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Éclipses N° 72 : Clint EASTWOOD, l'épreuve du temps

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Critique : There Will Be Blood  

There Will Be Blood
(Paul Thomas Anderson, 2008)

Du pétrole et des idées

par Michaël Delavaud le 06.01.11

Cela peut paraître bizarre, mais le Daniel Plainview de There will be blood, film d'une noirceur aussi dense que celle du pétrole extrait du sol par le personnage, évoque quelques-uns des petits films d'animation de Tex Avery. Rappelez-vous des deux adaptations loufdingues (une pour la Warner, l'autre pour la MGM) que le génial animateur fit de l'un des grands classiques de la littérature américaine, Uncle Tom's Cabin. Rappelez-vous surtout de la représentation qu'il fit du méchant de l'histoire, Simon Legree : air dégingandé, costume et chapeau noirs, moustache, et surtout cette amoralité et cette cupidité que symbolise le personnage du roman dans l'Inconscient américain. D'une certaine manière, Daniel Plainview est un avatar inattendu de Simon Legree, dont il possède l'allure physique (telle que l'a définie Avery), la même absence de morale et la même attirance pour l'argent, considéré comme l'instrument primordial d'une suprématie totale.

Le film de Paul Thomas Anderson (Boogie Nights, Magnolia, Punch-drunk Love), cinéaste curieusement mésestimé, adapte le premier tiers d'un roman d'Upton Sinclair, Oil !. Le plus connu des livres de cet auteur est The Jungle, dont l'ambition est d'être "The Uncle Tom's Cabin of the Labour Movement". Le roman abolitionniste de Harriet Beecher-Stowe a dû influencer le travail d'Upton Sinclair à un point tel que cette influence suinte jusque dans l'adaptation d'une autre pièce de son oeuvre que The Jungle. On retrouve bien sûr dans cette adaptation d'Oil ! la figure d'un magnat sans foi ni loi exploitant une humanité qu'il déteste (Plainview, donc, en néo-Legree), mais surtout la thématique commune de l'affrontement entre la loi économique de ce personnage et la loi morale, religieuse de son principal adversaire (Oncle Tom dans le roman de Beecher-Stowe, Eli Sunday dans le film d'Anderson). Cette dernière thématique est la clé de voûte démythificatrice du film, signifiant les bases malsaines d'une nation américaine alors en construction.

There will be blood est d'abord le récit de l'ascension de Daniel Plainview, participant à une ruée vers l'or noir dont il semble être le seul pionnier à l'heure où tous les autres se dirigent vers la région du Klondike à cause de quelques rumeurs sur des gisements aurifères alaskiens. Cette solitude est très concrètement représentée lors du premier quart d'heure du film, durant lequel le personnage pioche la roche, creuse la terre, remonte à l'air libre et redescend inlassablement dans son puits, sans une seule ligne de dialogue ni un son autre que celui de son travail. Cette séquence introductive est un modèle, annonçant de façon complète le personnage de Plainview, définissant son obstination, son obsession de la réussite à son propre détriment. Il se brise la jambe dans son puits, alors que simultanément à sa chute suintent les premières gouttes du pétrole qui fera sa fortune. La fêlure physique est ici clairement associée à la réussite ; la claudication affectant la démarche de Plainview tout au long du film est donc, paradoxalement, symbolique de sa puissance.

Car le personnage est une sorte d'allégorie de ce qu'est la puissance capitaliste américaine, une puissance privilégiant la fin aux moyens et le rendement à l'humain, une puissance dont le seul but, plus que d'amasser de l'argent (dont le personnage avoue d'ailleurs qu'il ne saurait quoi faire), est d'annihiler la concurrence et d'instaurer une suprématie, une omnipotence. Daniel Plainview est un trust pétrolier à lui seul, un monstre de pouvoir ne supportant pas la défaillance. De ce point de vue, le départ du fils suite à l'accident coûtant à l'enfant la perte de l'audition est intéressant. Pour quelle raison le père écarte-t-il son fils de ses affaires en le faisant émigrer vers une école spécialisée ? Pour permettre à l'enfant d'étudier et de s'épanouir malgré son handicap ou pour effacer des mémoires l'échec patent d'un personnage obsédé par la réussite en envoyant l'indigne signe de cet échec aux oubliettes ? Plainview est un cynique sans foi ni loi, un personnage vampirisé par sa mégalomanie, un être sans famille (son fils se révèle être un simple outil facilitant les transactions commerciales, le frère qui se présente face à lui est un imposteur...), sans passé ni avenir (comme le montre la dernière longue séquence du film sur laquelle nous allons revenir). Il est un personnage-fantôme, une abstraction ne dépareillant pas dans un film pour le moins particulier.

