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Éclipses N° 72 : Clint EASTWOOD, l'épreuve du temps

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Critique : L'Heure d'été  

L'Heure d'été
(Olivier Assayas, 2008)

Esthétique de la restitution : les objets en place de l'absent

par Myriam Villain le 06.01.11

« Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? »
Lamartine

« Le cinéma filme la mort au travail »
Jean Cocteau

Elle est là, la patriarche. Belle, pétillante, en pleine santé et heureuse d’être entourée des siens, pour fêter, dans la maison familiale, ses soixante-quinze ans. Elle est là et déjà absente, un peu. A l’image de ce plan, à la faveur duquel, elle reste seule, après le départ de ses enfants et de ses petits-enfants, face à une baie vitrée donnant sur le jardin. Elle demeure assise dans un fauteuil, immobile, jusqu’à la tombée de la nuit. Son corps ne bouge pas dans la pénombre de la pièce : une simple lueur de fin de journée d’été l’éclaire encore un peu. Image annonciatrice de ce qui va suivre ? L’espace d’un moment, ce corps au repos – las, un peu, sans doute, de la journée passée – présage-t-il de ce corps bientôt sans vie ? Et qu’est-ce qui distingue ces deux états au fond ? Rien. L’absence de mouvement les lie déjà, bien au contraire.

La mort. Sa mort. C’est de cela dont Hélène Berthier veut parler en aparté à son fils aîné lors de son anniversaire. « C’est normal de commencer à y penser », dit-elle devant le refus de Frédéric à l’entendre aborder le sujet de sa succession. « Pourquoi parler de tout cela ? » lui rétorque-t-il : la mort semble loin. Mais la mort frappe, quelques mois plus tard.

 

L’objet : quelque chose plutôt que rien

L’heure d’été va donc prendre en charge le récit de cette disparition. Mais que disparaît-il vraiment quand l’être cher s’en va ? Ou bien plutôt, que reste-t-il quand le corps fait à présent, et à tout jamais défaut ? Des souvenirs, des sentiments, des émotions certes (on se souvient des larmes des enfants d’Hélène, celles de Frédéric de retour dans la grande propriété alors que sa mère n’est plus, celles aussi d’Adrienne, sa fille, après la cérémonie des funérailles) mais, bien plus que tout cela – et peut-être parce qu’ils portent en eux ce que l’on vient d’énoncer –, il reste les objets.

Face à l’immatérialité de ce corps perdu, ce corps que l’on ne peut plus toucher, regarder, sentir, embrasser, à qui l’on ne peut plus parler, les objets sont bien là, eux, de toute leur présence concrète, palpable. Ils sont égaux à eux-mêmes. Ils sont tels qu’en le passé. Rien n’a changé. Ils sont ce qu’ils étaient du temps du vivant de la personne, disparue à présent, et, en cela, en sont la trace la plus forte, le témoignage le plus charnel. Une étoffe, un simple tissu, une écharpe (on pense alors au châle offert le jour de l’anniversaire) peut même restituer quelques temps après, l’odeur du corps. Et ce parfum-là rend une part du vivant, son essence, son intime ; l’assurance en tout cas d’une existence, même passée désormais, peu importe.

C’est en effet cela qui se joue d’abord avec l’objet. L’objet est le seul au final à nous assurer qu’il y a eu vie. L’objet atteste d’un vécu. Parce qu’il est là, il renvoie immédiatement à celui qui l’a possédé. Il est la marque évidente, essentielle, unique peut-être de celui à qui il a appartenu car, sans propriétaire, pas d’objet. Sa présence même renvoie donc à celle de l’autre.

La disparition d’un être, par son total effacement physique, peut faire craindre un temps qu’il n’ait jamais existé : seul l’objet, et parce qu’il est là tout simplement, est capable au fond de confirmer son existence passée.

