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25.09.23

Éclipses N° 72 : Clint EASTWOOD, l'épreuve du temps

Consacré à Clint EASTWOOD, le volume 72 de la revue ÉCLIPSES est actuellement en cours d'impression. Il sera très prochainement disponible sur ce site (en version imprimée et aussi en PDF) ainsi que dans votre librairie préférée. 

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02.12.22

Éclipses n°71 : Invasion John CARPENTER

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Chronique : L’Étrange Festival  

L’Étrange Festival
(L'Étrange Festival, 2016)

Cabinet de curiosités

par Michaël Delavaud le 18.10.16

L’adage dit que la curiosité est un vilain défaut. Faux ! Les curiosités que nous avons vues lors de la 22ème édition de l’Étrange Festival, qui s’est tenue du 7 au 18 septembre 2016 au Forum des Images (et au Cinéma des Fauvettes dans le 13ème arrondissement parisien), ce genre de curiosités qu’on ne croyait retrouver que dans les cabinets qui leur sont dévolus, n’était majoritairement pas vilaines, et étaient même parfois pleines de qualités.

La programmation massive n’est pas pour nous contredire : une compétition d’une grosse vingtaine de films, une plus petite vingtaine d’avant-premières hors compétition, une sélection documentaire de huit films, deux cartes blanches octroyées au musicien post-rock Jaz Coleman (qui a eu la riche idée de programmer le rare Equus de Sidney Lumet [1977]) et à l’artiste-illustrateur Stéphane Blanquet, une programmation de films engagés intitulée « À la liberté à la mort ! » (dans laquelle on a pu voir ou revoir l’immense Les Chevaux de Dieu de Nabil Ayouch [2012], grand récit clinique d’une radicalisation religieuse faisant bien sûr écho avec nos temps troublés, ou encore le chef-d’œuvre de Koji Wakamatsu, l’inconfortable United Red Army [2007]), une sélection de quatorze classiques pour fêter les 120 ans de la Gaumont, ainsi que deux rétrospectives, consacrées à Andrzej Zulawski et à Frank Henenlotter. Sans parler des courts-métrages… Heureusement que la coupe n’est jamais pleine ! Retour, forcément parcellaire, sur la nouvelle édition de ce festival devenu incontournable.

Le Pape de la 42ème Rue

Cinéaste fétichisé par les vendeurs de VHS à la sauvette dans les années 80-90, puis tombé dans les oubliettes cinéphiles avant de revenir à la charge il y a quelques années dans le documentaire (That’s Sexploitation ! [2013]), Frank Henenlotter renaît de ses cendres : éditions DVD de ses films (chez Carlotta), article de six pages dans Les Cahiers du Cinéma estivaux, et ce focus de quatre films programmé par l’Etrange Festival… Ne serait-ce pas, finalement, l’année Henenlotter ?

De loin, ce cinéma d’horreur fauché et rigolard, résolument eighties, flirtant sans vergogne avec la série Z, n’hésitant jamais à affronter le grotesque pour représenter ses monstres parfois dérangeants (Belial, le siamois difforme de la saga Basket Case, met très mal à l’aise), semble être un simple cinéma du samedi soir, la filmographie de Henenlotter une suite de potacheries faites pour rire et pour en rire tout en se créant ce petit frisson que le splatter movie vise à susciter. Il est certes cela mais il n’est pas que cela ; le penser serait rester à la surface d’un cinéma bien plus profond que ses bricolages et son allure triviale ne pourraient le montrer.

Basket Case (1982) raconte l’histoire d’un jeune homme, Duane (Kevin Van Hentenryck), marchant dans le quartier de Time Square, avec un panier sous le bras. Dans ce panier, il porte son frère siamois, Belial, un monstre simplement doté de ses bras, d’une tête et d’une mâchoire acérée. Les deux frères veulent se venger de ceux qui les ont séparés. Outre les scènes de massacre (par moments vraiment drôles), Basket Case est aussi l’occasion pour Frank Henenlotter d’arpenter le New York interlope : néons blafards des enseignes de sex shops éclairant les trottoirs jonchés de déchets, hôtels miteux peuplés de personnages vociférants et plus ou moins honnêtes, prostituées et junkies sont la toile de fond d’un film-matrice dans la carrière de son auteur. Matrice car cette peinture du New York des bas-fonds et de la marginalité, il va s’y atteler de film en film, avec obstination.

