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Critique : Habemus papam  

Habemus papam
(Nanni Moretti, 2011)

Derrière les rideaux

par Estelle Bayon le 22.09.11

Le festival de Cannes 2011 a passé sous silence le dernier film de Nanni Moretti, lui préférant les fastes new-age d'un Malick qu'on avait connu plus subtil dans les élans gracieux de sa caméra transcendantaliste. Pourtant, son onzième long-métrage méritait une place de choix dans le palmarès, si ce n’est la même consécration qu’avait connue sa Chambre du Fils dix ans plus tôt. Après s’être attaqué à une grande figure politique en la personne de Berlusconi dans Le Caïman, l’incontestable chef de fil du cinéma italien se penche désormais vers une autre figure fondamentale de son pays – et du monde entier : le pape.

 

Habemus papam met en effet en scène l’élection, à la mort de Jean Paul II, du nouveau pape, lequel ne parviendra pas à assumer son nouveau statut et prendra la fuite incognito dans Rome, abandonnant les cardinaux, cloîtrés dans le secret des murs du Vatican, et son peuple-public frustré face à un balcon qui reste désespérément vide.

 

Transformant ce refus en réflexion sur les institutions religieuses et politiques autour d’une métaphore théâtrale, Moretti n’en expose pas moins la puissance révélatrice de l’art cinématographique.

 

Champ théâtral, hors champ cinématographique

 

Le film s’ouvre par une allure cérémoniale propre au potentiel événementiel des deux premières scènes qui se déroulent : funéraire avec la mort de Jean Paul II, puis élection de son successeur. La fumée blanche sortant d’une cheminée doit annoncer le suprême plébiscite, semblable aux trois coups de théâtre qui amorcent le début de cette nouvelle pièce que constituera le pontificat, lequel commencera à l’instant même où l’Elu se présentera sur la scène du balcon entouré de ses grands rideaux rouges. Face à celui-ci, sur la place Saint-Pierre, le peuple se fait public, prenant des photos et applaudissant, tandis que les journalistes guettent le moindre mouvement d’un show qui est donc, aussi, télévisuel.

 

C’est Melville, incarné par un Michel Piccoli impressionnant, qui est choisi après plusieurs tours, contre toute attente et nonobstant les pronostics. Malgré des premières hésitations face au choc de sa nouvelle fonction, Melville se pare de son costume de premier rôle et s’apprête à entrer en scène, annoncé par un cardinal face à une foule en liesse dont même les non-croyants pourront partager l’émotion.  

 

Mais un violent cri hors-champ enraye soudain l’engrenage parfaitement huilé de la cérémonie, et ouvre habilement la mise en scène morettienne vers son dédoublement. L’auteur de ce cri, nouveau-né papal, qu’on attendait solennel et concentré, et qu’on découvre très vite en vieillard déboussolé, paniqué et avachi sur une chaise, s’enfuit brusquement pour aller se cacher, ouvrant une autre scène : à celle de l'église et de son show cérémonial, champ théâtral, se superpose désormais un hors champ cinématographique qui brise les rouages du premier, desquels Melville s’échappe.

 

Et effectivement, le vieil homme prendra la fuite lors d’une sortie dans Rome, profitant du passage d’un camion qui, en traversant le plan, troue le champ pour lui offrir une échappatoire. Alors, seul le spectateur est désormais  habilité à accompagner le pape, tel qu’il est, l’homme derrière son accoutrement et ses postures, alors que les romains ignorent totalement que ce vieillard dérouté, sorti de sa route et quelque peu capricieux qui traverse les rues parmi eux est le nouvel élu, et que les cardinaux et le psychanalyste, interprété par Moretti et convié pour venir en aide à l’indécis, demeurent coincés à l’intérieur même de la grande machinerie vaticane qui les a enrôlés. Nous seuls, spectateurs de la salle, devant le film de Moretti, et non ceux qui se trouvent sur la place Saint-Pierre qui s’évide tristement face au balcon vide où s’agitent sous le vent les rideaux rouges délaissés, nous seuls avons un pape, habemus papam.

 

Melville prend alors possession du film en l’emportant loin du champ théâtral imposé par la machinerie pontificale, et l’amène vers son hors champ, qui le ramène à l’anonymat d’avant cette naissance papale indésirée, comme lorsqu’il n’était encore qu’un figurant lors des délibérations du Conclave. Là, en effet, Moretti prenait soin de ne pas s’attarder d’emblée sur son héros mais de filmer Piccoli en anonyme dans les rangées de cardinaux, dans ce hors champ où il aurait voulu rester.

