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26.02.24

Info parution : « Les cinéastes du Diable », par Yann Calvet

Si au cours du 19ème et du 20ème siècles, l’image terrorisante du diable, conservée dans le champ religieux et moral, a perdu de sa puissance dans l’imagination littéraire et dans les illusions de la fantasmagorie, le cinéma va produire de...

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25.09.23

Éclipses N° 72 : Clint EASTWOOD, l'épreuve du temps

Consacré à Clint EASTWOOD, le volume 72 de la revue ÉCLIPSES est actuellement en cours d'impression. Il sera très prochainement disponible sur ce site (en version imprimée et aussi en PDF) ainsi que dans votre librairie préférée. 

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02.12.22

Éclipses n°71 : Invasion John CARPENTER

John CARPENTER a eu un jour pour son propre compte une formule qui raconte beaucoup, tant de son esprit que du statut particulier dont il a écopé : « En France, je suis un auteur. En Allemagne, je suis un cinéaste. En Grande-Bretagne, je suis un...

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Critique : Les Herbes folles  

Les Herbes folles
(Alain Resnais, 2009)

Vous m'faites mal

par Michaël Delavaud le 07.01.11

Trois ans après Cœurs (2006), brillante comédie humaine engourdie par sa propre froideur et contaminée par la dépression et la frigidité de ses personnages, Alain Resnais nous revient avec Les Herbes folles, grand film malade. L'expression n'est pas ici à considérer dans son sens truffaldien (film gangréné et rendu bancal par ses propres ambitions, par son propre trop-plein) mais dans son sens le plus littéral : en effet, le dernier Resnais est un vrai chef-d'oeuvre passablement dérangé du ciboulot.

Une femme quelconque, Marguerite Muir (mais est-elle si quelconque avec un nom pareil ?), se fait voler son sac à l'arraché par un jeune homme en rollers, lequel laisse le portefeuille de Mme Muir dans le parking d'un centre commercial, à côté d'une roue du véhicule de Georges Palet. En voyant la photo de Marguerite sur sa licence d'aviation, Palet se trouve envoûté, puis obsédé par cette femme dont il ne connaît pourtant que le visage...

Comme le dit la voix off du narrateur omniscient de cette histoire, d'un évènement somme toute banal (le vol du sac à main) va se créer une bascule, un changement irréversible. De ce point de vue, Resnais retrouve pour Les Herbes folles les questionnements existentiels de son Smoking/No Smoking (1993). Les deux oeuvres traitent du même sujet : l'évolution d'une vie influencée par une série de stimuli extérieurs. Une fois encore, à l'instar du professeur Laborit dans Mon Oncle d'Amérique (1978), film curieusement réflexif, Resnais fabrique des dispositifs, et y laisse s'ébattre ses personnages afin d'expérimenter, d'analyser de façon quasi scientifique les aléas de l’existence, par définition sans réponse nette et fiable. Quel est cette fois-ci l'objet d'étude d'Alain Resnais ? L'amour, ou plutôt les contingences de la vie, les coïncidences et leurs incidences amenant deux personnes à se croiser et, éventuellement, à s'aimer.

Ce qui précède ne doit cependant pas nous faire douter : Les Herbes folles n'est pas une reprise du Hasards et Coïncidences de Lelouch (1998). Loin de l'académisme et des facilités de ce dernier, Resnais fait exploser son sujet par la seule force de son formalisme un peu barré, tantôt flottant et aérien, tantôt frénétique. Cette mise en scène décalée et d'une bizarrerie loufoque, cette narration trouée comme une meule d'emmenthal semblent influencées par l'écriture elliptique de Christian Gailly, auteur du roman L'Incident dont Les Herbes folles est l'adaptation. Elles semblent aussi et surtout être une sorte de représentation sensible de cette tempête sous le crâne de Georges Palet, personnage trouble et étrangement inquiétant incarné par un André Dussollier époustouflant. La mise en scène des Herbes folles comme le personnage principal du film ont tous deux cette capacité à partir en vrille sans crier gare, dans une sorte de défi constant à la logique et à la raison. La scène dans laquelle Palet tergiverse pour savoir comment aborder Marguerite Muir est de ce point de vue assez parlante. Au lieu d'utiliser une voix off dévoilant les hésitations du personnage, Resnais la matérialise concrètement, incruste l'image de Palet faisant quelques essais téléphoniques à l'intérieur même d'un plan où l'homme conduit sa voiture. Ces incrustations, en plus d'être formellement audacieuses, sont une marque du caractère hautement cérébral du film et de ce personnage qui l'incarne parfaitement, ici clairement marqués par leur dualité : une face quotidienne, classique, normale (le plan), une face véritablement névrosée (le plan dans le plan).