L’histoire de son film suivant réalisé en 1987, Brain Damage (Elmer le remue-méninges en français), est déjantée à souhait : un jeune homme, Brian (Rick Hearst), se lie d’amitié avec un ver géant qui parle, Elmer ; ce ver a le pouvoir de délivrer à l’envi une substance proche du LSD dans le cerveau de son possesseur. En échange de cette drogue, Brian devra lui trouver à manger. A savoir qu’Elmer se nourrit essentiellement de cervelle humaine… Outrancièrement outrancier, Brain Damage est aussi une radicalisation du tableau new-yorkais de Henenlotter : Brian est un personnage de la déchéance, un garçon qui sombre dans la dépendance à la drogue et qui acceptera les pires choses (les morts violentes provoquées par la faim d’Elmer, dont une scène hilarante de « fellation » mangeuse de cerveau !) afin de pouvoir consommer sa dose. Jeune garçon bien sous tous rapports, il traînera dans les bouges remplis de skinheads et de prostituées, dans les casses automobiles et les couloirs crasseux du métro afin de nourrir sa dépendance et son ver-dealer. Derrière le film aux allures de série Z se cache une œuvre noire sur l’american scum, pour paraphraser le titre d’une chanson du groupe LCD Soundsystem.

Frankenhooker (1990), film parodique bien sûr inspiré du roman de Mary Shelley, trace le même sillon. Un savant doucement fou, Jeff Franken (James Lorinz) perd sa dulcinée dans de tragiques circonstances (un terrible accident de tondeuse à gazon). Ayant conservé la tête de son aimée, il va chercher à la reconstituer en mieux, avec les plus opulentes parties des corps de diverses prostituées. Cette femme composite sera Frankenhooker (Patty Mullen, modèle de charme pour Penthouse et qui s’avère une actrice comique exceptionnelle), dont les diverses parties du corps garderont l’esprit en colère des prostituées abusées et tuées. Plus qu’une peinture du Time Square sordide des années 80 ravagé par les méfaits du crack (la drogue mal dosée fabriquée par Franken pour appâter les filles en manque les fera exploser !), Frankenhooker est un film criant son amour respectueux pour les prostituées, d’abord considérées par le héros comme des objets dont il pourrait prendre quelques pièces pour réparer et tuner sa propre femme, puis comme des corps (certes démembrés) en rébellion contre cette dépossession. On a taxé Henenlotter de misogynie à l’époque de la sortie du film aux Etats-Unis. À tort : Frankenhooker est justement le film féministe d’un homme condamnant finalement son héros sexiste à vivre dans le corps d’une femme, corps jusqu’ici méprisé et considéré comme une simple mécanique presque cartésienne. On n’est pas très loin du Blake Edwards de Dans la peau d’une blonde (Switch, 1991).

Le second volet de Basket Case (1990), réalisé de façon concomitante avec Frankenhooker, finit de définir le véritable enjeu du travail de Henenlotter. Dans Basket Case 2, Duane et Belial, recherchés par la police et par la presse à sensations, trouvent refuge dans la maison de Granny Ruth (Annie Ross), qui abrite dans son grenier une communauté de monstres dans laquelle les deux frères vont peu à peu s’intégrer. À la fois mis au ban d’une société dont ils seraient de toute façon rejetés et acceptés par une drôle de philanthrope, ces monstres aussi étrangement rassurants que difformes et meurtriers forment une galerie de personnages à nul autre pareil, et pourraient presque symboliser à eux seuls le cinéma de Frank Henenlotter, mis au ban du cinéma traditionnel mais acceptés par une frange de cinéphiles amateurs de cinéma aussi amusant que violent et bricolé. On voit que le cinéaste voue à ce type de personnage une tendresse infinie car finalement, il est des leurs. Qu’est-ce que le cinéma de Frank Henenlotter sinon un hymne aux marginaux de toutes sortes, mis à l’écart d’une société cruelle et elle-même monstrueuse, et que le réalisateur, dans une démarche presque burtonienne, remet avec la grâce de la série Z sous le feu des projecteurs ?

