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26.02.24

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Si au cours du 19ème et du 20ème siècles, l’image terrorisante du diable, conservée dans le champ religieux et moral, a perdu de sa puissance dans l’imagination littéraire et dans les illusions de la fantasmagorie, le cinéma va produire de...

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25.09.23

Éclipses N° 72 : Clint EASTWOOD, l'épreuve du temps

Consacré à Clint EASTWOOD, le volume 72 de la revue ÉCLIPSES est actuellement en cours d'impression. Il sera très prochainement disponible sur ce site (en version imprimée et aussi en PDF) ainsi que dans votre librairie préférée. 

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02.12.22

Éclipses n°71 : Invasion John CARPENTER

John CARPENTER a eu un jour pour son propre compte une formule qui raconte beaucoup, tant de son esprit que du statut particulier dont il a écopé : « En France, je suis un auteur. En Allemagne, je suis un cinéaste. En Grande-Bretagne, je suis un...

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Chronique : L’Hypothèse du Mokélé-Mbembé  

L’Hypothèse du Mokélé-Mbembé
(Marie Voignier, 2011)

Film fleuve

par Florent Barrère le 25.11.12

Au-delà de l’enquête attendue sur le Mokélé-Mbembé – animal symbole de la cryptozoologie (« science des animaux cachés ») –, le premier long métrage documentaire de Marie Voignier pose l’hypothèse du temps comme élément de travail : temps difficile de la quête pour l’explorateur Michel Ballot à la recherche de sa vérité scientifique sur la créature ; temps mystique de la parole indigène ; passé trouble d’un colonialisme autoritaire. Le fleuve, témoin du temps qui s’écoule et du passage des hommes, à la fois lieu d’observation scientifique et d’habitation des pygmées, semble le motif paysager récurrent de cette énigmatique traversée sur les terres du Mokélé-Mbembé.


De la plasticienne à la cinéaste


L’hypothèse du Mokélé-Mbembé, montré depuis plus d’un an dans les festivals (FID Marseille, Entrevues Belfort, FIF Rotterdam) et le milieu scientifique (Muséum d’Histoire naturelle de Paris, Colloque européen de cryptozoologie) trouvera finalement le chemin des salles obscures le Mercredi 07 Novembre. Quinze jours seulement après l’excellent Into the Abyss (2011) de Werner Herzog (sortie le 24 Octobre), le film de Marie Voignier est sans aucun doute l’un des documentaires les plus forts de la rentrée. Il a pourtant suscité un réel décalage entre la communauté cryptozoologique (qui s’attendait à en voir plus sur la bête…) et le milieu du cinéma (critiques souvent élogieuses du film). Cette ambiguïté est constitutive du film, tant la cinéaste Marie Voignier ne traite pas frontalement de l’énigme (zoologique ou mythique) soulevée par le Mokélé-Mbembé. Dans la forme, Marie Voignier ne renie pas son talent de plasticienne : dénué d’interviews et de musique extradiégétique, le film se concentre avant tout sur la beauté des plans,  les ambiances sonores et la qualité des scènes rejouées. Les séquences aux abords du fleuve sont exemplaires de cette démarche : image léchée, hors-champ sonore, poésie de la durée et des climats changeants. A ce titre, l’aspect brumeux du fleuve et sa menaçante quiétude sont captés avec talent par Marie Voignier [1]. Est-ce pourtant suffisant pour faire un film de cinéma ? Comment passer de la performance muséale au long métrage documentaire ? Comment une artiste contemporaine reconnue se mue-t-elle en cinéaste ? Nos doutes, légitimes, s’apaisent vite face à un traitement exemplaire du temps.

