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Revoir : Tattoo  

Tattoo
(Robert Schwentke, 2002)

La Peau lisse des Corps

par Franck Boulègue le 20.01.11

Après avoir récemment analysé Flight Plan (2005), le dernier film du metteur en scène Robert Schwentke, penchons nous maintenant sur son premier opus, le thriller germanique Tattoo (2002). De nombreux parallèles peuvent en effet être tissés entre ces deux œuvres qui, sans pouvoir en aucune manière prétendre rivaliser avec les productions d’un Werner Herzog ou d’un Wim Wenders, comptent suffisamment d’idées intéressantes (tant du point de vue des sujets traités que de celui de leur mise en image) pour justifier qu’on s’y attarde un moment.

Tourné dans un Berlin plus gris et pluvieux que jamais, ce film nous plonge dans l’univers troublant des modifications corporelles – les « body modifications », ou « bodmods » (ensemble de pratiques d’ornementation non-conformistes du corps, qui vont de la pose d’implants jusqu’à la scarification, en passant par le « piercing », le « branding » ou, en l’occurrence, le tatouage). Marc Schrader (August Diehl), jeune diplômé flirtant volontiers avec la scène underground de la capitale, fait ses débuts dans la police berlinoise. Il se trouve d’emblée propulsé sur une enquête visant à démanteler un réseau de trafiquants de peaux humaines tatouées à la mode japonaise. Acolyte de « Minks le tueur » (Christian Redl), un commissaire marqué par la mort de sa femme et la disparition de sa fille, il va s’efforcer de démasquer « Irezumi », le mystérieux collectionneur à l’origine de cette avalanche d’écorchés vifs.

Avant d’aller plus loin dans l’analyse du long métrage, remarquons tout d’abord la cohérence visuelle qui l’unit à son successeur. Même esthétique glaciale, même intérêt porté à la géométrie et aux angles (il suffit de visionner la séquence de la course-poursuite entre Schrader et Günzel (Joe Bausch), « boucher » d’une ribambelle de tatoués, pour s’en convaincre), même soin dans le choix des architectures (épurées), des décors (déshumanisés), des couleurs (ternes, délavées), de l’éclairage (sombre). Si ces choix dans Flight Plan visaient à traduire visuellement le caractère onirique de l’avion pris par Jodie Foster, matérialisation de son inconscient, ils s’expliquent ici par le contraste qui est opéré entre cet environnement neutre (à dominante grise et blanche) et le rouge vif des chairs dépecées. La révolte de l’organique face au minéral, en somme (cf. les très nombreux plans réalisés sur des piliers de béton, des parkings souterrains, des bâtiments lépreux, lézardés, etc.). Une approche que ne renierait pas David Cronenberg, lui aussi friand de ce genre de télescopages (revoir Crash – 1996), par exemple, dans lequel il est question du mariage apocalyptique de la chair et de la machine).

On peut aussi noter une continuité thématique entre les deux films. Flight Plan aborde le thème de l’ontologie de manière quasi frontale ; Tattoo, pour sa part, se focalise sur le corps humain et ses modifications, et par là même, sur le rapport qu’entretient ce dernier à la réalité. Maya Kroner (Nadeshda Brennicke), glaciale directrice d’une galerie d’art, qui s’avèrera en définitive être l’Irezumi traquée par Schrader, lance au début du film : « la maison d’un être humain est le miroir de son âme ». Si l’on s’en tient au contexte dans lequel cette phrase est prononcée, elle se contente là d’expliquer son absence de surprise à l’annonce de la mort de son « amie » Lynn Wilson (Christiane Scheda), la première victime sur le cas de laquelle Minks et Schrader s’affairent. L’appartement de cette dernière est pour le moins lugubre, c’est un fait. L’environnement physique dans lequel nous évoluons ne saurait laisser notre âme indemne.