Adolescence carnassière

En version plus propre sur elle, moins bricolée et plus moderne, Transfiguration de Michael O’Shea pourrait être l’héritage de ce cinéma des bas-fonds. Milo (Eric Ruffin) est un jeune garçon étrange, qui vit seul avec son frère vétéran dans un quartier défavorisé régi par les gangs, qui ne parle à personne, qui est le souffre-douleur de son école et qui, accessoirement, tue des gens pour leur sucer le sang. Relecture habile et post-moderne du mythe du vampire, Transfiguration est avant tout le portrait d’un adolescent très mal dans sa peau, à la fois socialement mort dans un environnement socialement mort et reprenant vie en vampirisant littéralement le monde. Tel un vampire, thématique qu’il connaît par cœur et dont il semble connaître tout le paradigme, Milo est donc un mort-vivant, un être exsangue qui croit exister en consommant l’autre. Sans raconter la fin (le film sort prochainement), Transfiguration, film social désespéré et volontairement déceptif, faisant de la lutte des classes voire de la lutte des communautés (la banlieue est habitée par les Noirs, Milo n’assaille que des Blancs) son véritable sujet de fond, tente de faire du genre vampirique un pur fantasme, une vaine tentative d’évasion d’une réalité trop dure à vivre. Milo aime les films de vampires réalistes (il le répète à tout bout de champ) ; ce réalisme lui-même est un fantasme car le réel, lui, n’aime pas les petits vampires.

Grave de Julia Ducournau semble être une sorte de double de Transfiguration. Précédé d’une réputation à la fois élogieuse et sulfureuse (trois jours avant sa projection parisienne, le film aurait fait s’évanouir des spectateurs au Festival de Toronto !), Grave raconte l’histoire de Justine (Garance Marillier, jeune actrice très intense), adolescente mal dans sa peau. Végétarienne, elle est forcée lors d’un bizutage de manger un bout de rein de lapin cru. Ce qui déclenche chez elle l’envie de manger plus, et encore plus de viande. Jusqu’au cannibalisme. Etonnant mélange de teen movie à la française, de réalisme made in FEMIS et d’horreur pure telle qu’on en trouvait dans la première partie de la carrière de David Cronenberg, Grave est le récit initiatique et libertaire d’une adolescente qui lève toutes les barrières : familiales, sociales, morales. Petit oiseau tombé du nid dans un inframonde brutal (l’école vétérinaire vue comme un lieu hiérarchisé régi par l’humiliation des aînés bizuteurs, le mépris de professeurs omnipotents ou la relation amour-haine d’une grande sœur étudiante et un rien sadique), Justine (de Sade ?) devra littéralement bouffer cet Autre aux multiples visages avant que l’Autre ne la bouffe symboliquement. De fait, les scènes très frappantes de cannibalisme ne sont qu’une façon brutale pour la jeune fille de s’inscrire dans un environnement social lui-même cannibale. Grave est un véritable espoir : un vrai film d’horreur qui, d’une part, ne cherche jamais à singer les modèles américains et qui, d’autre part, reste thématiquement très français. Cela s’appelle un vrai film de genre français, et on croyait qu’à l’instar du dodo, cette espèce était définitivement éteinte. D’où la vraie joie de voir une étincelle de vie de ce côté-ci du cinéma hexagonal.

Amours assassines


Etonnant de voir à quel point la chair était triste cette année à l’Etrange Festival. À quel point la sexualité, de façon récurrente, était torturée, anxieuse, névrosée, vectrice de mort et de prise de tête.