Particulier, en effet, est un mot qui sied bien à There will be blood. Sa particularité réside dans le singulier contraste entre le sujet et sa mise en scène. Le récit de l'ascension sociale et financière du magnat Plainview, ceci dans un domaine d'activité géographiquement situé dans les grands espaces américains (l'extraction du pétrole dans le désert californien), pouvait laisser augurer une mise en scène flamboyante, l'usage du grand-angle et du plan large embrassant le paysage et lui accordant ainsi une réelle fonction narrative et dramatique, le tout assaisonné par une musique symphonique (pour ne pas dire pompière) à la Hans Zimmer. Paul Thomas Anderson pouvait verser dans un style de cinéma qui est finalement un peu le sien, dans une virtuosité simultanément classieuse et clinquante (le mètre-étalon du cinéma d'Anderson étant son Magnolia, à la fois adulé et détesté). Rien de tout cela cette fois-ci : There will be blood est aussi sobre et sec que les autres films de PTA étaient électriques et ostensiblement virtuoses. Cette sécheresse nouvelle ouvre le film (la séquence introductive dans le puits), se retrouve dans ses lents travellings d'accompagnement évoquant le cinéma d'Erich Von Stroheim (formellement et thématiquement, le film d'Anderson possède quelques belles similarités avec le fabuleux bien qu'estropié Les Rapaces) ou dans ses brutales et fréquentes ellipses. On la retrouve également dans cette musique phénoménale signée Jonny Greenwood (guitariste de Radiohead), l'une des plus belles de ces dernières années, radicale de minimalisme, évoquant tout autant l'austère guitare électrique de Neil Young sur la B.O. de Dead Man que la musique glaciale des Islandais Sigùr Ros ou de l'Estonien Arvo Pärt (des morceaux de ce dernier sont d'ailleurs inclus dans la bande musicale de There will be blood).

Là se trouve l'étrangeté de ce film : si l'ampleur de cette oeuvre est indéniable et suffit à la définir comme une espèce de fresque à l'américaine, avec le budget conséquent que le terme suppose et avec la présence quasi-obligée de grands moments de bravoure (de ce point de vue, la séquence de l'incendie du gisement et du derrick est fort impressionnante), il n'empêche qu'on ne peut qu'être frappé par sa dimension intimiste, par ses audaces formelles, par sa forme néoclassique très à part.

Petite digression : la forme néoclassique est aujourd'hui très en vogue dans le cinéma américain. Très en vogue et paradoxalement constamment novatrice, utilisée de manière très différente par quelques-uns des grands metteurs en scène américains actuels : douceur formelle et modernité narrative chez Eastwood (le mélange du cinéma classique hollywoodien tel qu'il l'aime et des cinémas siegelien et leonien tels qu'il les a connus en tant qu'acteur), transfert et réécriture des codes westerniens dans un contexte plus contemporain chez Sean Penn (en gros, la thématique de la vengeance et la mythologie des grands espaces), emphase opératique et néoclassicisme expressionniste chez James Gray (The Yards et surtout La Nuit nous appartient), usage de la forme néoclassique comme dispositif ostensiblement artificiel permettant ses observations métaphysico-ontologiques chez le Cronenberg de History of violence et des Promesses de l'ombre (ce qui prouve encore une fois que la forme cronenbergienne n'est plus une fin mais un moyen dialectique, faisant du Canadien l'un des rares équivalents formels d'Alain Resnais), néoclassicisme à la Penn allié à la fantaisie débridée et nonsensique de leur cinéma et décuplé par l'ampleur de leur projet chez les frères Coen (No country for old men). L'emploi fréquent de la forme néoclassique et la constance avec laquelle les metteurs en scène la font varier et évitent tout académisme témoignent de la grande richesse actuelle du cinéma américain.

Revenons à There will be blood. La forme néoclassique employée par Paul Thomas Anderson se démarque de toutes les options vues précédemment, mélange d'un néoclassicisme directement hérité du cinéma américain des seventies et dont Michael Cimino est la référence (La Porte du Paradis, autre fresque intimiste représentant les bases viciées de la nation américaine et la démythifiant violemment) et d'un désabusement sardonique typiquement hustonien. Par ailleurs, le ton du film et sa sécheresse formelle évoquent irrésistiblement The Misfits, mélange crépusculaire de l'ironie la plus cinglante et de la mélancolie la plus bilieuse.

