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Critique : Un conte de Noël  

Un conte de Noël
(Arnaud Desplechin, 2008)

Fête de famille

par Michaël Delavaud le 07.01.11

En décembre 2004, nous étions estomaqués par un film superbe, inqualifiable, mélange remarquablement équilibré entre une intense cruauté bergmanienne et une fantaisie débridée empreinte d'intellectualisme à peu près inédite en France (à part peut-être chez les Podalydès). Ce cocktail improbable avait pour nom Rois et reine, grand film que nous avions alors considéré comme l'apogée du cinéma d'Arnaud Desplechin et comme l'Everest du cinéma français des années 2000.

Nous étions dans l'erreur : Desplechin n'était pas encore à son apogée et Rois et reine n'est pas cet Everest annoncé. Pourquoi ? Parce que le nouveau film du cinéaste, Un conte de Noël, s'avère encore meilleur que le précédent. Desplechin ne fait rien de moins que perfectionner encore un art pourtant sans défaut, ceci dans le but de décupler la puissance de ses qualités. Ce qui nous donne ce film immense et vertigineux, surpuissant cousin germain de Rois et reine, dont il reprend et prolonge les thématiques.

Qu'étaient les thématiques de Rois et reine ? Le rapport familial fascinant (adjectif employé ici dans le sens premier du terme : qui provoque à la fois l'attrait et la répulsion, à la fois aimant et haineux), la filiation, la maladie, le deuil. Le film les traitait en se divisant en deux (un pan Ismaël/Amalric et un autre Nora/Devos), en déstructurant la temporalité, en faisant cohabiter espace mental et espace réel (la"mise en scène épistolaire" de Desplechin permettant la mise en relation par le montage de l'énonciateur et de l'énonciataire d'une lettre), en multipliant les lieux de tournage. Cette forme-patchwork se retrouve dans le premier tiers d'Un conte de Noël, elle facilite la présentation des nombreux personnages et des relations plus ou moins conflictuelles qui les lient.

Passée cette introduction fulgurante empilant les audaces narratives (adresses au spectateur, flashbacks, multiplications des points de vue...) et faisant le lien avec l'oeuvre précédente de Desplechin, le film se stabilise dans un lieu unique (la maison de famille), juste assez grand pour faire cohabiter tous les personnages et leurs tensions mais juste assez confiné pour que leurs chassés-croisés soient continuels. C'est dans ce confinement que le film peut paradoxalement faire montre de toute son envergure. Le lieu unique et la relative linéarité des deux derniers tiers permettent à Desplechin d'exploiter à plein la théâtralité de son cinéma, la sophistication de ses dialogues acérés, la mise en mouvement perpétuelle (les changements de pièces par les acteurs sont légion), et perpétuellement contrainte par l'espace clos, des personnages (de ce point de vue, la maison de Roubaix remplace parfaitement l'hôpital psychiatrique de Rois et reine, ou encore la Faculté de Sciences dans laquelle se retrouve enfermé Emmanuel Salinger dans La Sentinelle).

Cette mise en scène du lieu, le foisonnement de personnages et la multiplication des confrontations de ces derniers confirment donc la théâtralité du cinéma de Desplechin, mais ne font également qu'exacerber l'ampleur romanesque de ce dernier. La construction narrative du film le confirme, élaborée comme un roman : le film est donc construit en deux parties distinctes (le premier tiers puis les deux derniers), chacune découpée en plusieurs "sous-chapitres" (un "sous-chapitre" par personnage présenté dans la première partie, un par jour de retrouvailles familiales dans la seconde). Un conte de Noël est donc le film d'un cinéaste littéraire, certainement l'un des plus littéraires que la France ait connu depuis François Truffaut.

Revenons-en aux thématiques de Desplechin, qui participent justemet à la dimension romanesque de son cinéma, de par leur allure mastodonte et l'ahurissante légèreté avec laquelle les traite le cinéaste.