La Regiòn Salvaje du Mexicain Amat Escalante en est un bon exemple. Une jeune femme pénètre dans une famille mexicaine où tout fout le camp : la mère de famille désabusée ne désire plus son mari qui lui fait l’amour mécaniquement, le mari trompe sa femme avec le frère homosexuel de celle-ci… L’inconnue va rouvrir tout ce petit monde aux « joies » de la chair en leur présentant une bête pleine de tentacules enfermée dans une cabane au fond d’un bois. Mais une bête reste une bête… Passant en parallèle au Festival de Venise (où il a gagné le Lion de la Mise en Scène), la presse a beaucoup parlé du rapport esthétique entre le film d’Escalante et le porno hentai, alors que La Regiòn Salvaje aurait bien plus à voir avec le très beau et très noir Possession d’Andrzej Zulawski (1981), lui-même projeté à l’Etrange Festival le lendemain de la première du film mexicain.

Là où le film de Zulawski est complexe, le film d’Escalante est nébuleux. La folie d’Isabelle Adjani dans Possession, son amour pour la chose tentaculaire cloîtrée dans un appartement abandonné de Berlin-Est, sa façon d’être presque possédée par l’espace (la fameuse et médusante séquence de possession dans les couloirs du métro, pour laquelle Zulawski aurait demandé à Adjani de « faire l’amour avec l’air ») sont les composantes d’un grand geste politique et utopique, une façon de se débarrasser des carcans aussi bien conjugaux qu’idéologiques d’une époque gangrénée par la violente division bipartite de Berlin. On peut tout mettre dans cet être indéterminé que l’on peut interpréter à l’envi ; on peut surtout y voir une bouffée éphémère de liberté dans un monde oppressé. Ephémère car les utopies n’ont qu’un temps. Même les utopies communistes : le Mur tombera huit ans après le film.

La Regiòn Salvaje creuse, lui, le sillon du cinéma d’Amat Escalante, pas moins politique. De film en film, Escalante dresse le portrait très noir d’une société mexicaine ne s’exprimant que dans la violence inhumaine (rappelons-nous les complaisants Los Bastardos [2009] ou Heli [2014]). Ce nouveau film ressemble à une sorte d’apaisement dans sa carrière, atteignant par instants une vraie grâce graphique qu’on ne lui connaissait pas vraiment (la scène étrange de l’accouplement de la mère de famille avec la bête n’est pas sans distiller un véritable érotisme détraqué). Mais il n’empêche qu’Escalante ne fait rien d’autre que de développer ses marottes : la brutalité des rapports humains qui, n’existant plus, tendent à devenir des rapports animaux ; la sclérose des sociétés, quelles qu’elles soient. En s’apaisant et en développant une sorte de métaphore obscure autour de cette pieuvre érotique, le cinéma d’Escalante, paradoxalement, devient plus explicite : la liberté de ses personnages passera par le fait d’assumer leur devenir-animal, quitte à ce que ce devenir-animal les assassine. La vision pessimiste et doloriste du monde et du sexe est contestable mais le cinéma d’Escalante gagne en honnêteté, ce qui fait de La Regiòn Salvaje son meilleur film.

Le sexe est histoire d’amour ; quand l’amour lui-même devient dérangé, le sexe devient impossible. C’est tout l’enjeu de Pet de l’Espagnol Carles Torrens. Seth (Dominic Monaghan) travaille dans un chenil. Il est célibataire endurci et maladif. Il retrouve Holly (Jennette McCurdy), une ancienne camarade de classe, qui le rejette. Il l’enlève et l’enferme dans une cage du chenil. L’amour est ici vu comme une possession, non plus mystique comme chez Zulawski, mais physique et concrète, à enfermer pour ne pas qu’il s’échappe. Le film se serait arrêté sur cette idée et se serait contenté de la développer, il aurait pu devenir intéressant. Mais le scénario, ressemblant à un work in progress écrit au jour le jour sur le tournage, préfère faire de la victime un nouveau bourreau et du bourreau une nouvelle victime, dans une inversion des rôles déjà vue ailleurs et en mieux (film-référence : The Servant de Joseph Losey [1964]). Ponctué de séquences gratuitement violentes et d’incohérences en tous genres, Pet sombre peu à peu dans le ridicule jusqu’à devenir une véritable catastrophe. Plus que décevant.

