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26.02.24

Info parution : « Les cinéastes du Diable », par Yann Calvet

Si au cours du 19ème et du 20ème siècles, l’image terrorisante du diable, conservée dans le champ religieux et moral, a perdu de sa puissance dans l’imagination littéraire et dans les illusions de la fantasmagorie, le cinéma va produire de...

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25.09.23

Éclipses N° 72 : Clint EASTWOOD, l'épreuve du temps

Consacré à Clint EASTWOOD, le volume 72 de la revue ÉCLIPSES est actuellement en cours d'impression. Il sera très prochainement disponible sur ce site (en version imprimée et aussi en PDF) ainsi que dans votre librairie préférée. 

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02.12.22

Éclipses n°71 : Invasion John CARPENTER

John CARPENTER a eu un jour pour son propre compte une formule qui raconte beaucoup, tant de son esprit que du statut particulier dont il a écopé : « En France, je suis un auteur. En Allemagne, je suis un cinéaste. En Grande-Bretagne, je suis un...

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Revoir : Série noire  

Série noire
(Alain Corneau, 1979)

Contre le reste du monde

par Michaël Delavaud le 28.12.10

Alain Corneau, décédé le 30 août 2010, était un cinéaste véritablement inégal, capable du meilleur (Tous les matins du monde [1991] ; l'ensemble de ses polars joliment noirs) comme du pire, parfois à l'intérieur du même film (Stupeur et Tremblements [2003], mélange troublant d'un regard sociétal aigu et de lourdeurs narratives). Une oeuvre domine indéniablement cette filmographie honorable mais fluctuante : Série Noire [1979], polar dépressif, chef-d’œuvre tranchant comme une lame mais irrésistiblement attirant. Retour sur ce joyau, violent constat social alternativement (voire simultanément) naturaliste et surréaliste.

Frank Poupart, Poupée pour les intimes (Patrick Dewaere, dont la prestation ne peut que sidérer), est représentant de commerce. Il fait du porte-à-porte dans les quartiers populaires pour vendre son bric-à-brac ou pour récupérer par la force l'argent dû par les mauvais payeurs. Il rencontre Mona (Marie Trintignant), adolescente prostituée par sa tante maquerelle et s'en éprend violemment, jusqu'à commettre le pire...

Série Noire est un portrait blafard, sans fard de la France des banlieues pavillonnaires et des zones commerciales et industrielles, la peinture d'une classe moyenne dont les membres hantent tels des spectres leur maison lugubre, les cafés mal famés et les terrains vagues boueux. La scène d'ouverture est de ce point de vue une introduction parfaite : avant d'exercer ses démarchages, Frank s'isole dans le terrain vague d'une friche industrielle (lieu dans lequel il reviendra à plusieurs reprises au cours du film). Le ciel est bas, il pleut, la boue recouvre le sol, l'image est minée par un chromatisme sombre gris-marron. Frank allume alors une radio et se met, tel un Gene Kelly du pauvre, à danser sous la pluie, ses pas foulant lestement la boue tout en évitant soigneusement les flaques d'eau. Cette scène d'ouverture annonce donc l'atmosphère qui habitera l'ensemble du film (la grisaille générale, les décors urbains dévoilés par une caméra s'accrochant aux mouvements de danse circulaires de Poupart...) ; mais elle définit surtout le personnage principal, sa propension à se débattre dans ce contexte plombé (ici par la grâce d'une danse à la fois belle et absurde) pour ne pas y sombrer. C'est ce que Série Noire raconte d'abord : les vains efforts de Frank Poupart, que Corneau ne lâchera pas d'une semelle pendant tout le film, pour ne pas se laisser engloutir par les iniquités d'un monde cruellement sordide.

Le personnage de Frank Poupart est la porte d'entrée permettant l'accès à ce monde interlope, ainsi que le signe le plus patent de sa médiocrité. Brutal, malhonnête, menteur, méchamment sarcastique, Poupart n'a rien pour être aimable. Ce prototype du loser magnifique inspire néanmoins une forme d'empathie tant il détonne dans ce monde aliénant qui semble anesthésier toutes véritables velléités d'action : Mona accepte la prostitution que lui fait subir sa tante et reste mutique durant la quasi totalité du film, ne sachant se rebeller vis-à-vis de Frank que par la fuite ; la femme de Poupart, Jeanne (Myriam Boyer), subit son mari sans réagir (par exemple, après que Frank l'a giflée sans raison et qu'elle a lourdement chuté dans sa baignoire remplie d'eau, Jeanne ne fait que constater que ses bas sont filés) ; le patron de Poupart, Staplin (Bernard Blier), ne sait que menacer son employé sans agir directement et sans se départir de son affabilité mielleuse. Et quand ce personnage ose enfin agir durant une scène de racket formidablement écrite, il se fait gifler à tour de bras sans se défendre ("Je vais y aller, je commence à avoir chaud aux joues.", dit-il avant de fuir). Frank est le seul personnage à se battre contre la crasse du monde, à la subir sans l'accepter, quitte à y laisser toute son énergie ("Je suis fatigué, Staplin. J'en ai plein le dos, le cul, les bottes.", dit-il à un moment du film à son patron).

