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26.02.24

Info parution : « Les cinéastes du Diable », par Yann Calvet

Si au cours du 19ème et du 20ème siècles, l’image terrorisante du diable, conservée dans le champ religieux et moral, a perdu de sa puissance dans l’imagination littéraire et dans les illusions de la fantasmagorie, le cinéma va produire de...

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25.09.23

Éclipses N° 72 : Clint EASTWOOD, l'épreuve du temps

Consacré à Clint EASTWOOD, le volume 72 de la revue ÉCLIPSES est actuellement en cours d'impression. Il sera très prochainement disponible sur ce site (en version imprimée et aussi en PDF) ainsi que dans votre librairie préférée. 

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02.12.22

Éclipses n°71 : Invasion John CARPENTER

John CARPENTER a eu un jour pour son propre compte une formule qui raconte beaucoup, tant de son esprit que du statut particulier dont il a écopé : « En France, je suis un auteur. En Allemagne, je suis un cinéaste. En Grande-Bretagne, je suis un...

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Revoir : Femmes au bord de la crise de nerfs  

Femmes au bord de la crise de nerfs
(Pedro Almodovar, 1987)

Paysages des humeurs vagabondes

par Jean-Michel Hellio le 28.12.10

Il est des cinéastes qui font l’unanimité, des réalisateurs chez lesquels résonnent les trompettes de la renommée, offrant aux critiques et aux spectateurs le confort d’un point de vue partagé fait de louanges et de lauriers tressés. A l’inverse, il est des metteurs en scène qui suscitent des joutes verbales contradictoires, des commentaires assassins, des écrits enfiévrés. Pedro Almodóvar connaît bien l’inconfort des deux états pour avoir été à ses débuts prisonnier d’une image brouillonne, sujette à caution auprès d’une certaine frange de la critique, avant de pouvoir s’extirper de cette gangue réductrice et devenir, à l’heure où nous écrivons, cet alchimiste capable de dorer à l’or fin le plus improbable des sujets.

Enfant terrible de la "Movida madrilène" et de sa contagion, Pedro Almodóvar aime à polir, au fil de ses opus, un style narratif qui repose sur l’appropriation des affects, des sentiments, hier enfiévrés par l’urgence du désir, aujourd’hui meurtris et ternis par la passion éteinte. Electron libre, coutumier du "non-sens", le réalisateur s’applique donc à étonner, à déstabiliser, interrogeant sans cesse la fonction même du cinéma ainsi que le rapport qu’il entretient avec ce médium. Plus précisément, cette envie qui le pousse à épouser la cause du mélodrame, puis à le dilater jusqu’à ce que ses codes usuels se boursouflent. Victime de son trop-plein, le mélo s’égare alors dans les entrelacs d’un "méli-mélo" décapant, incapable d’offrir une résistance à ce travail de sape du désir. Pour finalement l’enterrer en grande pompe après lui avoir fait atteindre des sommets dans la démesure. Et dont le dernier opus, Parle avec elle (2002) est bien le parangon vertueux.

Les fluctuations du désir

Loin des premières œuvres du cinéaste (parcourues de tics de jeunesse), Femmes au bord de la crise de nerfs prend acte de la nouvelle sensibilité narrative qui fait de son auteur un vulgarisateur à jamais allergique à la vulgarité, un scrutateur de l’état du monde allégé de son caractère anecdotique et immédiat. Et le nouveau paysagiste de l’humeur féminine vagabonde toujours en quête d’absolue. Le film est donc le récit d’un amour contrarié en même temps qu’une métaphore sur l’inconstance de l’homme, sa tiédeur amoureuse, son conformisme sentimental. Œuvre séduisante, exubérante, immédiatement identifiable, Femmes au bord de la crise de nerfs mérite d’être réexaminée à l’aune d’un arsenal syntaxique beaucoup moins "pompier". Une grille de lecture davantage travaillée par l’amertume, plus apte à cerner l’extraordinaire virtuosité d’une mise en scène attachée à prendre le pouls de la passion (c’est-à-dire l’action du corps sur l’âme). Aussi le feu destructeur de la passion ne peut-il s’éteindre dans ce film qu’après avoir maîtrisé, au préalable, les flammes qui ont dévoré le lit des amants. La mise en scène, organique, protéiforme, progresse à la manière d’un éventail jonglant avec les fluctuations du désir. Le plus souvent masquée, elle détourne tout au seul profit du jeu ; elle aime à s’enrubanner en tournant autour des formes qui sans cesse lui échappent pour renaître indéfiniment les unes dans les autres. Il en résulte un tremplin d’imaginaire fertile, un creuset d’invention séduisant mis au service d’un style "décousu main" à la précision étonnante. Bref un manifeste haut en couleurs, un modèle de baroque romanesque.