Le rapport familial fascinant, d'abord : Un conte de Noël raconte donc les retrouvailles d'une famille géographiquement éclatée et aux relations pour le moins électriques. A la tête de cette assemblée se trouvent Junon (comme la reine des Dieux du panthéon romain) et Abel (comme le frère de Caïn qui exerçait la profession de berger). Leurs enfants sont Elizabeth (personnage à la fois reine-mère et fille-reine), Henri (comme Henri II de Bavière dit Henri le Querelleur) et Ivan (prénom ironique pour ce personnage d'une douceur incommensurable qu'on ne pourrait appeler le Terrible). A cette famille nucléaire s'ajoute le cousin, Simon (autre nom de Saint Pierre, à la fois disciple et faux-frère) et les compagnes d'Henri et d'Ivan, aux prénoms évoquant la végétation (Sylvia) et l'animalité, qu'elle soit mythologique ou non (Faunia). Le rassemblement de cette famille est une rupture du contrat familial et judiciaire imposé par Elizabeth et condamnant Henri à l'ostracisme depuis cinq ans.

Comme on peut le voir, la famille est ici une bulle très dense, englobant un riche ensemble de références (religieuses, mythologiques, historiques) et faisant de ce film ce que son titre annonce : un conte, une fable, prenant quelques allures de théâtre grec ou romantique dans certaines de ses sous-intrigues (le bannissement d'Henri, les amours secrets de Simon pour Sylvia...). A l'image du cinéma de Desplechin, la famille est un ensemble hétéroclite dans lequel la confrontation des disparités permet l'explosion de conflits larvés et l'articulation scénaristique autour de ces derniers.

Le terme "explosion" est cependant malvenu, puisque les conflits, essentiellement verbaux, s'exercent avec une douceur tranchant radicalement avec la cruauté des dialogues (voir la scène de la balançoire avec Junon et Henri, ou la terrible scène de la cuisine dans laquelle Sylvia humilie Simon). On se déteste en douceur, ou alors, sans se l'avouer, on s'aime passionnément, avec une terrible violence. Toujours est-il que la relation familiale est ici représentée dans toute son ambigüite, ce qui rend le film, véritable jeu de massacre alliant Allen à Bergman, à la fois assez malaisant et franchement jouissif, ceci grâce à un sens du coup de poignard dialogique sans égal en France.

La filiation et la maladie sont, elles, deux thématiques conjointes dans Un conte de Noël. La famille se réunit pour fêter le réveillon de Noël, mais également pour entourer Junon, atteinte d'un cancer (une myélodysplasie pour être précis) et dont la vie dépend d'une greffe de moelle osseuse issue d'un membre de sa descendance. Les seules personnes de la famille compatibles sont Paul, son petit-fils qu'elle connaît à peine, et Henri, ce fils qu'elle n'aime pas et qui le lui rend si bien. Les liens de filiation deviennent alors très complexes et signifiants. Comme l'explique le prologue du film, Henri a été conçu dans le seul but de sauver un frère aîné atteint d'un cancer et avec lequel il n'était pas compatible dans l'optique d'une greffe éventuelle. Le corps d'Henri, initialement, est simplement utilitaire, considéré comme un simple objet (idée que l'on retrouvera lors de la scène d'ablation de moelle, les infirmières considérant de façon critique le corps du patient, l'épaisseur de sa matière : l'homme n'est justement plus qu'un corps). Junon rend responsable son fils Henri d'être ce qu'il est : un instrument de guérison inapte à guérir le fils aîné, alors même qu'elle est héréditairement responsable de cette mort. La filiation est donc ici perçue comme une maladie, comme le vecteur non-assumé de sa transmission.

Junon a donné la vie pour en sauver une, sans savoir que cette vie à sauver était la sienne, ce qui lui fait horreur (elle le dit dans une réplique sidérante : avoir une partie d'Henri dans son propre corps la dégoûte). D'où le finale bizarrement joyeux en chambre stérile, où on apprend le rejet de la greffe (la mort plutôt que la moelle du mauvais fils). La mort devient un moindre mal, comme le montrent les derniers plans durant lesquels Henri joue le décès de sa mère à pile ou face, générant un enthousiasme enfantin et morbide des deux côtés de la bâche stérile protégeant Junon. Il s'agit de la première scène de complicité entre les deux personnages et elle porte sur la disparition prochaine de l'un d'entre eux. La filiation est bel et bien une maladie, vecteur de transmission de haine.