Mais la première maison d’un être humain, n’est-ce pas avant tout son corps ? Cette façon d’interpréter sa remarque semble bien plus en cohérence avec le thème ci-dessus évoqué des « bodmods ». Les modifications apportées au corps visent alors à matérialiser les affres de la pensée (Lynn s’est faite fendre la langue afin de ressembler à un reptile ; de plus, elle portait un précieux tatouage japonais sur son dos, cause de son trépas, réalisé à New York par un maître du style classique, Hiromizu). Il est donc très clairement question ici du rapport qu’entretient l’être humain avec la réalité, par l’entremise de son « moi-peau » (la peau comme frontière, surface de contact entre le « dedans » et le « dehors »), de ses sens et de leurs limites. Tout ceci nous rapproche du propos de Hellraiser (Clive Barker, 1987), autre grand film sur les modifications corporelles (cf. les Cénobites), pour le coup fortement teinté de masochisme (dans le film de Barker, le corps est désinvesti de toute jouissance autre que celle de la douleur – le but des modification corporelles, en revanche, n’est pas stricto sensu la douleur : la souffrance n’est qu’un passage obligé qui peut, à l’occasion, avoir également son intérêt (les japonais voient dans le tatouage un instrument de discipline mentale, de contrôle de soi, par l’endurance à la douleur qu’il exige, une douleur sublimée ; cf. aussi l’expression : « il faut souffrir pour être belle »).

Remarquons également l’importance des cloisonnements dans les deux films. Les divers « compartiments étanches » de l’E-474, l’avion de Flight Plan, trouvent leur écho dans ce long-métrage sous la forme de grilles, de grillages et autres paravents de plastiques qui ponctuent le récit sur toute sa longueur. Ce dernier motif récurrent est de loin le plus marquant (on l’aperçoit par exemple lors de la « rave » initiale à laquelle Schrader prend part ; sous forme de tentes lorsqu’on déterre les cadavres dans le jardin de Günzel ; ou bien encore avec le rideau de douche celant le corps éviscéré d’une femme – rue Dante !). C’est la proximité de cette substance avec la peau humaine qui crée l’impact de ce motif, ainsi que sa ressemblance avec les célèbres paravents japonais.

Signalons enfin les séquences tournées dans le métro de Berlin, qui rappellent l’ouverture du dernier film en date de Schwentke. Les déambulations de Schrader dans les couloirs de « l’underground » reflètent bien son positionnement social décalé, proche de l’univers interlope de la capitale (il terminera sa traque dans les égouts de la ville). Elles lui permettent d’interpeller Stefan Kreiner (Ingo Naujoks), junkie contraint de vendre ses tatouages pour acheter sa came, ainsi que d’accéder à Frank Schoubya (Johan Leysen), l’avocat intermédiaire entre Irezumi et ses fournisseurs, qui n’hésite pas à rédiger des contrats stipulant le caractère « consentant » de la démarche.

Mais revenons à la mystérieuse « Irezumi » ci-dessus évoquée. On comprend mieux le choix de ce pseudonyme par Maya Kroner quand on apprend que ce mot désigne les fameux tatouages japonais qui sont le moteur de l’action. Irezumi signifie « introduire l’encre ». Ce terme est également utilisé pour les tatouages infamants qui marquaient les criminels autrefois. C’est pourquoi les amateurs préfèrent utiliser le vocable « Horimono » (« chose gravée »), qui s’applique aux seuls tatouages ornementaux (figuratifs). D’autres termes, moins usités, désignent ces oeuvres : « Shisei » (« piquer du bleu »), utilisé notamment par Tanizaki Junichiro dans sa nouvelle « Le Tatouage » (1910) ; « Bunshin » (« corps écrit », ou « corps bariolé ») qui opère le passage du corps anatomique au corps symbolique – ce qui ne semble pas très approprié en l’occurrence, les tatouages japonais, esthétiques avant tout, étant peu imprégnés de métaphysique ; « Zanhu » (« la peau qui reste ») qui oppose cet art aux estampes japonaises, les « Ukiyo-e » (« images du monde flottant »). On parle aussi de « peaux de brocards » ou de « peaux de courage » (« Isamihada »).