Non seulement, l’objet est la trace du vivant mais il en restitue sa singularité. L’objet n’est pas neutre. Un plateau en argent, immense, veiné comme une feuille d’arbre, n’est pas seulement un plateau en argent d’un grand artiste. Il est aussi LE plateau, celui qui a porté, par exemple, les tasses pour un thé de fin d’après-midi, d’une journée d’anniversaire. Et voilà que subitement l’objet restitue un moment du passé. L’objet, plus que l’utilité qui lui est généralement associée, s’offre surtout ainsi comme un support, comme un réservoir à souvenirs. L’objet est une merveilleuse machine à remonter le temps et une exceptionnelle fabrique à histoires. Des correspondances intimes s’établissent ainsi avec le médium qui le présente ici ; l’objet devenant le double même de l’art cinématographique.

Enfin, l’objet permet aussi et surtout de mettre en place quelque chose là où il n’y a plus rien. L’objet comble tout simplement le vide. Il y avait un corps. Il n’y est plus. L’objet prend sa place ; une façon ainsi de tenir aussi à distance l’absurdité de la mort. L’objet offre en tout cas une belle et nouvelle possibilité aux sens de trouver à se nourrir, et en tout cas, dans un premier temps, une possibilité de s’apaiser de la perte.

L’objet : plus fort que le corps ?

Et si cette permanence du matériel face à « l’im-permanence » de la vie rassure, en maintenant un lien (et un lien pas seulement illusoire : les molécules olfactives sont toujours là par exemple), en gardant un contact avec ce qui n’est plus – plus là dans le temps et plus là dans l’espace –, il y a aussi quelque chose de cruel, d’insultant même et presque d’obscène – en raison d’une forme d’infidélité – à ce que les objets survivent après la mort de leur propriétaire. Leur présence immuable, qui ne semble nullement affectée par l’absence, qui n’en porte en tout cas aucune trace (n’enregistrant, eux, aucun changement), donne tout à coup aux objets une force extraordinaire et une importance démesurée : eux restent, quand l’autre part. Ils ont le pouvoir immense finalement de survivre à la mort. Ils sont immortels. Ces objets inanimés – à qui l’on prête facilement une âme et ce, d’autant plus qu’ils sont porteurs de tout ce que leur propriétaire était, alors qu’il n’est plus – accusent terriblement la mortalité de l’homme.

Peut-être, est-ce pour cette raison-là aussi que les grands pharaons, par exemple, étaient enterrés avec tout ce qui leur avaient appartenu ; moins finalement pour être accompagnés dans l’au-delà par leurs richesses, garantes de leur rang, que, peut-être, pour ne pas laisser à l’inerte la place du vivant : avec l’être ainsi, tout disparaît. Rien, au moins, ne fait le pied de nez de lui survivre.

Ces objets, bien souvent utilitaires, mis là au service de l’homme, pour son confort, pour son bien-être ou pour la Beauté, peu importe – et qui peuvent être méprisés d’ailleurs (un vase de renom, parce qu’il n’était pas reconnu comme tel et surtout parce qu’il ne plaisait pas, était relégué au fond d’un placard) – prennent une terrible revanche. Ils font comme un affront à la mort et s’affirment dans une victoire presque diabolique.

Après la mort d’Hélène, que peut provoquer la vision du téléphone dernier cri qui lui a été offert pour ses soixante-quinze ans et sur lequel est posé un post-it pour qu’elle se rappelle de demander à Frédéric de le mettre prochainement en fonction ? Cet objet vulgaire somme toute (aussi perfectionné soit-il, il n’en reste pas moins que ce n’est qu’un téléphone), attire le regard, est considéré, provoque même l’émotion (l’écriture d’Hélène, sur ce simple mot, accuse son absence par le simple rappel de son existence passée). Cet objet prend toute la place. Il n’a même pas besoin de fonctionner (il n’est même pas branché !) pour occuper, ne serait-ce qu’un court moment, une scène, un plan, l’espace diégétique et filmique. Cet objet absurde, inutile (un téléphone qui ne sert pas en tant que tel et n’a même jamais servi !), est bien là quand Hélène Berthier, elle, a définitivement disparu.