 

Or quelle durée a le temps en Afrique noire ? A-t-il la même densité pour tous ? Est-il perçu différemment par les pygmées Baka et les occidentaux ? Cette énigme récurrente sera abordée par le prisme de l’identité biologique du Mokélé-Mbembé, animal digne d’intérêt scientifique mais englué dans son imaginaire préhistorique. Et le Mokélé-Mbembé, pour les Congolais, semble aussi être un animal élusif, à l’identité zoologique floue : « Dans une année, il ne sort que deux fois » confesse un pisteur pygmée (32ème minute). Comment rendre le Mokélé-Mbembé palpable, concret, existant au sein de ce monde ? Deux supports sont alors convoqués : les fiches scientifiques de Michel Ballot et les dessins naïfs des autochtones. Les portraits-robots du scientifique semblent retors : ils convoquent trop souvent l’imaginaire préhistorique (voir fantastique) du brontosaure. Les indigènes subissent un trop grand déferlement d’images à digérer, toutes inférées au discours scientifique sur la réalité biologique de cet animal. Un autochtone désarme ainsi le public en lançant l’air de rien : « Comment vous pouvez dessiner quelque chose que vous n’avez pas encore vu ? » (42ème minute). De ce complexe mode opératoire (témoignages, portraits-robots), Marie Voignier choisit en cinéaste de s’intéresser uniquement aux croquis des pygmées : la caméra accompagne harmonieusement les mouvements de la main d’un témoin, qui forme sous nos yeux sa représentation subjective du Mokélé-Mbembé (11ème  minute) [2]. Ici et maintenant se cueille la vérité, dans l’acte-même de dessiner. Néanmoins, la sorte de « serpent-dinosaure » ici esquissée semble ressortir d’une construction mythologique élaborée.


Du numérique à la vidéo


Le fleuve, hypothétique biotope de la créature, s’impose dans la durée, s’émaillant de bivouacs sur les berges et de rencontres individuelles.  A ce titre, le rattachement esthétique aux grands films fleuves de Werner Herzog comme Aguirre, la colère de Dieu (1972) et Fitzcarraldo (1982) est entièrement assumé par Marie Voignier (voir les entretiens accordés à Nicolas Bardot, Film de culte, 1er novembre 2012). Ces références évoquent en nous la folie conradienne tapie sous cette immense forêt tropicale. Mais le protagoniste du documentaire n’est pas pour autant l’avatar de Klaus Kinski, et la comparaison avec Werner Herzog s’arrête à ces quelques plans de moiteur tropicale, car Marie Voignier prend à cœur de ne pas intervenir dans son dispositif de mise en scène, laissant souvent le soin à Michel Ballot d’endosser le rôle de machiniste à travers un carnet d’explorateur constitué d’images vidéo en 4/3, délavées, mal sonorisées (à partir de la 7ème minute) [3]. Ce filmage d’archive donne un gain d’authenticité à la quête de Michel Ballot, une certaine maladresse involontaire mais de bonne foi. La troisième déclinaison de cette vidéo amateur (44ème minute) joue même sur le mode introspectif : sur les images du fleuve et de ses habitants, la voix-off actuelle de Michel Ballot confesse les difficultés de terrain, une souffrance physique vécue au jour le jour après avoir consacré sa vie à cette quête chronophage.

 

Marie Voignier prend alors de la distance vis-à-vis de son film, mettant en avant à travers des images qui ne sont pas les siennes la figure téméraire et mélancolique de l’explorateur des temps modernes. C’est aussi un peu du film amateur de Michel Ballot qui prend son souffle et rayonne à travers le projet professionnel de Marie Voignier. La cinéaste renoue avec son travail de plasticienne dans ce fragile équilibre  entre le grain de la vidéo amateur (le carnet de bord de l’explorateur) et la perfection lisse de la norme HD (le projet professionnel). Les images tremblotantes du journal de bord ne servent plus à brouiller les pistes entre documentaire et fiction, mais plutôt à inscrire la quête de Michel Ballot dans un temps  qui ne se réduit pas uniquement au documentaire professionnel de la cinéaste. « This is not my images » pourrait confesser dignement Marie Voignier, pour reprendre le titre d’un film expérimental d’Irit Batsry. Par cet entrechoquement entre la bande vidéo amateur et le film professionnel, la cinéaste inscrit la quête du Mokélé-Mbembé dans un temps concret, celui de l’expédition de terrain (Michel Ballot) et de la reconnaissance artistique (Marie Voignier).