L’Irezumi est un emprunt / recréation d’un savoir faire venu de Chine au milieu du XVIIIème siècle (durant l’ère Tokugawa, le Japon n’était pas totalement fermé aux influences Extrême-Orientales), lors de la publication de Au bord de l’eau (Shi Nai-an, seconde moitié du XIVème siècle) qui connut un grand succès dans l’archipel. La technique enveloppante du tatouage japonais (le dos, les flancs et le buste sont peints – les tatouages classique de l’époque Edo se limitaient aux parties cachées de l’anatomie) devient au XIXème siècle un emblème d’identité plébéienne (cf. les dragons – associés aux nuages et à l’élément aqueux en Asie – arborés par les pompiers), un défi à l’égard du pouvoir issu d’un peuple qui décore ainsi son seul bien. Elle confère une dignité à son corps nu, qu’il vêt de la sorte.

Contrairement à une idée reçue, les « Yakusas » (la pègre nippone) ne constituent qu’une minorité des tatoués (cf. néanmoins celui arboré par le Crying Freeman – Christophe Gans, 1995 –, dont l’effet enveloppant est magnifié par le générique qui ouvre le film). De plus, tous les malfrats ne le sont pas systématiquement. En effet, contrairement à ce qui a cours en Occident, où le tatouage à une signification de transgression des normes sociales (marins, bagnards, voyous, prostitués), la dermographie constitue plutôt au Japon l’expression d’une volonté d’adhésion à un groupe. Le corps au Japon n’a rien de divin. Ici, en revanche, le corps humain est supposé avoir été créé à l’image de Dieu et est par conséquent sacralisé, inviolable – Le Lévitique : « vous n’imprimerez pas de figure sur votre corps » –, Le Coran : « ce qui est reçu de Dieu, sous peine de malédiction, ne peut recevoir une agression quelconque » ; transgresser ces commandements revient à blasphémer. On peut cependant noter qu’à travers la figure de Jésus Christ, dont le corps a été marqué durant sa Passion à la place de tous les autres – cf. le film de Mel Gibson, dans son rapport masochiste à la douleur –, par délégation, certain(e)s n’hésitent pas à s’infliger des stigmates dans une sorte de retour du refoulé. « Les japonais portent peu d’intérêt aux corps nus. La peau immaculée n’a aucune valeur pour eux », précise d’ailleurs Maya, dans le film. C’est la raison pour laquelle les bains publics se sont progressivement mués en lieux d’exhibition. A travers leurs tatouages, des individus isolés, véritables « Ikeru ukiyo-e » (« images vivantes du monde flottant »), parviennent ainsi à trouver un ancrage.

Les premiers maîtres tatoueurs (« horimono-sh »i) – dont Hiromizu est le reflet dans Tattoo – voient le jour au début du XIXème siècle. Ils signent leurs œuvres dans un petit cartouche également tatoué à même la peau de leurs « toiles ». Ces détenteurs des techniques traditionnelles incisaient à l’aide d’aiguilles, ce qui les différencie de la grande majorité des tatoueurs contemporains, qui recourent toujours plus aux stylets électriques. L’Age d’or du tatouage semble donc avoir eu lieu au Japon durant cette période, et non aux XVIIème et XVIIIème siècles comme il est avancé dans le film. Horibun I, Horikin, Horihide, Hiroyoshi II, Horimasa III ou bien encore Horitoshi I comptent parmi les maîtres contemporains les plus célèbres.

« Les japonais se sont mis à collectionner des peaux. A acheter des tatouages aux vivants en attendant leur mort, paraît-il. Ce sont bien sûr des légendes », affirme Maya. Si, en effet, il est peu probable qu’un trafic de peaux semblable à celui décrit dans le film existe (on prélève les téguments sur des êtres encore en vie), il n’en est pas moins vrai que ces œuvres sont conçues pour être exposées. Après la mort, la peau est ouverte en deux à partir du ventre, puis étendue pour une vue d’ensemble. Le Département d’Anatomie de la Faculté de médecine de l’université de Tokyo dispose ainsi d’une salle de spécimens où sont exposées une vingtaine de peaux humaines (salle 301). Elles sont étendues comme des peaux de lapins dans des sous-verres. On les entretient à l’aide d’applications régulières d’huile d’olive.