L’objet : acteur de la continuité

Mais passé le temps de cette douloureuse évidence que l’objet reste quand l’être part – et peut-être d’ailleurs en raison même de cette évidence – l’objet, par la part d’immortalité qu’il contient ainsi (car même l’objet en mille morceaux peut encore espérer renaître, à l’image de ce moulage de Degas, cassé, très abîmé, et dont les morceaux avaient été conservés mais sans espoir de réparation et qui, justement, parvient à retrouver son intégrité par la restauration, plus d’une trentaine d’années plus tard), l’objet donc, a la charge d’assurer une forme de survivance, rendant possible, par son support concret, la restitution du souvenir, essentiel au témoignage d’un vécu. Une forme d’alchimie opère de la sorte. Le vivant a donné sens et vie à l’objet par son acquisition, sa possession, son utilisation, ou même pourquoi pas, par sa fabrication (si l’on pense à la création de l’œuvre picturale de Paul Berthier) ou encore par sa préservation car, justement, Hélène, la patriarche, a consacré sa vie à préserver et diffuser l’œuvre de son oncle défunt. L’objet, toujours là, rend au vivant, une forme de présence, après sa disparition. Ami fidèle finalement, plutôt que traître, l’objet entretient une continuité.

Et l’on sait gré à l’objet de cela. On le chérit peut-être plus qu’il ne faut. On le veut à nos côtés. Adrienne s’entoure donc de quelques objets de sa mère après sa disparition. Frédéric, lui, veut tout garder, symbolisant à l’excès cette position. Pour la femme de maison qui repart avec un vase précieux dont elle ignore la valeur et qui lui a été donné comme remerciements de ses services pendant tant d’années, l’objet – par ignorance certes, mais aussi parce que l’affect domine – n’a vraiment qu’une valeur sentimentale ici mais, ô combien, essentielle pour faire vivre l’autre à ses côtés quand ce dernier n’est plus.

Et c’est dans la reprise et la répétition de l’utilisation de l’objet, que la continuité est la plus évidente. Lorsque la femme de maison revient dans la grande propriété, elle apporte des fleurs. Comme jadis, elle les met dans un vase et les pose sur un bureau. « Elle aimait des fleurs dans chaque pièce » dit-elle en parlant d’Hélène. L’objet, parce qu’on s’en sert comme avant, est remis à sa place en quelque sorte ici. Il est utilisé pour sa fonction première, un simple contenant. Il reprend le cours de sa vie d’objet, si l’on peut dire. Et c’est la vie, en même temps, qui reprend normalement son cours. Hélène n’est plus. Hélène a été. Hélène, dans ce simple geste de disposer en son souvenir des fleurs, est encore là, mais à sa juste place ; celle que permet un deuil accompli finalement.

Objets de valeur ou valeurs de l’objet

Peu importe que nous n’ayons pas véritablement parlé jusque-là des objets de L’Heure d’été comme étant des objets d’art. Car c’est ce qu’ils sont. C’est ce que le réalisateur a voulu qu’ils soient. Peut-être, par une forme de redondance, pour démultiplier la valeur qu’ils détiennent à la disparition du défunt ; valeur affective surtout comme on vient de le signaler et valeur marchande aussi ici bien sûr. D’ailleurs, le cadet, Jérémie, à l’inverse d’Adrienne ou de Frédéric, ne prête aucune valeur sentimentale à l’objet, n’en réclame du reste aucun et s’intéresse plutôt à sa valeur marchande, ayant besoin de liquidités.

Ainsi, avec les trois enfants, Olivier Assayas affirme trois positions ; la position médiane étant incarnée par la fille. Adrienne n’est pas dans la douleur de son frère aîné à devoir se séparer de la grande propriété familiale et de la plupart des objets. Elle n’est pas non plus dans, semble-t-il, une forme d’indifférence à tout cela comme peut l’être Jérémie, et cherche plutôt, par le biais de quelques pièces d’art qu’elle emporte avec elle, à emmener une part de sa mère, personnelle, intime, totale, inaliénable, éternelle, enfin ; position raisonnable (s’il en est) face à l’irrationnel de la perte et de la douleur qu’elle engendre, position qui réconcilie le passé, le présent et le futur et permet surtout le deuil. Sans que l’autre ne tombe dans l’oubli, on peut ainsi commencer à accepter sa disparition.

