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26.02.24
Info parution : « Les cinéastes du Diable », par Yann Calvet
Si au cours du 19ème et du 20ème siècles, l’image terrorisante du diable, conservée dans le champ religieux et moral, a perdu de sa puissance dans l’imagination littéraire et dans les illusions de la fantasmagorie, le cinéma va produire de...
Lire la suite25.09.23
Éclipses N° 72 : Clint EASTWOOD, l'épreuve du temps
Consacré à Clint EASTWOOD, le volume 72 de la revue ÉCLIPSES est actuellement en cours d'impression. Il sera très prochainement disponible sur ce site (en version imprimée et aussi en PDF) ainsi que dans votre librairie préférée.
Lire la suite02.12.22
Éclipses n°71 : Invasion John CARPENTER
John CARPENTER a eu un jour pour son propre compte une formule qui raconte beaucoup, tant de son esprit que du statut particulier dont il a écopé : « En France, je suis un auteur. En Allemagne, je suis un cinéaste. En Grande-Bretagne, je suis un...
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Film : Répulsion
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Lire l'articleAnalyse de séquence : Police Fédérale, Los Angeles
Police Fédérale, Los Angeles
(William Friedkin, 1985)
La seule lecture du livre de Gerald Petievich (1984, traduit dans la Série Noire en 1985 sous le titre Voir Los Angeles et mourir) dont est tiré To Live and Die in L.A. en dit long sur les intentions de William Friedkin. Roman policier de facture classique, il met en scène un binôme de flics du Trésor, l’un, intègre, se laissant entraîner sur la mauvaise pente par un collègue fougueux et peu soucieux de légalité pour arriver à ses fins. Dans le livre, c’est John Vukovitch le héros. Dans le film, c’est Richard Chance-le-salaud (William L. Petersen, étrangement proche de son rôle dans Manhunter l’année d’après). Le faux-monnayeur Rick Masters, dandy vulgaire et brutal chez Petievich, devient cet artiste contrarié et auto-destructeur interprété par un Willem Dafoe habité. Ce seul travail sur les personnages résume bien les ambitions du film.
La plupart des scènes-clefs du livre sont dans le film. Par contre, Friedkin en bouleverse l’ordre et en rajoute plusieurs, dont la célèbre poursuite en voitures. Et la séquence du pré-générique.
C’est la loi du genre : présenter rapidement les personnages, leurs rapports, leurs points forts et leurs faiblesses au cours d’une séquence où ils sont mis en situation, sans que celle-ci soit forcément liée aux enjeux à venir.
D’abord, où et quand. Le premier plan de Police fédérale, Los Angeles est une vue d’ensemble de la ville dans un climat étouffant de chaleur et de pollution comme en témoigne une brume rougeâtre sale [01]. Les paroles de la chanson-titre de Wang Chung enfoncent le clou (I wonder why we waste our lives here/When we could run away to paradise /But I am held in some invisible vice / And I can't get away). L’image fait penser à la pochette de l’album Greetings from L.A. de Tim Buckley. S’y superpose, dans une typographie de machine à écrire et en abréviation toute administrative, une indication temporelle : « Dec 20 1410 hrs ». Contre toute attente, c’est donc l’hiver (certes, californien). Surtout, ce carton sous-entend plusieurs choses : il y en aura forcément d’autres ; il y a, au bout, un événement pour lequel l’écoulement du temps tient un rôle-clef ; ce calendrier donne des airs de véracité à l’histoire (la typo et la formulation évoquent un rapport de police).
Ensuite, quoi ? La deuxième image du film est une oriflamme aux armes de la Présidence américaine fixée à une aile arrière de voiture. On distingue le drapeau américain sur l’autre aile. [02] En seulement deux plans, William Friedkin vient de donner une masse d’informations : Police Fédérale, Los Angeles ferait partie de ce sous-genre du polar dédié aux agents protégeant le Président des Etats-Unis. Ce Président est en tournée, peut-être électorale, il est donc exposé, les agents seront tendus et le danger rode. La date qui s’est affichée peut renvoyer au timing serré de ce genre d’expédition sous haute-sécurité. Mais ne serait-elle pas plutôt la première d’une série qui va nous mener à une tentative d’attentat ? Pour quelle raison autre qu’un événement grave, en effet, prendrait-on la peine de les indiquer ?