Au-delà de l’artifice, ce qui intéresse le réalisateur, c’est la vraie vie de Pepa consumée par le désir, et non son versant maquillé, aseptisé. Davantage la "vie codée" de l’héroïne (ses sentiments, ses pensées secrètes) plutôt que le modèle véhiculé par la réclame. Car le spectacle dont elle est la publicité incarnée désagrège sa personnalité, dépouille son corps de sa libre circularité, contraignant ce dernier à vivre "en représentation" permanente. L’entame du récit souligne cette tension : un coucher de soleil sur une plage avec en amorce le volume d'un immeuble. Il ne s’agit-là que d’une maquette, une version miniaturisée du cadre de vie de Pepa. Un lieu charnière où coexistent le cinéma et le théâtre, l’écran et la scène. Un sentiment d’interpénétration en quelque sorte, renforcé par un subtil fondu-enchaîné, lequel fait se succéder au compte à rebours visible sur l’écran de cinéma les images des réveille-matin dans l’appartement de Pepa. Tout n’est donc question que de regard dans ce film, à moins que ce ne soit de "look". Le prêt-à-porter comme instrument de la passion et condition sine qua non d’un objectif prêt à filmer l’étoffe des héroïnes.

Vérité et mensonge

En ce sens, l’auteur va s’engager sur la double voie de la dénonciation et de l’appropriation de l’illusion à travers un jeu baroque entre le mensonge et la vérité, le reflet et l’image. Et montrer que la mise en scène ne s’emploie pas nécessairement à créer de la fiction, mais bien plus à la détruire. Une scène traduit cette intention : réunies dans la chambre à coucher, Pepa et Candela (Julieta Serrano) sont filmées de manière à ce que le spectateur ne retient de l’action que son reflet dévoilé dans un miroir. La mise en scène ainsi articulée, corrélée à la gestuelle des corps (une séance d’habillage) et à la nature de leur conversation (un duo prêt à prendre clandestinement la fuite) participent à l’expression d’une interrogation sur la nature du lien qui les unit. Un soupçon pourtant très vite levé : à l’instant même où Candela s’assoit près de Pepa, le cinéaste rétablit la "réalité" (hors de portée du miroir) grâce à un raccord dans le mouvement. L’image recouvre son sens. Et les personnages leur place initiale. Cependant, le coup de fil qui intervient quelque temps après a pour conséquence de favoriser une redistribution des cartes nécessaire pour que le récit se décide enfin à choisir. Si Lucia (Maria Barranco) prend contact avec Pepa, c’est pour cette fois-ci la rencontrer (et donc se mettre à la place de Pepa qui a toujours souhaité cette entrevue). Pepa se voit donc contrainte d’évoluer sur l’échiquier des perspectives amoureuses. Elle fait donc mouvement et déclare qu’elle part en voyage (empruntant à la scène dont nous avons parlé précédemment une part de sa vérité). Procédé qui n’est finalement que le réemploi par la jeune femme d’une conversation récente avec l’avocate Paulina Morales (Kiti Manver). Cette dernière s’apprête en fait à quitter l’Espagne pour Stockholm avec pour compagnon de voyage le dénommé Yvan. Ce décalage permet donc de faire entrer dans le jeu l’avocate féministe et donc de passer d’un duo féminin à un trio. Une triade fondamentale dont le socle commun repose sur la figure d’Yvan.

L’énigme intérieure

A l’évidence, Pedro Almodóvar préfère les personnages à son récit. Et aux protagonistes, les corps de ses acteurs fétiches. Nous voici donc entraînés à corps et à cris dans un labyrinthe sentimental où les personnages de chair et de sang (féminins et pluriels) font de leur énigme intérieure (et de son dévoilement progressif) l’outil privilégié du processus de la création filmique. Il ne s’agit pas seulement pour le cinéaste de nous tenir en haleine grâce au brio d’un récit mâtiné d’une charge de pathos, mais davantage d’apporter au champ de la réflexion une vaste étude portant sur la pathologie du sentiment amoureux tiraillé entre le réel et l’apparence. Car la réalité est évidemment beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît dès lors que l’on s’éloigne des emportements humains et de ses travers. La caméra de Pedro Almodóvar fonctionne à la manière d’un instrument d’optique ; elle enregistre, mesure et démultiplie en le grossissant le jeu de massacre auquel se livrent les protagonistes ; elle sonde littéralement les "ratés" des cœurs abandonnés en jachère, contemplant ici l’être, débusquant là le paraître. De guerre lasse les protagonistes finiront par offrir à l’histoire leurs motifs secrets, leurs cicatrices intérieures.

Une fois de plus, le cinéaste avoue sa prédilection pour des héroïnes brisées, engluées dans le pathos. Et dont il nous offre ici une exquise composition florale. Eve ou Lilith, la féminité est pour le cinéaste un bain de jouvence, une cure d’éternelle jeunesse. Déesse incarnée ou muse de pacotille, nul n’en connaît le portrait exact. Toutes l’attirent, le fascinent. Jusqu’à susciter au plus profond de sa chair une idolâtrie semblable à celle de l’autel de la Passion. Le sens aigu des forces cosmiques qui anime l’intériorité féminine participe à donner à la représentation du monde almodovarien une densité et une intensité proprement envoûtantes. Pareil à un géographe du sentiment, le metteur en scène traduit cette inflexion narrative en s’attachant à filmer des corps humains émotifs qui palpitent de jalousie, de désir et de désespoir. En perpétuel mouvement, ces derniers instaurant une dynamique quelque peu débridée qui traduit les aspirations de l’âme envisagées comme les modèles récurrents d’une cosmogonie affective. Mesurer l’instant qui passe à l’aune des battements du cœur ; se satisfaire d’une humeur même passagère ou bien d’un état mortifère si nécessaire : voilà donc le sens du message almodovarien adressé au spectateur.