Qu’en est-il vraiment de Frédéric qui s’arc-boute dans son refus de se séparer de quoique ce soit, qui voudrait au contraire garder tout, intact, jusque dans l’emplacement des choses, telle que la mère en avait décidé, tel qu’il l’avait toujours connu ? Cette difficulté à couper avec un temps passé (avec son enfance peut-être aussi et là, il s’agit d’autre chose ; la disparition de la mère l’obligeant alors à se confronter à lui-même, dans toutes ses parts intimes), l’abstrait du présent (il ne se rend pas compte que sa fille, jeune adolescente, vole, fume des joints, couche avec des garçons) et surtout lui barre tout avenir. Que peut-il espérer vivre d’autre que de faire exister perpétuellement, par son acharnement à ne rien changer, sa mère dans un refus total de sa disparition ? Plus qu’un fantôme gênant, la mère pourrait alors jusqu’à prendre la place du vivant, et conduire le fils, comme dans Psychose d’Hitchcock, a être littéralement possédé.

Et l’apparente indifférence de Jérémie (on ne le voit pas pleurer aux funérailles de sa mère, on ne lui connaît pas d’émotions particulières) qui le porte d’ailleurs à réclamer rapidement la vente de tout le patrimoine, ne s’attachant à rien, ni au lieu de l’enfance, ni à un quelconque objet, est-elle sobriété de l’affect, sagesse et maturité (Jérémie aurait intégré déjà psychologiquement la disparition et n’utiliserait aucun expédient pour atténuer la perte et entamer un travail de deuil) ou bien cette indifférence – qui ne serait que de surface et qui fait craindre, un temps, en un certain cynisme –, ne révélerait-elle pas plutôt un déni total du réel (la mort de la mère) que cautionnerait la fuite qu’il organise (Jérémie s’installe à l’étranger pour travailler et vivre avec sa famille) ? Il partirait ainsi pour se couper de ce qu’il ne veut pas voir, de ce qu’il ne veut pas vivre (car c’est pour lui trop douloureux), et s’arrangerait pour justifier sa position – à savoir, réclamer sa part du patrimoine – par ce départ lui-même (Jérémie veut que tout soit vendu parce qu’il ne reviendra pas dans la maison familiale vu l’éloignement et parce qu’il a besoin, pour sa nouvelle installation, d’argent) ?

L’objet d’art : un sujet d’art (cinématographique)

Les objets, dans L’heure d’été, ont le premier rôle. Ce sont eux après tout qui remplacent l’absent. Ce sont eux qui continuent, d’une certaine façon, la présence à l’image de celui disparu. Ils se substituent au corps perdu, ils l’incarnent en quelque sorte. Ils deviennent ainsi personnages à part entière ; le personnage lui-même donc et qui n’est plus. Ils en sont toutes les facettes ; chaque objet prenant en charge une part de cet autre qui fut. On assisterait ainsi à une réification inversée. L’objet perd son statut d’objet et devient sujet à part entière, c’est-à-dire autant propos du film que personnage.

L’objet d’art, plus que l’objet du quotidien, permet de faire exister davantage celui qui le possède ou l’a possédé. Car parler d’un Corot par exemple, c’est parler aussi de celui – heureux homme ! – qui le détient et qui a le statut ainsi de collectionneur privé, sollicité de temps à autre, par les plus grands musées, pour des prêts pour des expositions temporaires. Parler d’une œuvre d’art – une vitrine ou un bureau Majorelle –, c’est en tout cas parler d’un objet avec un nom propre, celui de son créateur. C’est lui conférer une existence à part entière. Et c’est peut-être là toute l’ingéniosité du réalisateur. Que les objets soient des objets d’art, c’est mettre en place derrière l’objet celui qui l’a créé. C’est donc mettre en place derrière l’objet une personne. La substitution peut d’autant mieux opérer : l’objet devient véritablement ainsi un sujet.