Du scientifique au mystique

 

L’enjeu métaphysique du film se profile au-delà des plans esthétisants d’usage (souvent loués dans de nombreuses critiques) par une véritable interrogation sur les croyances indigènes et la fascination exercée par les icones. L’image du « Mokélé-Mbembé » se construit avant tout dans la parole accordée aux natifs : de ce point de vue, l’énigmatique animal est-il considéré comme réel ? Les indigènes s’accordent pour en faire un animal « blindé ». « C’est comme la sirène (ndlr : le lamantin africain). C’est un truc mystique, difficile à voir » (32ème minute). Néanmoins, le terme « blindé » revêt plusieurs sens dans la culture africaine : ainsi, un pygmée peut « blinder » son corps, devenir mystique après transmission de ce don par une initiation chamanique. « Y a des choses que tu as la malchance de voir, il ne faut surtout pas le dire au village. Sinon, tu meurs » (34ème minute). La notion de tabou se rattache ainsi à un « démon de la forêt », être malveillant d’une force prodigieuse, hurlant à la mort, tour à tour visible et invisible. Devenir-humain, devenir-animal, devenir-imperceptible, toutes ces lignes de fuites chères à Gilles Deleuze et Félix Guattari (Mille plateaux, 1980) se mêlent indifféremment et fondent la notion de « blindé » exprimée par les pygmées. Ainsi, un pygmée souffle cette phrase énigmatique à Michel Ballot : « Tous les yeux ne peuvent pas forcément voir le Mokélé » (42ème minute).

 

Dans ce Congo très croyant, bien qu’écartelé entre catholicisme et chamanisme, les anciennes divinités doivent partager leurs trônes : « – Aujourd’hui, vous priez qui ? Vous priez Comba ou le dieu que vous ont amené les blancs ? – Aujourd’hui, on prie Comba [Silence]. Comba avec son fils Jésus-Christ ». Le dispositif scénique est implacable : bien qu’entouré de deux pygmées, Marie Voignier isole Michel Ballot par des plans rapprochés (47ème minute) [4]. Les longs silences trouant la conversation traduisent bien l’incompréhension mutuelle. Les vestiges du colonialisme et les rapports inégalitaires sont toujours présents au Congo, se cristallisant dans la figure du « Patron », au point d’irriter l’explorateur Michel Ballot : « Ca m’énerve quand tu m’appelles Patron, franchement […] Tu m’appelles Michel et tu me respectes tout autant ! » (51ème minute). Marie Voignier témoigne d’une réelle tendresse envers Michel Ballot, homme blanc qui malgré sa stature imposante tente de s’affranchir de son image de colon. Les rapports entre autochtones et occidentaux n’ont plus la même transparence : loin, très loin semble le temps où Dominique Gaisseau filmait encore ses instants fragiles de rencontre entre deux mondes (explorateurs français et tribus de la Nouvelle-Guinée) dans Le ciel et la boue (1961).

 

Désormais, la relation avec les autochtones semble entachée par plusieurs siècles de colonialisme, et par une perception de l’environnement fort différente : spiritualiste chez les uns, rationaliste chez les autres. Dans cette béance des points de vue (natif/colon), le Mokélé-Mbembé prend chair à l’état d’hypothèse : « blindé » pour les indigènes ; incarné pour Michel Ballot. Mystique pour les pygmées, réel pour la cryptozoologie. C’est là que se noue le véritable enjeu de L’hypothèse du Mokélé-Mbembé : dans un dialogue rompu, dans un contrechamp stérile, dans un point de vue irréconciliable avec l’autre. Le large fleuve Ngoko, opaque, troublé par les remous des orages tropicaux et du néo-colonialisme, charriera encore longtemps son secret…

Florent Barrère

 

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