Le sexe est donc triste, l’amour est donc torturé, tout ceci étant le symptôme d’une société malade. Nous en viendrions presque à douter de nos expériences personnelles disant que l’amour peut être source de bonheur, que l’acte sexuel peut être instant de désir et de plaisir. Heureusement que le japonais Wet Women in the Wind de Akihiko Shiota était là, il a pu lever tous nos doutes ! Petite chose cinématographiquement nulle, pink eiga activé par les ressorts un peu éculés et bêtas de la rom com (ou inversement : une rom com activée par les ressorts éculés et bêtas du pink eiga), cette mignardise érotique enthousiasme par son épicurisme histrionique, par l’esprit de fête qui l’irrigue du premier au dernier plan. Ce coup de vent frais sur la représentation de l’acte charnel, jusqu’ici plombée, a l’immense mérite de donner le sourire et l’envie de vivre pleinement. Pour paraphraser Hemingway, le corps est une fête !

C’est dans les vieux pots…

… qu’on fait les meilleures soupes. L’Étrange Festival est et reste un festival de cinéma de genre(s). Le principe même d’un film de genre est d’être constitué d’une série de codes, qu’il appliquera ou dépoussièrera selon son projet profond. Tout semble avoir été fait, ces films semblent donc être peu ou prou des reprises de précédents. La question étant celle-ci : peut-on prendre du plaisir devant un film qu’on a l’impression d’avoir déjà vu mille fois ? Réponse : oui.

Prenons l’exemple de War on Everyone (titré en français Au-dessus des lois, titre programmatique) de John Michael McDonagh. Ce buddy movie avec un duo déjanté de flics borderline composé d’un flic WASP au langage vert mais seul et dépressif (ici Alexander Skarsgård) et de son collègue moins WASP, au langage aussi vert mais vivant tranquillement en famille et assurant la sécurité des siens (ici Michael Peña), duo indissociable car soudé au fer de l’amitié, nous l’avons en effet déjà vu : dans les années 80-90, on appelait cela Lethal Weapon et c’était réalisé par Richard Donner (de 1987 à 1998). La recette n’a pas varié d’un iota : scènes de poursuite avec voitures qui glissent et pneus qui crissent, scènes de drague par un beau gosse ersatz de Martin Riggs qui préfère ici boire plutôt que d’être suicidaire, violence ludique, punchlines qui punchent (la meilleure, quand l’un des deux lit son journal : « Il y a eu 240 morts dans un tremblement de terre au Pérou. – Mais ça intéresse qui ? – Ben… les Péruviens. ») et récit gentiment familialiste. La recette n’a pas varié mais War on Everyone est comme un plat qu’on aime et qu’on nous sert bien préparé : on sait ce qu’on va manger mais on ne peut s’empêcher de savourer. Aucune surprise mais le divertissement est excellent.

De même, on a l’impression de connaître par cœur Détour de l’Anglais Christopher Smith (qui avait réalisé les bons Creep [2004] ou Severance [2006]). Exercice de style empruntant autant aux Coen qu’au Bryan Singer des débuts, Détour raconte l’histoire d’un jeune homme falot (interprété par Tye Sheridan, ado qu’on a vu grandir sur les écrans et qui devient un homme) qui engage une petite frappe accompagnée d’une strip-teaseuse désabusée pour tuer son beau-père, qu’il rend responsable du coma de sa chère mère. Bien sûr, rien ne se passe comme prévu… Christopher Smith, doté d’une intrigue emberlificotée, se plaît à vouloir encore compliquer les choses, à grands coups de flashbacks, flashforwards, split screens, ellipses tranchantes comme des rasoirs… Quelques scènes s’avèrent intenses (la séquence de la mort du beau-père est très belle), le film dans son ensemble se laisse regarder mais il n’empêche qu’on peut être un peu dérangé par l’ambition performative et tape-à-l’œil d’un film qui se laisse par moments manger par sa propre prétention. Ce qui est franchement dommage.

