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26.02.24

Info parution : « Les cinéastes du Diable », par Yann Calvet

Si au cours du 19ème et du 20ème siècles, l’image terrorisante du diable, conservée dans le champ religieux et moral, a perdu de sa puissance dans l’imagination littéraire et dans les illusions de la fantasmagorie, le cinéma va produire de...

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25.09.23

Éclipses N° 72 : Clint EASTWOOD, l'épreuve du temps

Consacré à Clint EASTWOOD, le volume 72 de la revue ÉCLIPSES est actuellement en cours d'impression. Il sera très prochainement disponible sur ce site (en version imprimée et aussi en PDF) ainsi que dans votre librairie préférée. 

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02.12.22

Éclipses n°71 : Invasion John CARPENTER

John CARPENTER a eu un jour pour son propre compte une formule qui raconte beaucoup, tant de son esprit que du statut particulier dont il a écopé : « En France, je suis un auteur. En Allemagne, je suis un cinéaste. En Grande-Bretagne, je suis un...

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Critique : La Bataille de Solférino  

La Bataille de Solférino
(Justine Triet, 2013)

Sur les nerfs

par Michaël Delavaud le 23.10.13

Pour son premier long métrage, Justine Triet frappe un coup d’autant plus puissant que son film, tourné à vif dans la rue et dans deux appartements parisiens, ne paie pas de mine. Derrière la modestie apparente se dissimule un souffle que l’on pourrait presque qualifier d’épique et un étonnant talent à capter l’air du temps. Tendu comme une arbalète, La Bataille de Solférino est une suite de micro-évènements qui partent en vrille au sein d’un dimanche qui, lui-même, ne se passe pas de façon idéale. Justine Triet se fait donc ici la portraitiste d’une société bouffée de l’intérieur par son mal-être, provoquant ainsi un profond malaise chez chacun de ses membres, ainsi que leur colère perpétuelle et dévastatrice.

 

La vie privée dans l’espace public

 

Nous sommes le 6 mai 2012 ; Laetitia (Laetitia Dosch), journaliste pour I-Télé, est réquisitionnée par la chaîne d’infos en continu pour couvrir en direct la journée électorale qui verra François Hollande devenir Président de la République. Elle laisse ses enfants à Marc (Marc-Antoine Vaugeois), un jeune baby-sitter mollasson et un peu déphasé. C’est le jour que choisit Vincent (Vincent Macaigne), l’ex-compagnon très colérique de Laetitia et père des enfants, pour harceler tout ce beau monde afin de revendiquer son droit de visite…

Ce qui épate d’emblée dans La Bataille de Solférino est sa capacité à embrasser le réel sans chercher à le farder, sa façon de le dramatiser de façon aussi discrète qu’implacable avec trois fois rien ; deux enfants qui pleurent, l’arrivée d’un baby-sitter évaporé à T-shirt Snoopy qui semble ne rien comprendre aux règles posées par la mère des fillettes, un homme qui fait le pied de grue en bas de l’immeuble où s’agitent tous les personnages, la réaction épouvantée de la femme lorsque le type en bas de l’immeuble l’appelle, les indications qu’elle donne au baby-sitter perdu pour que le fameux type, décrit comme « dangereux », ne rentre pas dans l’appartement… Tout est absolument quotidien dans cette ouverture, tout y est banalement terre-à-terre et pourtant, tout semble se mettre en place pour transformer cette journée (et donc ce film) en une catastrophe en vase clos. Le talent de Justine Triet est de ne pas se contenter d’apporter sa pierre à ce cinéma d’intérieur parisien qu’on a tendance à beaucoup voir en ce moment (cinéma dont les films de Sophie Letourneur sont les exemples les plus frappants), préférant faire sortir l’ouragan privé et intime qui bouleverse tout ce réseau de personnages dans l’espace public, en l’occurrence dans la foule s’étant massée en ce jour électoral devant le siège du Parti Socialiste Rue de Solférino pour célébrer la victoire (alors potentielle) de François Hollande.

