de Lorcan Finnegan, The Room de Christian Volckman (réalisateur du joyau graphique qu'était le film d'animation Renaissance en 2006) parle lui aussi d'un lieu à la fois attirant et maléfique, objet de fascination et de cauchemar. La pièce cachée de la maison fraîchement achetée par un couple bien sous tous rapports (elle est traductrice, il est artiste peintre, et ils s'aiment passionnément même s'ils n'ont pas beaucoup d'argent, c'est dire !) est un peu un avatar du lotissement du film de Finnagan : les deux lieux donnent tout jusqu'à l'aliénation, ils enfantent (d'où l'idée de lieux-corps) et ils enferment irrémédiablement. Car la chambre de The Room est bel et bien un réservoir à fantasmes : telle le Génie de la Lampe, elle accède à tous les désirs de ceux qui la visitent, non sans contrepartie.

Ne pas en dévoiler plus de l'intrigue. Mais l'on peut cependant dire que, commençant sur la base d'un fantastique moral d'ordre presque littéraire (on pense dans le premier tiers du film à certains textes fantastiques de Balzac, de Maupassant ou de Wilde, ou encore au fil directeur de la nouvelle de Dino Buzzati « Le Veston ensorcelé »), le film, d'abord tâtonnant et maladroit, évolue peu à peu vers un cinéma cérébral de haute volée, faisant de la Chambre de la maison un lieu de l'onirisme et de l'Inconscient, espace mental modulable à volonté, idée que Christian Volckman développe de façon originale jusqu'au vertige narratif. De fait, atteignant le niveau stratosphérique de la seconde moitié de l'Inception de Christopher Nolan avec un budget pourtant dérisoire (le film a eu un mal de chien à se financer), le dernier mouvement de The Room est un morceau de cinéma fantastique qui marque durablement les esprits.

Film mémorable, Adoration de Fabrice Du Welz est le troisième film de sa « trilogie ardennaise » (après Calvaire [2004], premier long-métrage abrutissant de brutalité et de noirceur mais montrant une patte de cinéaste craspec à la Lustig jamais vraiment démentie, et Alléluia [2014], revisite barrée, drôle et ultraviolente de l'histoire des « amants de la lune de miel »). Ce troisième volet surprend par sa tendresse dissimulée derrière la marotte pas rigolote du cinéaste belge (le danger de la folie gangrénant tant le réel et ses possibles joies amoureuses que le cinéma lui-même, la beauté du monde étant planquée derrière une photographie à gros grain, à la fois dégueulasse et résolument magnifique, faisant des Ardennes une sorte de double de l'underground new-yorkais des années 70).

Paul (Thomas Gioria, vu dans Jusqu'à la garde et qui a tout d'un nouveau Jérémie Rénier) tombe amoureux de Gloria (Fantine Harduin, vue dans Dans la brume et qui est elle aussi assez impressionnante). Le problème, c'est que Gloria est schizophrène et potentiellement dangereuse. Ce qui ne fait rien pour dissuader Paul de la suivre. Au contraire.

Et Du Welz de dérouler les scènes attendues de façon inattendue (la plus époustouflante étant la scène, courte et foudroyante, du premier regard entre les deux amoureux, moment de stase au beau milieu d'une scène de pure énergie : les deux plans de cette rencontre sont d'une beauté soufflante), de créer un film à la fois stéréotypique du road movie de fuite du monde (parcours hors des sentiers battus, recherche de nourriture, poursuivants entr'aperçus au travers des branches d'une forêt où l'on s'est dissimulé, rencontre fortuite avec des adjuvants...) et contrariant lesdits stéréotypes par la logique interne du personnage malade de Gloria, gouvernail défaillant de l'équipée. De fait, Adoration ressemble à une refonte du Badlands de Terrence Malick, autre récit d'une jeunesse en fuite, poursuivie et condamnée par sa propre violence, et cherchant à se fondre dans la nature pour éviter une civilisation à laquelle ils ne sont pas adaptés. Le nouveau Du Welz est une surprenante sucrerie au goût de sang et de candeur mêlés. Une réussite prouvant que Fabrice Du Welz est un cinéaste important dans le landernau du cinéma de genre francophone.

Un étrange patrimoine

Entre la programmation des vingt-cinq ans, la carte blanche laissée à Jean-Pierre Dionnet et l'hommage rendu au Scala de Londres, cette édition de l'Étrange Festival n'a pas été avare en séances de films plus anciens, de ceux qui inspirent les plus récents, qui les influencent, qui leur permettent d'exister, et qui permettent aux cinéphiles de tous poils d'aimer tous les cinémas. Retour sur trois d'entre eux, bien sûr remarquables.

Présenté par le toujours génial Jean-Pierre Dionnet (conteur devenu lui-même légende, comme une sorte de Liberty Valance de chair et d'os), Réincarnations de Gary Sherman (Dead and Buried, 1981) est un film d'horreur dont la barbarie gore est amusante avant que le propos en tant que tel ne le transforme en une fable vraiment dérangeante sur la relation poreuse entre les états de vie et de mort, cette dernière étant rendue presque préférable (« Il n'y a pas de maladie quand vous êtes mort... »).

À Potter's Bluff, les étrangers qui oseraient s'y perdre tombent comme des mouches. Un photographe en vacances se fait immoler, un pêcheur ivrogne traînant là se fait lacérer, une famille perdue se fait attaquer... Le policier du comté, Dan Gillis (James Farentino), mène obsessionnellement l'enquête.

