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26.02.24

Info parution : « Les cinéastes du Diable », par Yann Calvet

Si au cours du 19ème et du 20ème siècles, l’image terrorisante du diable, conservée dans le champ religieux et moral, a perdu de sa puissance dans l’imagination littéraire et dans les illusions de la fantasmagorie, le cinéma va produire de...

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25.09.23

Éclipses N° 72 : Clint EASTWOOD, l'épreuve du temps

Consacré à Clint EASTWOOD, le volume 72 de la revue ÉCLIPSES est actuellement en cours d'impression. Il sera très prochainement disponible sur ce site (en version imprimée et aussi en PDF) ainsi que dans votre librairie préférée. 

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02.12.22

Éclipses n°71 : Invasion John CARPENTER

John CARPENTER a eu un jour pour son propre compte une formule qui raconte beaucoup, tant de son esprit que du statut particulier dont il a écopé : « En France, je suis un auteur. En Allemagne, je suis un cinéaste. En Grande-Bretagne, je suis un...

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Revoir : Le Bonheur  

Le Bonheur
(Agnès Varda, 1965)

Le mari, la femme, l'amante

par Michaël Delavaud le 05.01.11

Le Bonheur (1965) est le troisième long-métrage d'Agnès Varda après La Pointe courte (1954) et Cléo de 5 à 7 (1962). Le film raconte l'histoire d'un couple, François et Thérèse, lui charpentier, elle couturière ; ils s'aiment comme ils s'aimaient le premier jour, ils ont des enfants adorables, leur vie est idyllique. François rencontre Emilie, employée des Postes ; comme "le bonheur peut s'additionner", il fait d'Emilie sa maîtresse sans pour autant cesser d'aimer Thérèse, faisant de sa vie amoureuse un exemple de plénitude.

Le Bonheur est aussi le premier film qu'Agnès Varda réalisa en couleurs. Signifiant plus qu'un cousinage avec le cinéma contemporain bigarré de Jacques Demy (Les Parapluies de Cherbourg date en effet de 1964 et Les Demoiselles de Rochefort de 1967), cinéaste dont, nous le savons, Varda était très proche, l'usage de couleurs vives et marquées permettait surtout à la réalisatrice de structurer narrativement son film en représentant picturalement la relation amoureuse triangulaire qu'il raconte et, par là même, de lui donner une véritable portée idéologique.

Le premier quart d'heure du film pourrait être défini par son caractère absolument lisse, débarrassé de la moindre de ses possibles aspérités. Le Bonheur débute par la fin d'un pique-nique dominical en forêt, les enfants font la sieste, les parents paressent au pied d'un arbre, aux alentours d'un paisible canal où se rassemblent les pêcheurs du dimanche ; les couleurs sont chaudes, la lumière est diffuse, le monde quiet qui est ici dépeint fait clairement figure de nouvel Eden, d'une beauté digne des peintures d'Auguste Renoir. Il n'est d'ailleurs certainement pas fortuit que dans la scène suivante, la belle-soeur de François regarde à la télévision Le Déjeuner sur l'herbe, film-hommage de Jean Renoir au courant impressionniste dont son père fut l'une des grandes figures. A l'issue de cette promenade dans la nature, la famille rentre à Fontenay-aux-Roses, ville paisible truffée de jardins ouvriers (la campagne au sein de l'urbanité) et où tout le monde se connaît et est digne de confiance. Au sein du foyer, la vie se déroule tranquillement et harmonieusement...

La rencontre François/Emilie détraque, discrètement mais sûrement, ce mécanisme huilé à la perfection, comme le prouve le montage du film. A la platitude formelle du début succède un montage plus haché, métaphorique (le rapide plan sur le personnage d'une publicité souriant béatement faisant suite à la première rencontre entre les deux amants ; l'insertion de plans de fauves avant la seconde rencontre...), fonctionnant par associations d'idées. A ce régime de montage correspond le type d'humour développé par le film, un humour essentiellement constitué de calembours, blagues fonctionnant elles-mêmes par les associations d'idées ; par exemple, prochainement mutée à Fontenay, Emilie dit avoir peur "d'être paumée là-bas", phrase à laquelle François répond : "C'est pas aux Pommes, c'est aux Roses !". Le jeu de mots se décline encore de manière implicite et fort surprenante lorsqu'il dévoile poétiquement sa liaison à sa femme, comparant Emilie à un pommier poussant à l'écart d'une pommeraie (la vie familiale, s'entend) mais donnant autant de fruits que les autres arbres... A priori idiot, le calembour d'origine mute en un instant, devient rétroactivement l'annonce de la relation amoureuse qui allait survenir.

La liaison François/Emilie crée une rupture de style, le relief remplace la linéarité lisse du départ du film ; à l'unicité du couple succède la dualité de la liaison. A partir du moment où François fréquente alternativement les deux femmes et voit son bonheur s'additionner, la narration elle-même devient duelle, entrelaçant constamment la vie de famille du personnage et sa vie parallèle. Les deux histoires sont montées tête-bêche, jusqu'à ce que le film ressemble à une carte à jouer, c'est-à-dire jusqu'à ce que cohabitent dans la même narration deux parties parfaitement symétriques, similaires et égales. En entremêlant la vie familiale et la seconde vie amoureuse par le montage et en les rendant indistinctes l'une de l'autre, Varda efface littéralement les repères moraux en vogue à l'époque concernant les relations adultérines, ce qui généra alors un petit scandale (rappelons-nous que la libération sexuelle prônée par Mai 68, bien qu'imminente, n'a pas encore fait son chemin). En effet, par ce système, Le Bonheur est à la fois une ode conjointe à la famille et à l'adultère ; la mise en parallèle des deux notions et, donc, la banalisation de l'infidélité pouvait, en 1965, choquer les bonnes moeurs...