Certains films sont archi-référencés mais ne ressemblent finalement à rien de véritablement connu. C’est le cas de Sam Was Here du Français Christophe Deroo. Sam (Rusty Joiner) est un vendeur qui fait du porte-à-porte dans le désert. Personne ne lui ouvre, il est seul. Son unique compagnon de route est la voix de l’animateur réac de la seule émission de radio diffusée dans ce désert, animateur qui incite ses auditeurs à pourchasser le kidnappeur d’une petite fille… et qui fait accuser l’étranger Sam. Lequel doit alors se défendre contre des assaillants qu’il ne connaît pas. Survival aux allures presque beckettiennes, Sam Was Here est un agglomérat de beaucoup de choses : du Carpenter par-ci (celui d’Assaut [1976]), du Quentin Dupieux par-là (pour cette façon presque surréaliste de filmer chaque recoin du vide désertique d’une façon anxiogène), pas mal d’Alexandre Aja époque La Colline a des yeux (2003) saupoudré de Spielberg première période (on pense à Duel [1971] pour cette violence mortifère sans visage : la seule assaillante visible sera d’ailleurs défigurée) et de cette thématique toute hitchcockienne de l’accusé à tort. En résulte un film d’horreur brutal et surprenant, nerveux, graphiquement splendide. Le scénario a beau battre de l’aile dans ses dix dernières minutes, il n’empêche que Sam Was Here a été l’un des moments les plus étonnants de cet Étrange Festival.

Dans le genre recyclage, The Neighbor de l’Américain Marcus Dunstan valait lui aussi le détour. Lui aussi inspiré par une thématique hitchcockienne archi-rebattue (les sanglants problèmes que rencontrent les personnages du film proviennent du fait qu’ils espionnent leur voisin flippant à la longue-vue !), The Neighbor tourne peu à peu en une sorte de thriller malsain. John (Josh Stewart) constate que sa femme Rosie (Alex Essoe) a disparu. Il soupçonne son voisin bizarre (Bill Engvall, une sorte de Loïc Le Floc’h-Prigent redneck et creepy) de l’avoir enlevée et pénètre dans sa maison. En visitant la cave, il retrouve sa femme (et plein d’autres personnes) enfermée dans une cage (une constante de cette édition, après Pet !). L’évasion, si elle doit avoir lieu, ne se fera pas sans mal : le voisin et ses fils sont particulièrement retors. Film hitchockien se transformant en un mélange très réussi du Hostel d’Eli Roth (2006) et de The Call de Brad Anderson (2013), The Neighbor est une série B parfaite. De celle qu’on aime découvrir au Forum des Images d’année en année.

Bedéphilie

Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt : l’Étrange Festival, grand-messe des genres cinématographiques, du cinéma bis voire ter, lieu de culte de la cinéphagie, est un évènement attirant les geeks de tous poils. Dans ce temple païen où s’ébattrait avec délice Jeff Albertson, le vendeur de B-D des Simpsons (auquel certains festivaliers ressemblent d’ailleurs de façon troublante !), il est logique que le 9ème Art y trouve une place à part entière. Trois films vus pendant la dizaine ont un rapport étroit avec la bande dessinée.

Officer Downe, premier film réalisé par Shawn Crahan (percussionniste masqué du groupe Slipknot), est l’adaptation d’un graphic novel ultraviolent. Car oui, Officer Downe, flic surpuissant réincarné à l’envi par une police au bout du rouleau et dont il est l’arme la plus puissante (comme une sorte de Chappie de chair et d’os, pour le comparer au robot du film de Neill Blomkamp), est ultraviolent. Il sort ses punchlines tout droit sorties de films de Chuck Norris ou d’interviews de Jean-Claude Van Damme, il se fait tuer à chacune de ses sorties face aux méchants méchants méchants gangsters, il est réparé, réincarné à chaque fois et c’est reparti pour un tour. Le personnage-titre du film, flic surhumain qui meurt plus que les humains, surpuissant par inadvertance mais globalement inefficace (malgré ce que veut nous faire croire le film), est particulièrement inapte à susciter le moindre intérêt. De fait, le film, qui ferait esthétiquement passer Zack Snyder pour Carl Theodor Dreyer, n’en suscite pas beaucoup lui non plus. Soyons plus directs : Officer Downe est un très mauvais film.