Écrit par Dan O'Bannon et Ronald Shusett (respectivement scénaristes d'Alien et de Total Recall), laissant à l'immense Stan Winston la responsabilité des effets spéciaux et autres maquillages (« permettant de rendre possible dans les films d'horreur ce qu'il est malheureusement impossible de faire dans la vie réelle », comme l'a déclaré de façon loufoque Dionnet dans sa présentation), Réincarnations possède une équipe de solides artisans du cinéma de genre, faisant de sa violence sans limites de vrais outrages au corps, défiant l'ordre établi de ce qui est montrable comme les personnages du film semblent défier de façon presque divine l'ordre établi de la finitude de la vie. Horreur bricolée d'une efficacité imparable, évoquant autant le Fog de Carpenter que le récit de L'Invasion des profanateurs de sépultures de Siegel et consorts, influence probable du cinéma de M. Night Shyamalan ou d'Alejandro Amenabar, Réincarnations est une série B ludique et terrifiante à découvrir.

Alejandro Jodorowsky est l'une des figures tutélaires de l'Etrange Festival, qui lui a cette année souhaité son quatre-vingt-dixième anniversaire et qui (hasard de programmation !) diffusait aussi son mythique et rare Santa Sangre (1989) au sein d'un court cycle autour du défunt Scala Cinema de Londres.

Fénix (Axel Jodorowsky, fils mime et acrobate du cinéaste) est fou. Il a vu et vécu des choses terribles dans le cirque où il a grandi : l'extrémisme d'une mère trapéziste fondatrice de la secte Santa Sangre ; les errances extra-conjugales d'un père lanceur de couteaux porté sur la bouteille ; la cruauté de la « femme tatouée » envers la petite amoureuse sourde-muette de Fénix dont elle s'occupe à contrecœur ; le massacre familial barbare où la mère mutila le père en train de la tromper avec la femme tatouée, où le père trancha les bras de la mère pour se défendre, ceci sous les yeux du garçon. Fénix est fou et enfermé, donc. Sa mère sans bras l'appelle cependant de l'extérieur de l'hôpital qui le cloître. Il s'évade et part avec elle pour laisser éclater leur vengeance.

Santa Sangre est un film ébouriffant, saturé de beautés et d'excès en tous genres, disloqué, brutal et poétique en diable, ponctué de fulgurances effarantes (le démembrement de la mère, filmé en plongée zénithale, est d'une puissance graphique saisissante ; la mort de l'éléphant est une séquence élégiaque qui ferait pleurer les pierres). Mêlant la poésie circassienne et le bouillonnement de Fellini, les outrances baroques du giallo et un romanesque picaresque typiquement sud-américain, Santa Sangre est un très grand film, dont le retour en grâce (et en vidéo) récent est une bénédiction.

L'Obsédé (The Collector, 1965) est peut-être le dernier grand film de la filmographie touffue de William Wyler. Il marque surtout l'importation d'un certain classicisme hollywoodien « historique » au sein d'une cinématographie britannique plus tournée vers le venin de la série B un brin perverse. De fait, L'Obsédé est un chef-d’œuvre hybride, à la fois formellement classieuse, adoptant tous les codes classiques du film à suspense mais au récit pour le moins troublant.

Freddy (Terence Stamp, avatar flippant d'Anthony Perkins, et dont c'est le troisième film) est un employé de banque maladivement timide et raillé par ses collègues. Il a hérité d'une forte somme et s'est acheté une maison isolée de tout et de tous (ou presque). Il y fait aménager la cave pour que l'on puisse y vivre. Pour quelle raison ? Pour y séquestrer la belle Pamela (Samantha Eggar, impressionnante dans son première rôle marquant), étudiante dont Freddy est tombé amoureux. Follement. Démentiellement.

L'Obsédé semble être l'un des films séminaux de ce sous-genre ultracodé et pourtant passionnant qu'est le « film de séquestration ». L'enjeu est résolument psychologique, bien entendu : tel un survival cérébral, le film de séquestration est dirigé par l'idée de manipulation mutuelle, menant à la vie ou à la mort finales. De fait, tour à tour, la proie devient prédatrice, et inversement. Le film de Wyler semble théoriser ou synthétiser le genre, montrant un personnage faible qui a le pouvoir que lui accorde son imprévisible folie et sa prisonnière forte que la réclusion, ponctuée de multiples chausse-trappes destinés à duper le kidnappeur et à lui rendre sa liberté, va peu à peu épuiser et soumettre. La guerre d'usure mentale que se livrent les duettistes est magnifiquement écrite, équivalente aux grands récits manipulateurs d'Alfred Hitchcock ou aux meilleurs drames vénéneux de Joseph L. Mankiewicz. La dimension sexuelle du film de Wyler (comme pour ceux d'Hitchcock, par ailleurs) est évidente, ici symbolisée par la passion du ravisseur pour les papillons, qu'il capture et épingle au mur comme il le fait de façon érotomaniaque avec Pamela. Etonnant de voir comme L'Obsédé semble créer un item passionnant dans ce symbole du lépidoptère comme cristallisation de la terreur et de la frustration sexuelles (que l'on retrouve, entre autres, dans Le Silence des agneaux de Jonathan Demme [1991], ou dans The Duke of Burgundy du passionnant Peter Strickland [2014]).

Film oppressant, aussi triste que psychologiquement brutal, formellement magistral par son classicisme teinté de gothique (la cave-prison ressemble plus ou moins aux décors de l'antre du Fantôme de l'Opéra de Rupert Julian [1925] !), L'Obsédé est un petit chef-d’œuvre de cinéma de genre trouble, dont on sort un petit peu chose.

Au final, l'édition 2019 de l'Étrange Festival fut d'excellente tenue. Nous attendons déjà avec une impatience non dissimulée la vingt-sixième édition de ce bastion essentiel de la cinéphilie de moins en moins parisienne et de plus en plus nationale.

Michaël Delavaud

 

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