Que recherchent les individus qui se font ainsi tatouer ? « La beauté délicate d’un objet allié à la douleur de sa fugacité. Accepter l’éphémère de l’existence, comprendre que cela confère une véritable valeur à la création, tel est le fondement de la culture japonaise », déclare Schoubya. On peut ainsi rapprocher l’art de l’Irezumi de celui de la calligraphie, pratiqué par les samouraïs, pour lesquels le trait tracé à l’aide du pinceau se devait d’être aussi pur et définitif que le coup porté à l’aide du « katana » (« le sabre »). Une fois tracé, le tatouage ne saurait en effet être effacé : pas de regrets, pas de corrections.

Puis Schoubya ajoute : « notre société vit une révolution. Au lieu de creuser la distance entre les civilisés et les primitifs, il est plus excitant de raviver le primitif en nous. Certains y arrivent mieux que d’autres ». Schrader, par exemple, lorsqu’il s’abandonne à la transe en allant danser (ce moment d’abandon est associé à l’image du feu par la grâce du montage – un bus qui explose précédant ce plan – ce qui tranche avec l’esthétique froide du reste du film ; le seul autre moment où le thème de la chaleur est évoqué étant un plan sur une tapisserie murale représentant un coucher de soleil…). Pour accéder à cet état second, il n’hésite d’ailleurs pas, comme c’est le cas dans les sociétés soi-disant « primitives », à ingurgiter des drogues. Réflexion sur ce qui sépare l’être humain dit civilisé de ses origines animales (ne tatoue-t-on pas les animaux domestiques pour les retrouver en cas de perte ?), les inscriptions tégumentaires symbolisent, contrairement à ce que l’on pourrait penser a priori, la victoire de la culture sur la nature. En effet, à la différence de ce qui a cours dans le règne animal, le corps humain est ainsi modelé socialement. Il est transformé en signifiant. Il apparaît cependant illusoire de vouloir retrouver un quelconque primitivisme par le biais des seules « bodmods », ces modifications ne jouant un rôle culturel que dans le cadre de sociétés données. Extirpées hors de leur environnement d’origine, elles ne sauraient plus véhiculer les mêmes valeurs (cf. Les Statues meurent aussi – Alain Resnais & Chris Marker, 1953).

Vaste jeu de miroirs et de reflets, le film gravite autour du personnage manipulateur de Maya Kroner / Irezumi. C’est elle qui tire les ficelles sans qu’on la soupçonne. « Les apparences sont trompeuses », déclare-t-elle à Schrader lors de leur première véritable conversation. Ce sera le leitmotiv qui la caractérisera d’un bout à l’autre du film. D’ailleurs, lorsqu’elle prononce ces mots, c’est son reflet dans les panneaux vitrés d’un immeuble qui est filmé, et pas elle directement. Par la suite, on ne compte plus les exemples où son image réfractée sera photographiée en lieu et place de sa personne physique – dans son appartement, au commissariat à travers la glace sans tain, etc.

Si Tattoo est un film profondément focalisé sur le thème de la corporéité, on découvre en cette femme fatale l’antithèse de toute idée d’incarnation. Elle n’a pas vraiment de réalité matérielle. Une scène illustre parfaitement cela. Quand Schrader et Minks pénètrent dans l’appartement de Lynn Wilson à la recherche d’indices, on frappe à la porte. Schrader ouvre et se trouve face à un palier désert. Il ferme derrière lui et reprend ses recherches. On frappe à nouveau. Cette fois-ci, Maya Kroner se tient devant lui, sans avoir eu matériellement le temps de gravir les escaliers menant à cette porte. Elle s’est en quelque sorte matérialisée à cet endroit, de la même façon qu’elle se dématérialisera de son appartement à la fin du récit, sans que personne ne remarque son départ. « Suis-je de la viande ? », demande-t-elle à Minks qui souhaite l’utiliser comme appât pour capturer Irezumi. La réponse est non, sans ambiguïté.