Faux et usage du faux

Très vite, le metteur en scène fait grincer son récit de manière à laisser l’affrontement en "huis clos" prendre forme au gré des raccourcis et des astuces de la mise en scène. La tournure des événements condamne les protagonistes à trouver refuge dans un décor surchargé, saturé de significations, et dont la seule issue est une terrasse aménagée dans le prolongement de l’espace scénique ou, plus furtivement, l’amorce d’une porte, d’un palier. L’appartement, dessiné comme un vaste trompe-l’œil où règne le faux et l’usage du faux, abrite un éventail de lieux qui regorgent de chausse-trappes où les corps semblables à des signes de piste se mesurent, s’interrogent, se déchirent ou s’enlacent. L’enchevêtrement des relations est illustré par une mise en scène qui s’attache à rendre invisible les coutures du récit. Le cinéaste choisit donc délibérément de miser sur le creux de l’oscillation pour assurer le passage de témoin (autrement dit pour introduire un nouveau personnage). Dans un même travelling, Pedro Almodóvar réussit habilement à relier à la fois un premier niveau de récit (le mouvement d’appareil débute sur Pepa installée devant son téléviseur) ; un entre-deux aux allures de zone tampon, en tout état de cause un écran où s’opère le basculement (celui-ci se réalise à la surface même de l’écran télé dans l’intermède d’un champ-contrechamp et d’un générique annonçant les infos du soir) ; enfin, un second niveau de lecture qui prend forme au moment où le travelling reprend sa course. A la grande surprise du spectateur, le prolongement du mouvement n’apporte pas une plus grande connaissance de l’espace initial mais bascule dans un autre champ de gravitation : le domicile de Candela (immédiatement abandonné par la jeune femme apeurée par sa liaison avec un membre d’un commado terroriste chiite).

Influx colorés

A bien les regarder, les gestes de noyés du monde almodovarien, façonnés par le pathos, obsédés de théâtre, ivres de plaisirs accentuent la profusion et la vitalité des moyens plastiques et narratifs engagés. Et que révèlent des formes magnifiées par l’enjeu. C’est précisément parce que Pedro Almodóvar nous instruit sur les faiblesses de l’homme, ses doutes et ses désespoirs qu’il nous touche. En témoigne, la science des couleurs, chère au cinéaste, toutes appariées avec un sens aigu de l’audace, et composantes à part entière du récit. Car le ton a ses valeurs comme le temps a ses douleurs. Le jaune étonne, le rouge détonne. Leur combat est d’une importance capitale car psychologique : l’or ou le sang. Ce peut être le rouge électrique d’un gazpacho assorti au rouge baiser qui souligne les lèvres d’une maîtresse faisant feu de tout bois ; le rose pastel d’un tailleur haute couture porté à fleur de peau par l’épouse légitime encore sous l’emprise de son désordre mental (dans la scène de l’aéroport, le tracé jaune qui parcourt le mur à l’arrière-plan de l’escalator symbolise la ligne jaune que Lucia s’apprête à franchir). Le cinéaste utilise donc la couleur comme un outil de classification et d’opposition. Rouge des combinés téléphoniques, rouge d’un feu tricolore transformé en soleil aveuglant, rouge des tomates découpées en rondelles, rouge de la pulpe brassée dans le shaker : l’image est saturée de rouge. Et en redemande. Jusqu’à ce qu’elle fasse parler l’hémoglobine. Seulement, à défaut de meurtre (Pepa sauvera Yvan des balles assassines de Lucia), le spectateur se contentera d’une légère entaille au doigt de Pepa et d’une publicité vantant les mérites d’une lessive capable d’effacer les traces de sang après le meurtre. Le récit almodovarien se structure donc à partir de la hiérarchisation des influx colorés de façon à éprouver toutes les sensations données par leurs combinaisons. Subrepticement, le vertige imprime son rythme à l’iris et fait couler le rimmel. On songe alors aux mélodrames flamboyants d’un Vincente Minnelli et à ses brillantes compositions plastiques.

Chez l’auteur, l’exagération des sentiments et des passions, les débordements de la parole, le jeu tourmenté des couleurs profondément expressives, traitées à la manière d’une déflagration, la lumière clinquante et accrocheuse, la dureté voire le pathétique des attitudes, des affrontements attestent d’une émotion vertigineuse qu’Almodóvar emporte à son plus haut degré d’expression en la délestant de tout souci de réalisme. Son esthétique incendiaire n’est finalement que le bras armé de son brûlot incendiaire à l’encontre de la lâcheté masculine et d’une représentation du monde ouvertement faussée où le simulacre et la simulation règnent en maître.

Jean-Michel Hellio

 

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