L'autre maladie d'Un conte de Noël est psychologique, il s'agit de la schizophrénie de Paul Dedalus (ce personnage d'adolescent reprend le nom du personnage d'Amalric dans Comment je me suis disputé... (ma vie sexuelle), comme si les personnages des films de Desplechin pouvaient voyager dans l'oeuvre du metteur en scène en faisant fi de sa chronologie). Cette maladie fait enfermer le garçon en hôpital psychiatrique (comme Ismaël dans Rois et reine), lui fait voir des scènes qu'il hallucine (la scène quasi-fantastique du chien déambulant dans la maison, pouvant formellement évoquer la scène finale de L'Argent de Robert Bresson). La gravité de la maladie est encore une fois annihilée en une scène par le traitement de Desplechin et sa liberté de ton. Si la mort inéluctable de Junon se transforme en un jeu morbide dans la dernière scène du film, la schizophrénie de Paul est guérie en une courte scène durant laquelle Henri psychanalyse l'adolescent pendant que les deux personnages font leur footing. Le bilan de cette analyse : la mélancolie d'Elizabeth a gangréné l'esprit de son fils Paul jusqu'à le rendre psychiquement malade. Une fois encore, la filiation est vue comme le moyen de la transmission de maux.

La vision de ces scènes, succédant à Rois et reine et à la cruauté de la lettre de Louis Janssens (Maurice Garrel) lue post-mortem clamant sa haine pour sa fille, permet de constater que le regard de Desplechin sur la filiation et la famille est d'une noirceur sans concession, constamment réhaussée par cette humour à froid un peu absurde parfois proche de celui d'un Roy Andersson. De ce point de vue, entre sa cruauté bergmanienne et cet humour très particulier, on peut peut-être voir en Arnaud Desplechin le meilleur (le seul ?) metteur en scène scandinave français. Cette approche cynique de la famille est une parfaite antithèse de celle, humaniste celle-ci, visible dans l'autre grand chef-d'oeuvre français récent : La Graine et le Mulet d'Abdellatif Kechiche.

La dernière thématique prégnante dans l'oeuvre du cinéaste français est celle du deuil. Dans Un conte de Noël, la mort de Joseph envahit chaque recoin de chaque image du film. Joseph est le frère aîné dont nous parlions précédemment. Nous ne le verrons jamais (à l'exception d'une photo rapidement entr'aperçue) mais ce personnage pèse néanmoins de tout son poids sur un film usant constamment de l'humour noir et du dialogue qui fuse afin de dissimuler pudiquement sa mélancolie. C'est le côté Christophe Honoré du film, et ce n'est pas le moins réussi. Rappelons-nous du meilleur film d'Honoré, Dans Paris, et surtout du sublime monologue métaphysique de Romain Duris évoquant la tristesse inhérente au genre humain, tristesse que le deuil ne fait finalement que mettre en relief. Le grand tour de force d'Un conte de Noël se trouve ici : malgré son ton alerte, ses quelques débordements burlesques (Amalric est clairement filmé comme un corps cartoonesque, chutant violemment par deux fois sans conséquences physiques, si ce n'est un petit pansement sur l'arête du nez) et la quiétude des attaques verbales, le film de Desplechin transpire cette tristesse, celle qu'inspire à Simon sa frustration amoureuse, celle qui mine la psyché d'Elizabeth et qui la pousse à bannir son propre frère en qui elle voit le Mal et la cause de sa dépression, celle qui pousse une mère à avouer son désamour à son propre fils, à préférer la mort à la greffe d'une partie de ce corps étranger. La crudité du film est certes jouissive, mais elle s'avère également très touchante, dérisoire paravent cherchant à dissimuler la grande sensibilité de ce film décidément magistral.

Nous avons très peu parlé de la distribution, et ce serait vraiment dommage de l'évincer tant son caractère gargantuesque s'accorde avec le film. Tous les acteurs sont pour la plupart familiers du cinéma de Desplechin. Et le moins que l'on puisse dire est que Catherine Deneuve, Jean-Paul Roussillon, Anne Consigny, Melvil Poupaud (aussi bon que chez Ozon), Laurent Capulleto, Emmanuelle Devos sont épatants. Quant à Mathieu Amalric, Emile Berling et Chiara Mastroianni, ils sont encore meilleurs que tous les autres.

On va penser que le flot de louanges est exagéré, alors que nous sommes encore en dessous de la vérité. Ces acteurs sont à l'avenant de ce film-monstre, époustouflant de maîtrise cinématographique ; Un conte de Noël est un film a priori insurpassable dans l'avenir proche du cinéma hexagonal... Enfin, jusqu'au prochain Desplechin, qui se confirme ici (comme Kechiche il y a quelques mois) comme l'un des cinéastes les plus déterminants du cinéma français actuel.

Michaël Delavaud

 

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