D’autres indices de sa duplicité ponctuent le film. Le fait qu’elle fume, tout d’abord. Sans aller jusqu’à conférer à cette pratique une connotation morale négative – comme c’est par exemple le cas dans la série télévisée X-Files – on peut cependant noter qu’après avoir été saisie en train de savourer une cigarette, un plan de Schrader venu examiner des pièces à conviction le saisit devant un panneau « Rauchen verboten » (« Interdiction de fumer »). Il n’y a pas de fumée sans feu…

Plus significatif, c’est par transparence qu’on découvre pour la première fois son tatouage intégral, à travers sa robe gorgée d’eau de pluie. Elle le gardait bien caché sous ses vêtements jusqu’à cette scène – une beauté cachée qui, une fois dévoilée, révèle les ténèbres qu’elle dissimulait en elle. Ce tatouage relève d’ailleurs lui aussi de l’élément aqueux : il représente des flots tumultueux qui se jettent dans un maelström dévoreur. Son corps laiteux, le fait qu’elle reflète plus qu’elle n’émette, la rapproche naturellement du satellite de notre planète, la Lune. Cet astre est, bien entendu, traditionnellement associé à l’eau (ainsi qu’à la féminité). Il est intéressant de savoir que les femmes ayant sacrifié à la pratique de l’Irezumi représentent seulement un pour cent de l’ensemble des tatoués. Ce sont généralement les épouses de truands ou de maîtres tatoueurs – c’est le cas dans ce film (la folie meurtrière de Kroner trouve ici sa source : elle était l’amante d’Hiromizu à New York jusqu’au jour où il a terminé le tatouage qu’il effectuait sur elle, son chef-d’œuvre. A partir de ce moment là, plus rien ne l’a intéressé. « La perfection absolue. Il m’a laissée seule avec une blessure inguérissable. L’ironie du sort veut que je sois tout ce qui reste de lui », explique-t-elle. Pour se venger, elle l’a assassiné, puis écorché, avant de se mettre en chasse pour collectionner l’ensemble de son œuvre – rappelons qu’elle dirige une galerie d’art). Les tatouages féminins sont généralement plus aérés, afin de jouer sur les contrastes entre la blancheur de leurs peaux et les couleurs. Ils visent à souligner la beauté plutôt que la force.

Dernier indice enfin, le plus révélateur : lorsque Minks ouvre le colis posté par Irezumi, dans lequel se trouve un portefeuille en peau humaine portant le tatouage (un diablotin) de sa fille disparue, Marie (Jasmin Scharies), un jeu sur les reflets place virtuellement ledit colis entre les mains de Maya Kroner assise dans la pièce voisine. Elle est à ce moment très clairement désignée comme destinateur de cet immonde paquet, qui entraînera le suicide du commissaire peu après, une fois le reste du corps de sa fille mis à jour.

Maya Kroner, entité évanescente, parviendra finalement à se jouer des pièges échafaudés par la maréchaussée berlinoise. La police des corps se révèle passablement démunie face à ce personnage fantomatique. Impossible de lui passer les menottes. Schrader, profondément « marqué » par cet échec, se fera finalement tatouer le même motif que celui qui recouvre le corps de Kroner (peut-être s’agit-il là d’une des rares incohérences du film de Schwentke : un tel tatouage intégral est un processus cher, douloureux et long – sa réalisation s’opère généralement sur des années, ce qui ne semble pas être le cas dans cet épilogue). Il l’a alors dans la peau, au propre comme au figuré. S’agit-il pour lui d’un moyen visant à attirer Kroner de nouveau à lui ? Cette amatrice d’Irezumis ne saurait en effet passer à côté d’un tel chef-d’œuvre. La question reste posée, le film nous laissant deviner seuls le fin mot de l’histoire.

Franck Boulègue

 

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