 

Lors de son errance, Melville croise une troupe de théâtre dont l’acteur halluciné récite toute La Mouette de Tchekhov, jusqu’aux didascalies, et en rejoint miraculeusement le monologue dément. Il retourne alors à un avant du film même, hors champ total, renouant avec ses aspirations dramatiques de jeunesse. Choisissant lui-même son rôle, débarrassé de ses oripeaux papaux, Melville retrouve le plaisir de la comédie, au risque de la folie – il faut voir cette scène cocasse où les deux hommes traversent l’hôtel en pleine nuit, récitant leur texte parmi les clients hébétés jusqu’à l’ambulance qui emportera le comédien fou – et à l’encontre de la mise en scène bien plus ordonnée des conventions vaticanes.

 

Jouer la comédie

 

Pour autant, les coulisses du Vatican ne sont pas simplement réduites à la rigidité qu’en laisse supposer ses apparences médiatiques, et Moretti ne s’égare nullement dans un montage parallèle trop antithétique, entre la douce folie de la liberté et l’ankylose du Vatican. Au contraire, c’est autour de la notion même de jeu, qui traverse tout son film et lui donne son inimitable légèreté, qu’il les relie. Car si l’on joue la comédie des deux côtés, on joue également tout court.

 

Une fois à l’extérieur, comme en école buissonnière, Melville se comporte parfois en enfant capricieux – voir la scène dans le magasin. Mais déjà les cardinaux, à l’instant même où ils pénètrent les coulisses des délibérations, font tomber face à la caméra le masque de la maturité sérieuse que leur stature officielle leur imposait encore devant les journalistes. D’emblée, l’un d’eux tombe, ouvrant la faille burlesque de cette authentique mais profonde comédie italienne, un peu cynique, un peu bouffonne, et politiquement incorrecte. Ils copient pendant l’examen, prient pour ne pas être choisis tels des collégiens qui auraient peur d'être interrogés par le professeur. Et une fois abandonnés par le Chef de l’Eglise et obligés de rester enfermés dans le secret, ils se soumettent sagement aux commandements de Moretti, transformé en animateur de colonie de vacances, qui organise un tournoi de volley-ball d’une drôlerie réjouissante où s’exacerbe le ridicule des hommes dans leurs costumes encombrants. Le psychanalyste, dans cette scène a priori improbable et gratuite, a donc bien cerné ces grands enfants dont il va falloir s’occuper. De même le porte-parole du Vatican, ne pouvant avouer avoir perdu le Pape, leur offre un petit spectacle : un garde suisse occupe en effet la chambre sacrée, jouant littéralement la comédie en mimant Melville en ombre chinoise, agitant ridiculement le rideau pour rassurer sur sa présence dans la chambre papale. Alors que, seul autorisé à pénétrer cette coulisse des coulisses, le spectateur y découvre un homme dont l’uniforme ne manque pas de faire songer à un bouffon, fouillant dans les armoires et se goinfrant devant la télévision. Une fois de plus, Habemus papam… mais pas vraiment celui qu’on attendait.

 

La théâtrocratie du pouvoir

 

Autour de cette double mise en scène, Moretti poursuit son observation acerbe des rouages politiques dont le film devient une critique métaphorique. Derrière l’organisation de tout pouvoir se trouve ce que Georges Balandier appelle la « théâtrocratie » : « Tout univers politique est une scène, ou plus généralement un lieu dramatique où sont produit des effets » (Le pouvoir sur scènes, Paris, Balland, 1980, p.151). Qu’elle soit théâtrale, audiovisuelle, médiatique, la mise en scène fonde l’organisation de tout pouvoir. Le Vatican se fait évidemment métaphore de l’institution politique italienne, et au-delà. Lors du tournoi de volley, Moretti égratigne au passage la place de la représentation des pays du Tiers-Monde sur la scène religieuse/politique, dont l’équipe doit injustement composer face aux autres avec ses joueurs en plus petit nombre.

 

 

Mais le Piccoli morettien choisit de se retirer du champ, donnant une petite leçon d’humilité à un Berlusconi qui persiste outrageusement sur la scène de son pouvoir. Louer la grandeur de celui qui renonce, la force du renoncement, voilà un beau sujet de film, traité de surcroit avec élégance et humour. Pas de Palme pour Habemus papam donc, comme si le film devait ne pas s’enrouer lui-même dans une autre cérémonie, celle de Cannes. Mais sans conteste l’un des films les plus forts de l’année.

Estelle Bayon

 

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