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26.02.24

Info parution : « Les cinéastes du Diable », par Yann Calvet

Si au cours du 19ème et du 20ème siècles, l’image terrorisante du diable, conservée dans le champ religieux et moral, a perdu de sa puissance dans l’imagination littéraire et dans les illusions de la fantasmagorie, le cinéma va produire de...

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25.09.23

Éclipses N° 72 : Clint EASTWOOD, l'épreuve du temps

Consacré à Clint EASTWOOD, le volume 72 de la revue ÉCLIPSES est actuellement en cours d'impression. Il sera très prochainement disponible sur ce site (en version imprimée et aussi en PDF) ainsi que dans votre librairie préférée. 

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02.12.22

Éclipses n°71 : Invasion John CARPENTER

John CARPENTER a eu un jour pour son propre compte une formule qui raconte beaucoup, tant de son esprit que du statut particulier dont il a écopé : « En France, je suis un auteur. En Allemagne, je suis un cinéaste. En Grande-Bretagne, je suis un...

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Le Locataire Roman Polanski

Le Locataire - Elle et l’huis clos (3/3)
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Revoir : Mystic River  

Mystic River
(Clint Eastwood, 2003)

La lettre et le néant : une police de caractère

par Youri Deschamps le 27.12.10

On se repaît à moindre frais du désormais légendaire classicisme eastwoodien, comme s’il s’agissait d’une recette devenue commune et presque neutre, dont la bienveillante qualité dispenserait de l’examen des produits. Or, derrière l’apparente simplicité de l’énonciation dite classique, se loge bien souvent la complexité retorse de l’énoncé. Si on nous a montré cent fois l’endroit où Mystic River prend sa source, bien peu sont allés se baigner dans l’océan de perplexité dans lequel le film plonge finalement son spectateur. En effet, que nous raconte Clint Eastwood avec cette histoire de rapt pédophile et d’innocence volée ? Avouons que le sens de cette fable tragique, d’une rigueur pourtant implacable, n’est pas de celui qui se donne le plus aisément. Loin de suivre un cour tranquille, cette rivière – mystique par antiphrase – coule au contraire une eau trouble que le mouvement ne fait qu’obscurcir.

On croit d’abord avoir affaire à une histoire policière somnolente quand, tout compte fait, c’est une intrigue westernienne qui se réveille. Une histoire de cadastre en somme, où tous les enjeux peuvent se résumer à la prise de possession d’un territoire. Pour la foi du pionnier sans loi, poser le pied sur le sol, c’était signer un acte de propriété. Mais une fois atteint le mythe de la Frontière, close par la rencontre de son horizon, la Loi, c’est ce qui est écrit. En gravant leur prénom dans le ciment frais d’une dalle de trottoir, Sean et Jimmy s’approprient le quartier de Boston dans lequel ils sont nés et qu’ils ne quitteront plus. Une prise de pouvoir archaïque que Dave ne signera qu’à moitié, en un geste définitivement inachevé. Trente ans plus tard, le lieutenant Sean Devine (Kevin Bacon) est un représentant de la loi du centre, le repris de justice Jimmy Markum (Sean Penn) un émissaire du milieu, tandis que Dave (Tim Robbins), homme sans qualité, ne fait qu’errer dans les limbes. Comme dans un western, Mystic River retrouve toute l’économie tragique et mythique des grands textes fondateurs, la noirceur morale en plus. Une faute originelle a été commise (le rapt de Dave enfant, par deux pédophiles possédant les attributs de Loi – le badge de police et la croix de Christ), qui enferme la vie du quartier dans une temporalité antique, cyclique, où les mêmes calamités seront répétées ad vitam aeternam tant que la faute n’aura pas été effacée. Effacée, et non pas lavée, c’est bien là que réside toute la noirceur et tout le pessimisme du film. En effet, si l’on interroge la dernière scène du film, on voit que de victime, Dave est devenu bourreau aux yeux de la cité.