L’émigration de la bataille à taille humaine du titre vers la rue se déroule en deux temps ; la première étape est téléphonique : le baby-sitter, harcelé au téléphone par Vincent (qui appelle en boucle et raccroche sans ne jamais parler), informe en temps réel Laetitia de l’évolution de la situation entre chacun de ses directs (durant lesquels elle informe en live les téléspectateurs de l’évolution de la situation au sein de la foule socialiste), jusqu’à ce que le père des enfants parvienne à pénétrer l’appartement. Second temps : Laetitia, de moins en moins opérationnelle du fait du stress que provoque en elle sa situation personnelle, fait venir le baby-sitter et ses enfants au sein de la foule compacte afin de les protéger de Vincent qui, ne lâchant rien, va semer le désordre en public en interpellant son ex-femme devant les caméras en direct et en tentant d’enlever ses enfants. Cette mixité entre privé et public, cet entremêlement entre fiction et réel crée une tension incroyable basée sur une imprévisibilité de tous les instants. « On avait bien préparé mais on ne peut jamais tout prévoir. [...] J’étais persuadée que les gens comprendraient qu’il s’agissait d’un vrai tournage. […] Or les gens ont vraiment cru que Laetitia était en direct à la télé. Cela mettait les acteurs dans une position d’inconfort dans le jeu, ils étaient pris dans ce qui se passe autour d’eux. L’homme qui s’interpose devant Vincent, c’est vraiment un type du PS qui venait secourir Laetitia. », dit Justine Triet dans l’entretien qu’elle a accordé aux Cahiers du Cinéma de septembre 2013.

 

De bruit et de fureur

 

La réalisatrice explique ici ce qui fait de La Bataille de Solférino un film si passionnant : en inscrivant la fiction dans une certaine forme de cinéma direct (Justine Triet a d’ailleurs fait ses armes dans le documentaire), elle contamine ce réel de la tension extrême interne à l’histoire de Laetitia et Vincent. Par là-même, elle dévoile un état d’énervement global sous-jacent, qui ne demande qu’à exploser. La mise en scène de Triet cherche cette tension et la scrute sous tous les angles ; le film en est un condensé frappant, presque épuisant. Dès le départ, les pleurs et les cris des enfants braillards de Laetitia envahissent de façon crispante la bande sonore, rendant inintelligibles les propos entre leur mère et son nouveau compagnon flagorneur, Virgil (Virgil Vernier), ou faisant des règles données au baby-sitter une suite de phrases inaudibles qui ne pourront donc pas être appliquées à la lettre. Aussi horripilants qu’une craie crissant sur un tableau, ces vagissements ininterrompus donnent le ton d’un film bruyant, qui ne fait rien pour être aimable, et ceci à dessein (« On a même rajouté des cris et des pleurs au montage son ! », déclare Triet dans le même entretien aux Cahiers).

Toutes les situations de La Bataille de Solférino sont donc vouées à dévisser et à plonger dans le désordre : le film est structuré par la montée en pression de personnages qui vont pouvoir exploser dans une séquence de dispute incontrôlée aussi longue que mémorable entre Vincent et Laetitia. Les micro-évènements composant la globalité du récit dévissent eux-mêmes : la visite clandestine de Vincent à ses enfants, entamée dans la douceur de l’amour paternel, se termine dans les hurlements de colère de Vincent, éjecté manu militari de l’appartement par un voisin costaud ; les pérégrinations de tous les personnages dans la foule se concluent par l’interpellation de Vincent par la police après qu’il a tenté d’enlever ses enfants et qu’il a molesté un militant socialiste s’interposant entre lui et une Laetitia affolée ; la tentative de médiation entre les deux protagonistes par l’avocat de Vincent, Arthur (Arthur Harari), tourne au pugilat puéril où pleuvent les beignes et les insultes. La dernière scène du film est de ce point de vue très parlante et résume le film : Arthur et Vincent se retrouvent, en pleine nuit, à manger dans un troquet chinois ; les deux, apaisés et hilares, plaisantent, rient, se moquent gentiment de l’accent très prononcé de la patronne du restaurant. Et Arthur de dire soudain à Vincent : « Tu es mon ami mais tu es indéfendable ». Tout est dans cette séquence finale : la paix et la joie recèlent en elles leur envers, qui finit par se révéler et gâche la fête de façon brutale et glaciale.