S'il passe par le montage, le traitement narratif duel du film, si important pour la distillation du discours polémique d'Agnès Varda, s'inscrit surtout au sein même de l'image cinématographique par le biais d'un traitement très élaboré de la couleur. En effet, chacune des deux femmes dont François est amoureux possède son propre code chromatique tout au long du film, de même que chacune d'entre elles est représentée par un espace filmique.

Thérèse, la femme de François, est symbolisée par la campagne, par l'élément végétal ; son code chromatique est le rouge et, de manière plus générale, l'ensemble des couleurs chaudes, les mêmes que celles, renoiriennes, de la scène d'ouverture. Les enfants du couple sont habillés en rouge, de même que François. Emilie, elle, est symbolisée par l'espace urbain, un espace restreint, celui de son petit appartement ou de son guichet des PTT ; son code chromatique est le bleu. Si le film débute par un scène champêtre envahie par la chaleur de la lumière et des couleurs, le chromatisme se bleuit par la suite indubitablement : François change de couleur de vêtements, les plans précédant la première rencontre dans le bureau de poste sont véritablement contaminés par la couleur bleue... Plus frappant encore : Agnès Varda utilise des panneaux colorés pour séparer ses scènes, rompant ici avec le noir traditionnel ; les panneaux eux-mêmes ont changé de couleur, de rouges, ils sont devenus bleus ou jaunes (le jaune, c'est bien connu, étant la couleur par excellence de l'infidélité, mais aussi celle des véhicules des PTT, dont l'un d'eux est stationné devant le lieu de la rencontre entre François et Emilie...).

Mais généralement, et c'est là que le travail de Varda sur la couleur concorde avec celui effectué sur le montage, les deux codes chromatiques sont mis en relation au sein d'un même plan, ils communiquent, se croisent et se mélangent de façon presque continuelle. Cela peut être deux personnes se croisant dans la rue, l'une habillée en rouge, l'autre en bleu, ou deux voitures sur la chaussée ; cela peut aussi être le garage pour enfant que fabrique François pour son fils, peint en rouge à l'exception d'une dernière plate-forme peinte en bleu. Varda joue aussi sur le chromatisme de certains panneaux de signalisation, filmant un panneau d'interdiction de stationner (pour ceux qui n'ont pas le permis, un rond bleu entouré et barré de rouge) avant de mettre en relation un sens interdit (le rouge) et une plaque de rue parisienne (le bleu)... On se rend alors compte que le travail chromatique effectué pour Le Bonheur a un véritable aspect ludique, pour le spectateur autant que pour Varda, qui réalise son oeuvre comme un petit jeu de pistes : "où se trouvent le bleu et le rouge dans chacun des plans ?", si l'on voulait verbaliser la règle du jeu.

Mais ce traitement chromatique duel prend une véritable dimension idéologique lors d'une scène de bal situé au coeur du film. Les gens dansent sur un morceau de valse musette, parmi eux se trouvent les trois sommets du triangle amoureux. L'image saute très brièvement. En regardant de plus près, on se rend compte que Varda a inséré dans le montage trois panneaux de couleur de façon subliminale, un bleu, un blanc et un rouge. Chacun des panneaux dure deux images, c'est-à-dire un douzième de secondes. Bleu, blanc, rouge ; Liberté, Egalité, Fraternité. Là se trouve tout le discours, très osé pour l'époque, d'Agnès Varda, et le fait de l'appuyer sur le symbole et la devise de la République Française accroît encore la force de la provocation : si Emilie est le bleu et Thérèse le rouge, on pourrait presque penser que le bleu, l'adultère peut être accolé à la notion de Liberté et le rouge, la vie familiale à celle de Fraternité, reliées entre elles par le blanc, la notion d'Egalité. Ce quart de seconde subliminal est certainement, avec le finale, le moment le plus important du film, permettant de représenter plastiquement les véritables enjeux de l'usage de la couleur dans Le Bonheur, qui sont d'ordre purement idéologique, prônant les relations amoureuses libertaires trois ans avant que Mai 68 ne mettent cette idée "à la mode". De ce fait, Le Bonheur peut être considéré comme une oeuvre visionnaire.

La fin du film ne fait que confirmer la pensée avant-gardiste d'Agnès Varda. Après que François a avoué sa relation adultère à sa femme, celle-ci meurt par noyade (accident ou suicide, le film ne semble pas clair sur ce point). Après une courte période de deuil, Emilie prend naturellement la place de Thérèse au sein de la famille déjà composée. Les enfants changent de vêtements pour la première fois (ils sont habillés en bleu), Emilie pénètre l'espace de Thérèse (la balade dominicale en forêt) et ses coloris chauds et chatoyants, côtoie l'élément végétal en y imposant le système de représentation qui lui est propre tout au long du film (le plan en contre-plongée dans la forêt, montrant la cime des arbres surplombée par un ciel d'un bleu azur). La maîtresse prend littéralement la place de l'épouse. La dernière séquence est la même que la première, à l'exception de la femme qui accompagne François et ses enfants : même mise en scène, même musique de Mozart, même paix, même bonheur. L'une remplace l'autre sans que cela ne pose problème ; la femme étant morte, la maîtresse devient femme dans un film montrant par là l'obsolescence du modèle marital dès le mitan des années 60. Film ayant une dizaine d'années d'avance sur son temps, Le Bonheur se situe donc dans une décennie gaullienne par trop poussiéreuse pour lui et ne pourra être compris que dans ces années 70 pendant lesquelles, paradoxalement, Agnès Varda disparaîtra presque complètement.

Michaël Delavaud

 

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