La fin de Mystic River voit donc l’alliance secrète et muette de la loi du centre et de celle du milieu : bien qu’il sache que Jimmy est l’assassin de Dave, Sean ne l’arrête pas. Pourquoi ? Parce que depuis l’enfance (traduction en termes mythiques : « depuis la nuit des temps »), Dave est leur mauvaise conscience à tous les deux ; il est le maillon faible qui, par sa faiblesse de caractère (il s’est senti coupable en gravant son prénom dans le ciment et ne s’est pas sauvé comme les deux autres), a plongé la cité dans l’itération sans fin (un autre meurtre d’enfant, un autre pédophile). Et l’on sait que l’Amérique ne peut se permettre de tourner en rond, qu’elle doit nécessairement aller de l’avant. L’intrigue est située à Boston, c’est-à-dire dans la ville qui, dès le milieu du dix-huitième siècle, était devenue synonyme « d’Etats-Unis d’Amérique » dans le monde entier, en raison de sa très forte activité marchande (le caractère de synecdoque de la ville est redoublé dans le film par la récurrence de la Bannière étoilée, que l’on ne manque pas d’apercevoir dans de nombreux plans). En tant qu’agent symbolique de la clôture antique, Dave est celui qui contrevient à la bonne marche du nouveau monde. La rivière, flux naturel et perpétuel, sert donc presque logiquement à recycler le poids mort du refoulé : il ne s’agit plus vraiment de libérer les consciences ou de laver une faute, mais plutôt de réamorcer les échanges par la liquidation. C’est au moment où le meurtre de Dave est programmé que Sean Devine indique en effet que la cote immobilière du quartier est en train de monter en flèche, et que les « yuppies arrivent » (« yuppies are coming ») pour y investir. Oracle de l’ouvert quand Dave figure la clôture, Sean Devine prédit le retour de la devise, tandis que par cinq fois, la caméra se tourne vers les nuages et les cieux silencieux, à l’adresse d’une transcendance qui manque cruellement à l’appel, pendant que la rivière « mystique » charrie tranquillement ses cadavres rejetés par le cadastre.

Mystic River est aussi un film fait de silence, d’un silence tribal, coupable et souffrant, lequel se décline en isotopie (a-t-on remarqué la récurrence soutenue des termes « seul », « solitude » ou « solitaire » ?). Le tueur véritable est un muet, et les femmes ne parlent pas : l’épouse de Sean reste sans voix au bout du fil tant que « l’affaire » n’est pas réglée, tandis qu’Annabeth Markum demeure pareillement interdite, avant de naître au verbe en une réplique que n’aurait pas reniée Lady MacBeth (on aura d’ailleurs noté la proximité phonétique des deux patronymes). Lorsque Celeste prend la parole (un prénom tout indiqué pour suppléer au silence du ciel et tomber plus bas que terre – la fin du film, le jour de Columbus Day, la montre en paria), c’est pour aller confier à Jimmy ce qu’elle pense être le crime de Dave – sur un plan symbolique, elle dénonce ni plus ni moins l’innocence de son mari, qui est considéré comme responsable de tous les maux. Dans cette ville peuplée par les mêmes habitants de génération en génération (les parents des trois enfants y vivaient, lesquels y ont grandi pour ensuite y fonder leur propre famille), où les liens de consanguinité sont peut-être le signe d’une dégénérescence (la compagne de Dave est la cousine de l’épouse de Jimmy), l’innocence est bel et bien devenue coupable. Réplique d’une noirceur absolue que celle de Jimmy lorsque, après la mise à mort, Sean lui demande à quand remonte sa dernière rencontre avec Dave : « la dernière fois que j’ai vu Dave, lui répond-t-il, c’était il y a trente ans, derrière la vitre arrière d’une voiture », comme s’il faisait ici l’aveu que son geste criminel n’a pas été entrepris pour venger le meurtre de sa fille, mais bien pour effacer le poids mort que Dave représentait.

C’est face à un écran de télévision diffusant un film de John Carpenter (Vampires) que Dave va formuler ce qu’il est : un mort-vivant, un « non-être ». La loi, on l’a vu, c’est ce qui est écrit, et Dave enfant n’a pas écrit son prénom complet dans le ciment. D’une certaine façon, le film de Carpenter y revient sur un mode détourné. Vampires combine en effet deux genres qui se sont rarement rencontrés, sauf dans les propres films de Clint Eastwood précisément (comme Pale Rider ou L’Homme des hautes plaines) : le western et le film fantastique, lesquels peuvent chacun s’identifier par un caractère d’imprimerie (le « playbill » pour le western et le « century gothique » pour le fantastique). Devant ce western gothique qui défend l’hétérodoxie typographique, Dave prend donc conscience que son nom ne peut s’écrire avec les caractères d’une même famille (il y a eu Dave-enfant, et il y a Dave-adulte, les deux n’entretenant aucune relation de continuité). Le western, c’est l’espace ; le fantastique c’est le corps. Sean et Jimmy (la loi du centre et celle du milieu, la « police de caractères » en somme, le jeu complet) lui signifient clairement, par leur entente finale, que son corps à lui (un poids de régression) ne peut pas appartenir à leur espace à eux (une mesure en expansion). En creusant des chemins secrets entre l’écrit et l’écran, Mystic River désigne le climax du mal contemporain, qui, à mots couverts, consiste à user d’un paraphe comme d’une arme de légitime annexion.

Youri Deschamps

 

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