De fait, en inscrivant sa dangereuse excentricité dans une réalité tangible (véracité des lieux, description minutieuse de la quotidienneté et de son vide parfois abyssal), Les Herbes folles n'est pas sans évoquer un certain style surréaliste. On retrouve ce style dans la mise en scène de Resnais, par exemple dans les premières apparitions magrittiennes de Marguerite Muir (Sabine Azéma, aussi géniale que Dussollier), dont nous ne voyons pendant les cinq premières minutes du film que les pieds (filmés avec un inexplicable érotisme, un peu à la façon d'un Buñuel) ou la chevelure rouge orangée, ceci avant de voir son seul visage émergeant de son bain et ainsi séparé du reste de son corps. On le retrouve dans cette alternance simultanément amusante et oppressante entre le caractère flottant de certains plans (le gros plan récurrent sur la sac à main dérobé, comme suspendu dans les airs) et les brusques montées en frénésie de certaines séquences (le montage soudainement épileptique constitué de plans zoomés pendant l'interrogatoire de Palet par les deux policiers), dans cette réalisation radicalement libre, aux portes de l'anarchie formelle. On le retrouve enfin dans ce finale déroutant et suivant la logique du coq-à-l'âne, dans lequel une petite fille inconnue pose à sa mère cette énigmatique question : "Quand je serai un chat, je pourrai manger des croquettes ?" Avis aux fanatiques d'interprétations tordues...

On retrouve aussi ce surréalisme dans le traitement du véritable sujet du film : l'amour (ou plutôt les contingences de la vie, les coïncidences et leurs incidences amenant etc...). Encore une fois, les modalités de la rencontre entre Marguerite et Georges sont basées sur des situations tout ce qu'il y a de plus banal : un vol d'un sac à main, un portefeuille retrouvé, le retour de l'objet à la police et à sa propriétaire. Mais cette banalité fonde un amour littéralement fou, une violente obsession amoureuse du même type que ceux de certains films hitchcockiens, ou plus récemment que celui filmé par Cédric Kahn dans L'Ennui (1998). Une obsession dévorante, aliénante, générant frustration et souffrance.

Le mot est lâché : souffrance est le mot-clé des Herbes folles, film dont la légèreté n'est qu'une façade. Les deux personnages s'aiment donc d'un amour fou, mais jamais (ou presque) ensemble. La première partie du film voit Marguerite rejeter Georges, la seconde Georges rejeter Marguerite ; la détresse névrotique des deux personnages engendre des réactions sur le monde qui les environne, comme une sorte de somatisation destructrice : Georges lacère les pneus de l'incroyable voiture de Marguerite pour l'empêcher de se dérober une nouvelle fois, Marguerite transfère sa douleur dans la bouche des patients qu'elle martyrise en dentiste perturbée qu'elle est. Cette séquence, au demeurant très drôle, est peut-être la plus importante du film : Resnais monte en boucle et de façon rapide la douleur d'une dizaine de patients charcutés, douleur symbolisée par un bref plan de leur main, nerveusement ouverte par la souffrance physique, accompagnée de cette phrase, se transformant en une litanie qui pourrait être la devise du film : "Vous m'faites mal !" Dans cette séquence, Alain Resnais verbalise à la fois la douleur des patients et ce qu'elle prolonge, c'est-à-dire la profonde souffrance sentimentale des deux amants. Cette somatisation attaque bien entendu aussi le film lui-même ; la narration et la forme emprunte de déraison sont en effet contaminées par la folie amoureuse que Les Herbes folles a mis en place. L'alliance, la jonction des deux amours fous annonce une fin certaine ; ceci est littéralement formalisé, pendant un baiser de cinéma accompagné d'une musique pompière de studio hollywoodien et du mot "fin" lumineux incrusté au centre du plan. C'est effectivement bien la charge érotique de ce baiser volé, additionnée à une braguette ouverte (un rien graveleuse, cette ultime blague ne manque pas de piquant) qui provoquera la (petite) mort de personnages enfin épanouis.

A la fois lyrique, romanesque, absurde et psychotique, d'un aboutissement formel ahurissant, Les Herbes folles est un chef-d'oeuvre de plus dans la filmographie presque sans faute d'un cinéaste de quatre-vingt-sept ans qui, au bout de plus de soixante ans de carrière, parvient encore et toujours à surprendre. On peut toujours débattre pour savoir s'il s'agit de l'un de ses meilleurs films (la réponse semble positive), mais Resnais n'avait sûrement pas atteint ce niveau de perfection depuis douze ans et On connaît la chanson (1997).

Michaël Delavaud

 

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