Avec son scénario écrit sur un post-it, The Bodyguard de l’artiste martial chinois Yue Song (celui-là même qui se filme en train de se battre contre des ours pour s’entraîner et teaser ses films : allez voir cela sur Youtube, c’est un spectacle surréaliste !) est lui aussi adapté d’une bande dessinée, ce qui se ressent dans sa mise en scène. Le début du film fait un peu peur ; ce genre de film, évidemment, dépend essentiellement de la mise en scène des combats, et c’est peu dire que le premier d’entre eux, monté au hachoir électrique, est particulièrement laid et illisible. Mais cohérent quant à son matériau d’origine, chaque plan d’une demi-seconde sur un pied frappant un torse ou une main cognant une joue pouvant signifier le temps de regard sur une case illustrée (chaque changement de séquence dans le film montre d’ailleurs l’espace filmé dans son format griffonné). Le reste est plus rassurant : les scènes d’action suivantes, pour certaines assez impressionnantes (une scène de course-poursuite endiablée, entre autres), nous permettent de passer un bon moment d’art martial. Pas inoubliable mais estimable.

Jeeg Robot, film italien de Gabriele Mainetti est, lui, beaucoup plus intéressant. Enzo (Claudio Santamaria) est une gouape minable, abreuvé aux films porno et se nourrissant essentiellement de Danette vanille (!). Un jour qu’il fuit la police, il entre en contact avec des produits chimiques. En Peter Parker du pauvre, il passe une sale nuit, mais le lendemain, hop !, il a des superpouvoirs. Dont il va profiter pour doubler les mafias locales… Là où le film de Mainetti est très fort, c’est qu’il use des codes inhérents au film de superhéros afin de pervertir le genre : le superhéros n’en est justement pas un, utilisant ses grands pouvoirs (qui devraient appeler des grandes responsabilités, selon une vieille antienne) pour s’enrichir égoïstement. En mêlant le genre superhéros à la brutalité du film de mafia (deuxième versant du film très efficace), Mainetti se permet même d’ancrer l’américanité du genre dans un contexte local qui lui va comme un gant tout en le désacralisant. Mélange épatant de respect et d’iconoclasme, le film retombe sur ses pieds grâce à une troisième composante : l’histoire d’amour détraquée entre Enzo et Alessia (Ilenia Pastorelli, actrice époustouflante), la jeune fille d’un collègue de la petite frappe, psychologiquement diminuée et qui voit en ce superhéros l’incarnation de Jeeg Robot, le personnage d’un anime qu’elle regarde en boucle comme un enfant sucerait son pouce pour se protéger. Par cette histoire d’amour, Mainetti montre qu’il a tout compris au genre superhéros, genre fleur bleue par excellence. Personnage égoïste (son premier acte charnel en est la preuve), Enzo devient un vrai héros, par amour pour sa belle. De fait, Jeeg Robot, film geek pas loin du mélo, devient, de façon surprenante, vraiment poignant.

Succès phénoménal en Italie, représentant transalpin pour la prochaine cérémonie des Oscars, Jeeg Robot a aussi remporté (ex aequo avec l’indonésien Headshot, pas vu) le Prix Nouveau Genre de cette 22ème Édition de l’Étrange Festival. Ce succès est logique : le film est un petit chef-d’œuvre.

Pour information, le Prix du Public est revenu à Alejandro Jodorowsky pour sa Poésie sans fin. Et pour conclusion, le plaisir de voir un festival grossir à vue d’œil d’année en année sans perdre son âme voire en s’y accrochant contre vents et marées, le plaisir de voir dans cette 22ème édition une version très supérieure à l’édition précédente… Le plaisir, celui qui dirige tout. Tout simplement.

Michaël Delavaud

 

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