Mais la véritable caution hustonienne de There will be blood est le formidable personnage d'Eli Sunday, véritable résurrection du prédicateur fanatique et fantoche incarné par Brad Dourif dans Le Malin. Ce personnage est à lui seul un pan du film, élément essentiel achevant le portrait du magnat Plainview et définissant pleinement la trajectoire ascendante du personnage.

Si Plainview représente le pouvoir financier, Sunday (comme le Jour du Seigneur) incarne le pouvoir moral. La relation entre ces deux pouvoirs, faite de haine et d'interdépendance conjointes, est le fondement de There will be blood. Sur la longueur du film, leur opposition prend la forme d'un combat en trois reprises.

Première reprise : le prédicateur, dont la paroisse exsangue ne survit que grâce aux transfusions financières administrées par Plainview, vient encore soutirer à ce dernier quelques dollars. Cette dépendance de l'un à l'autre va devenir au fil de la scène le moyen de l'humiliation publique de l'homme d'Eglise, insulté et traîné dans un mélange noirâtre d'eau, de boue et de gras résidus pétroliers.

Seconde reprise : Plainview doit se faire baptiser, condition sine qua non pour obtenir un terrain sous lequel il pourrait faire passer un pipeline. La séquence du baptême est le négatif de la première reprise : la dépendance de l'autre à l'un va devenir au fil de la scène le moyen d'humilier publiquement le magnat profondément athée, de le gifler sans qu'il ne puisse réagir, de le mettre à genoux au pied de son ennemi.

La troisième reprise, qui représente la longue séquence finale du film, est la plus disputée, chacun des deux protagonistes prenant alternativement le pouvoir. Le paternalisme moralisateur de Sunday devant les déficiences apparentes de Plainview sera contrecarré par les manipulations de ce dernier, qui révèlera au grand jour le charlatanisme du prédicateur ("I'm not a real preacher, God is a superstition", phrase répétée à l'envi par Eli Sunday comme pourrait le faire un personnage névrosé de Scorsese, grand cinéaste de la morale et de ses défaillances). Le combat entre les deux pouvoirs qu'ils représentent se concrétise dans l'ultime scène de la piste de bowling, conclue par la sanglante victoire de l'argent sur la morale (d'où la légitimité du très beau titre de ce film). Eli Sunday, en tant qu'ultime opposant au magnat, représentait sa seule perspective d'avenir, la seule résistance à son pouvoir. En le tuant, Plainview devient un pathétique ersatz du Charles Forster Kane wellesien, un magnat sans passé et sans avenir qui moisit dans sa demeure cossue, comme le prouve la dernière réplique du film ("C'est bon, j'ai fini", dit Plainview à son majordome venant nettoyer le désordre provoqué par le meurtre de Sunday). La trajectoire du film est donc celle d'un personnage en constante ascension et dont l'apogée constitue paradoxalement l'inévitable chute.

On a parlé d'une coloration hustonienne pour There will be blood (PTA est l'héritier de Robert Altman, lui-même décalque, peut-être involontaire mais certain, de John Huston), on a parlé d'une forme évoquant à la fois Cimino et Stroheim, mais le cinéma qui se rapproche le plus du nouvel Anderson est celui de Martin Scorsese, et peut-être plus particulièrement du Scorsese de Gangs of New York. On retrouve dans les deux films cette notion de Nation américaine fondée sur les luttes de pouvoir et sur la violence, le principe d'une loi religieuse et morale compromise dans cette violence (Liam Neeson est à la fois prêtre et guerrier dans le film de Scorsese). Bien que ne possédant pas la puissance émotionnelle de Gangs of New York et qu'étant formellement plus radical, There will be blood peut néanmoins se considérer comme un cousin germain de ce film, auquel il emprunte également l'acteur principal.

En effet, parlons enfin de l'interprétation magistrale de There will be blood. Parlons de Daniel Day-Lewis, égal à lui-même, passant d'une sobriété exemplaire à l'excès le plus total en l'espace d'une séquence, parfaitement imprévisible. Parlons de Paul Dano (le frère mutique de Little Miss Sunshine), jeune homme au visage poupin, alternant la douceur angélique et la furie de ses transes et litanies de prédicateur fanatique, aussi imprévisible que son partenaire de jeu et lui tenant la dragée haute. En plus de toutes les qualités longuement décrites précédemment, le nouveau film de Paul Thomas Anderson, qui est aussi son meilleur, vaut donc également pour son interprétation sidérante. Sans cette froideur émotionnelle lui faisant parfois un peu perdre de son souffle, There will be blood serait un chef-d'oeuvre. En l'état, il s'agit "juste" d'une très très belle pierre apportée à l'édifice du cinéma américain actuel, résolument grandiose. A suivre.

Michaël Delavaud

 

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