Les marques génériques de Série Noire (femme fatale, meurtres, chantage, poids du destin, etc.) ne sont finalement que de simples conséquences de ce regard cru, d'un naturalisme presque zolien. Poupart se raccroche à la "femme fatale" (on devrait plutôt parler de "fille fatale"), Mona, seulement parce qu'elle est la seule à lui prodiguer une tendresse dont le monde environnant est dénué, contrastant par là-même avec la relation maritale houleuse de Frank. Il tue autant pour toucher un pactole (les dix millions d'anciens francs de la tante de Mona) que pour tenter de sauvegarder cette innocence providentielle.

De ce point de vue, on pourrait considérer que le film de Corneau est influencé par Taxi Driver (Martin Scorsese, 1976), dont il serait une version française, ultérieure de trois ans. Le carnage provoqué par Travis Bickle (Robert De Niro) à la fin du film américain possède finalement le même enjeu que le double meurtre (voire triple si l'on compte celui de Jeanne) dont Poupart est l'auteur : la préservation de la pureté d'une adolescente en perdition (celle de Mona chez Corneau, celle d'Iris [Jodie Foster] chez Scorsese) au sein d'un monde partant à vau-l'eau, en perte totale de repères. Les deux films semblent donc être assez similaires, à ceci près que si l'explosion de violence de Bickle est une façon d'épurer une société pervertie de ses parasites (il passe d'ailleurs pour un héros auprès de la population), celle de Poupart ne fait que jeter un trouble supplémentaire, achevant de plonger le personnage dans son marasme mental. Une preuve : la façon qu'a Alain Corneau de reprendre l'anthologique séquence de l'invective dans le miroir du film de Scorsese ("Are you talking to me ?", etc...), ou plutôt la place qu'il attribue à cette séquence dans la narration de Série Noire. Le miroir est un symbole, presque un stéréotype, de la dualité des personnages, cela va sans dire ; que la scène précède les crimes chez l'Américain alors qu'elle succède aux crimes chez le Français n'est par contre pas anodin. L'aliénation pousse Bickle au crime, qui devient donc rédempteur et curatif ; le crime pousse définitivement Poupart à l'aliénation, il est donc montré dans toute sa puissance nocive. A la dimension morale (moraliste ?) et teintée de religiosité du film de Scorsese, Corneau préfère l'accentuation de la densité tragique de son film. On est en droit de penser que l'approche de Corneau est ici la plus intéressante des deux.

Cette noirceur est encore renforcée par des dialogues magistraux, signés par l'écrivain Georges Pérec. On est ici en plein paradoxe car ces dialogues s'avèrent parfois particulièrement drôles et percutants ; ce contraste entre la tonalité générale du film et le côté très ludique de ses dialogues crée un trouble terrible, insérant une touche de surréalisme dans la description naturaliste des banlieues pavillonnaires. Le langage parlé dans Série Noire, chargé d'argot, de phrases anglaises francisées (Poupart définissant le whisky : "The velours of the estomac"), de jeux de mots, de contrepèteries ou de phrases absurdes, parfois scabreuses, en décalage constant avec la réalité dans laquelle ils s'inscrivent, est digne du style oulipien de l'auteur de La Vie, Mode d'Emploi. De fait, Perec fait de la langue française une sorte de novlangue pleine de vie, imagée, bigarrée et dont l'émissaire principal est bien sûr Poupart.

La langue procure au personnage un relief supplémentaire et un semblant d'existence, ne serait-ce que rhétorique. Elle permet aussi d'en montrer l'aliénation, ceci dans deux acceptions du terme : Poupart est aliéné par le monde, il sombre peu à peu dans une démence génératrice d'Inquiétante Etrangeté (le caractère lunatique du personnage, tour à tour doux, menaçant et vociférant, en est un signe tangible), et il s'aliène le monde dans lequel il "vit", par sa simple marginalité. Frank se débat en dépensant une dérisoire énergie, dont la maestria langagière est l'une des occurrences.

Par le mélange d’un ton naturaliste et des expérimentations linguistiques de Georges Pérec qui créent une distanciation très particulière, Alain Corneau fait de Série Noire une oeuvre impressionniste et hallucinée, à la fois intensément sombre et cyniquement drôle, à mi-chemin de Zola et de Céline. Apogée de la carrière du cinéaste, Série Noire est également l'un des points culminants du cinéma français. « Foint pinal », comme dirait Poupée.

Michaël Delavaud

 

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