L’agressivité qui prédomine dans le film n’est pas uniquement la propriété de la fiction ; certaines images captées à chaud par Justine Triet le soir de la victoire de Hollande, ressemblent à des instants de crise. A la joie et aux hourras de la foule ondulante à la porte du siège du PS a succédé la fin de soirée à la Bastille, où de jeunes fêtards très alcoolisés s’en sont alors pris aux CRS et ont commencé à grimper sur les statues de la place ; une fois l’endroit vidé, on peut constater que de cette soirée de liesse, il ne reste que les débris de bouteilles jonchant le pavé parisien. Plus tôt dans le film, avant l’annonce des résultats, Triet enregistre le débat houleux entre un communiste vindicatif et un jeune militant UMP arrogant, excusant son opposant en disant de façon goguenarde qu’« il est bourré ». Qu’il soit conscient ou inconscient, voulu ou non, l’antagonisme règne en maître, l’agressivité est omniprésente et ne demande qu’à pointer le bout de son nez. De fait, en captant cette réalité-là avec une intensité parfois insoutenable due à son rapport étroit au réel, La Bataille de Solférino est peut-être le seul film d’auteur français de ces dernières années où l’on peut ressentir les mêmes émotions, la même peur sourde qui retourne froidement les tripes que provoquent les bons films d’épouvante.

 

Statu quo

 

Ce qui effraie encore plus est que ces séquences d’agressivité qui scandent la vie des divers protagonistes du film sont amenées à être réitérées encore et encore, tournant en boucle, ne réglant aucun problème, semblant ne pouvoir déboucher sur aucune solution ni aucune perspective d’avenir. La séquence pleine de tristesse suivant la médiation ratée et la violente dispute entre Vincent et Laetitia en est une preuve. Apaisée, la jeune journaliste laisse partir son ex-mari en lui faisant la bise et lui disant « à bientôt », alors même qu’elle l’insultait et le giflait quelques minutes auparavant ; Vincent, qui a cassé les pieds de tout son entourage durant tout le dimanche pour avoir le droit de passer du temps avec ses filles, se satisfait des photos des enfants qu’il peut prendre alors qu’elles sont endormies et ne peuvent pas le voir et vivre avec lui. Le cycle de la tension et de la frustration s’est de nouveau déclenché ; après l’explosion de violence qui a eu lieu dans la séquence précédente, les personnages recommencent à se contenir. Et donc à faire monter la pression. Là est peut-être le sens profond de la dernière réplique du personnage d’Arthur : Vincent n’est-il pas indéfendable (de même que Laetitia) du fait qu’il sera amené perpétuellement à faire exploser son agressivité ?

La Bataille de Solferino est donc un film dont le bruit et la fureur dissimulent mal la profonde tristesse et l’intense désespoir. Ce désespoir un peu névrosé est parfaitement porté par tous les acteurs du film, dont Vincent Macaigne, qui domine une distribution pourtant absolument remarquable. Etonnant héritier du Jean Yanne dramatique et gueulard qu’on pouvait croiser chez Pialat (Nous ne vieillirons pas ensemble) ou Chabrol (Que la bête meure), Macaigne est ici prodigieux. Présence à la fois comique, inquiétante et déchirante, il est symptomatique de ce film atypique, aussi simple que complexe, aussi quotidien qu’épique, aussi enthousiasmant qu’éreintant. Splendide, en somme.

Michaël Delavaud

 

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