Après une série de plans témoignant du déploiement policier [03], la menace se précise déjà. Un plan fixe en plongée verticale laisse passer deux paires de motards, une voiture-pie et enfin la limousine du Président. [04] A ce moment-là, la caméra panote, faisant du véhicule présidentiel le centre de l'action [05]. Littéralement, son point de mire. Au fond du plan, visiblement pris du haut d’un immeuble, le convoi arrive à l'hôtel [06]. La caméra portée (elle bouge) suggère que quelqu’un observe la scène de haut. Ce qui renvoie, dans l’imaginaire américain, à la position de Lee Harvey Oswald à Dallas, dans les étages du dépôt de livre du 411 Elm Street, le jour de l’assassinat de John F. Kennedy.
Maintenant, les personnages. Un agent sort d’une voiture [07], oreillette, lunettes noires, visage fermé, plutôt âgé. Il jette un regard alentours, notamment vers les hauteurs. Puis son coéquipier [08]. Plus jeune, visage poupin, pas de lunettes de soleil, regard moins dur. Le duo est ainsi calé : le vieil expérimenté et le jeune qui a encore à apprendre, voire qui va peut-être faillir à sa tâche. La chanson-titre donne un indice : au moment où apparaît le visage de Richard Chance (le jeune), les paroles en sont à « … and die in L.A »…
La suite est sur le même registre. L’ancien inspecte les cuisines [09] pendant que le jeune joue au poker dans la suite présidentielle. Ce dernier n’est cependant pas un ingénu : l’échange qu’il a avec l’agent qui vient le relever [10] montre que, habitué aux coulisses du pouvoir, il n’en est plus à se laisser impressionner par la fonction du « patron ». Lequel a convenu de revenir jouer avec ses agents une demi-heure après son discours.
Arrive alors la scène qui va nous montrer ce que vaut ce binôme d’agents. Dans le couloir, Richard Chance a à peine enfilé sa veste [11] qu’il remarque quelque chose à l’autre bout. [12] Il fonce tout en annonçant par talkie-walkie qu’il file un suspect. Son coéquipier reçoit le message [13]. Le duo entre en action.
Sur le toit de l’hôtel, Chance met en joue un terroriste [14], apparemment palestinien, ceinturé de dynamite. [15] Il fait preuve de sang froid, range son arme. Il a repéré son collègue qui arrive par en-dessous. [17] Ce dernier agrippe le terroriste qui tombe dans le vide au moment où il se fait exploser. Premier contre-pied : c’est le vieux qui a eu la part la plus physique de la séquence. Les deux hommes sont loin de l’euphorie d’avoir déjoué un attentat. Chance propose d’aller se soûler. En rupture avec la maîtrise affichée jusque-là, Jim Hart (le vieux) répond : « Je suis trop vieux pour ces jeux de cons ». Mais quels jeux ? Protéger le Président ? Se soûler avec un collègue pour évacuer le stress ? Voir des corps humains exploser en mille morceaux ? Ou jouer le flic de cinéma selon les codes éculés du genre ?
Dans ce dernier cas, ce pourrait tout aussi bien être Jim que William Friedkin qui parle. Car au cours de cette séquence, le réalisateur n’a quasiment ouvert que des fausses pistes. Le film n'a rien à voir avec cette ambiance présidentielle mais raconte une histoire de faux-monnayeur (notons que Dans la ligne de mire fait l'inverse : une fausse piste avec des faux-monnayeurs en ouverture puis un récit sur la protection du Président) ; les indications temporelles n’ont aucun intérêt (toutes ont une typographie différente, signalant le dérisoire de ce type d’artifice) ; même le duo n’est pas le bon. Jimmy va se faire tuer par les faux-monnayeurs et Chance va faire équipe avec Vukovitch, sensiblement du même âge.
Chance va se révéler complètement incontrôlable, entraînera son coéquipier dans ses excès, dont il finira par mourir. Mais, tour de force du film, il se fait tuer un bon quart d’heure avant la fin, laissant les spectateurs en plan, incapables de reporter leur identification sur Vukovitch, que Friedkin a laissé volontairement trop falot. Malgré ses crimes et ses névroses, c’est le personnage de Rick Masters qui fascine le plus.
Comme sa mort, la personnalité trouble de Chance est annoncée dans le pré-générique. Alors qu’il fixe le terroriste, son visage cadré en gros plan est divisé en deux par le jeu des lumières environnantes, une moitié blanche, une moitié rouge [16]. Ange et démon. Richard Masters-Rick Chance. Hors-champ, le terroriste hurle : « Je suis un martyr ! ». Quand il explose, le visage de Chance n’est plus, une fraction de seconde, qu’une silhouette blanche fantomatique. [18] William Friedkin fait de Richard Chance un martyr du polar américain, âme damnée livrée aux enfers de la parano et de l'obsession. « In the dark of the night / Every time I turn the light / I feel that God is not in heaven », chante Wang Chung.
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