Les objets, parce qu’il sont ici les représentants d’un autre qui n’est plus (créateur ou propriétaire, peu importe), sont aussi une belle métaphore du cinéma lui-même qui utilise le corps de l’acteur mais n’en restitue que l’ombre (ou la lumière, c’est comme on veut). Voir un personnage à l’écran, c’est voir en même temps l’absence d’un corps (celui de l’acteur) ; les projections lumineuses en sont une sorte de double, complice. Elles sont en tout cas ce qui reste quand le support même de la fabrication de l’image n’est plus ; tout comme l’objet dans L’heure d’été est ce qui signe une existence, mais qui est révolue.

L’objet : métaphore du cinéma

L’heure d’été n’est pas un documentaire sur une succession, dans le sens notarial du terme. S’il devait être un documentaire, il le serait sur la disparition, et plus encore, sur la substitution ou même la restitution. Face à l’absence du corps, sa matérialité, seuls les objets sont capables de rendre compte encore de quelque chose de palpable, de physique. Comme en une translation mathématique si A a touché B et que A disparaît, B contient A. Mieux encore, B se substitue à A et, se substituant à lui, le restitue. L’objet est donc plus que lui-même. Une transmutation a eu véritablement lieu. Il est devenu l’autre. Seul garant au fond de son existence passée, il acquiert ainsi une valeur inestimable. La valeur marchande des objets (puisque, encore une fois, il s’agit ici principalement d’objets d’art) ne vient que symboliser, dans une sorte de dédoublement, cette valeur-là, c’est-à-dire cette restitution par l’objet de la présence physique d’un corps, disparu. L’objet prend donc la place, toute la place.

L’objet devient donc aussi cette belle métaphore du cinéma lui-même. Il est là pour dire l’absence et pour tenter, en même temps, de restituer quelque chose de cette présence passée.

En choisissant de raconter ce qui se passe après la disparition d’un être cher, Olivier Assayas cherche surtout à confronter le cinéma avec lui-même. Car, que peut-il mieux raconter, le cinéma, que la mort ? Le cinéma ne se constitue-t-il pas lui-même sur la perte ? Le déroulement filmique n’est en effet possible que dans l’idée de l’effacement ; une image ne pouvant apparaître qu’à la disparition de la précédente. Cette volatilité de l’art cinématographique a de franches résonances ainsi avec celle de la vie elle-même.

Et c’est dans ce jeu « d’apparition-disparition » que le cinéma tient toute sa force. Un procédé qui joue avec le temps et avec l’espace. Ce qui était là le temps d’avant ne l’est plus mais peut réapparaître le temps suivant. C’est sur cela d’ailleurs que les premiers cinéastes – dit du cinéma primitif – ont construit la majeure partie de leurs œuvres. Pensons à un Georges Méliès, qui tel un prestidigitateur, s’amusait à faire apparaître (ou disparaître), en l’espace d’un plan, objets ou personnages ; un effet comique ou fantastique pouvait alors découler de cette mise en scène.

Et avant cela, si les premières scènes filmées ont tant subjugué les spectateurs, c’est surtout pour le pouvoir d’apparition qu’elles dégageaient. Voir ou revoir ce qu’on croyait disparu, perdu pour toujours (la sortie de l’usine des ouvriers, le repas de bébé, l’entrée du train en gare de la Ciotat, etc.), cela conférait à ces images en mouvement un pouvoir magique, presque diabolique, puisque les notions de temps et d’espace, encore une fois, étaient ainsi complètement bouleversées. Le cinéma ayant le pouvoir de jouer avec cela, détient en quelque sorte le pouvoir de jouer avec la vie et la mort.

L’heure d’été raconte une histoire (de cinéma) mais aussi l’Histoire du cinéma, dans ce qui le constitue au plus profond de lui-même, car à travers cette succession – l’héritage de Hélène Berthier que ses enfants doivent se partager – c’est bien la question de la continuité qui est posée et qui concerne, de manière ontologique, l’art cinématographique.

Myriam Villain

 

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