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26.02.24

Info parution : « Les cinéastes du Diable », par Yann Calvet

Si au cours du 19ème et du 20ème siècles, l’image terrorisante du diable, conservée dans le champ religieux et moral, a perdu de sa puissance dans l’imagination littéraire et dans les illusions de la fantasmagorie, le cinéma va produire de...

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25.09.23

Éclipses N° 72 : Clint EASTWOOD, l'épreuve du temps

Consacré à Clint EASTWOOD, le volume 72 de la revue ÉCLIPSES est actuellement en cours d'impression. Il sera très prochainement disponible sur ce site (en version imprimée et aussi en PDF) ainsi que dans votre librairie préférée. 

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02.12.22

Éclipses n°71 : Invasion John CARPENTER

John CARPENTER a eu un jour pour son propre compte une formule qui raconte beaucoup, tant de son esprit que du statut particulier dont il a écopé : « En France, je suis un auteur. En Allemagne, je suis un cinéaste. En Grande-Bretagne, je suis un...

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Chronique DVD : The Killing Kind  

The Killing Kind
(Curtis Harrington, 1973)

L'innocence criminelle

par Michaël Delavaud le 23.08.11

Film quasi inconnu sacrifié en son temps par un distributeur sans scrupules, le remarquable The Killing Kind (1973) de Curtis Harrington sort du purgatoire sous la forme d'un DVD édité par Artus Films. Ce drame éminemment hitchcockien, hanté par une sexualité aussi fétichiste que déviante, est avant tout le portrait d'un personnage déséquilibré, sombrant peu à peu dans une aliénation criminelle et irrémédiable. Noir, dérangeant et ambigu, ce film se doit d'être découvert par le plus grand nombre.

 

"Tu es un gentil garçon"

 

Terry (John Savage, impressionnant) sort de prison, où il a purgé deux années d'enfermement pour viol. Il retourne dans la pension de famille que tient Thelma (Ann Sothern), sa mère aussi excessivement aimante qu'envahissante. Peu à peu, Terry s'en prend à ceux (ou plutôt à celles) qui l'ont amené à l'emprisonnement...

 

Dans un premier temps, Harrington fait du personnage de Terry un innocent à la gueule d'ange, un grand garçon mal dégrossi, un adulte dont le retour au foyer ressemble à une régression vers l'enfance lui permettant de traîner au lit, de s'amuser avec sa mère ultra-permissive ou d'engloutir des litres de chocolat au lait. De ce décalage cocasse, de cette cohabitation entre l'esprit infantile de Terry et son corps adulte naissent les allures hitchcockiennes d'un film dont le vernis d'innocence n'est qu'une fragile surface dissimulant une réalité au mieux menaçante, au pire criminelle. Un plan, apparemment anodin, est parfaitement représentatif de ce qu'est The Killing Kind : un soir, Thelma sort pour mettre ses déchets dans sa poubelle métallique ; en soulevant le couvercle, elle trouve son chat mort, étranglé par Terry lors d'une séquence antérieure. Au-delà de la surface de la banalité du quotidien se trouve la violence criminelle. La poubelle devient ici un symbole de cette domesticité pervertie : après avoir dissimulé le cadavre du chat, elle permettra à Terry et à sa mère d'escamoter le corps sans vie d'une locataire de la pension de famille que le garçon a assassinée en le transportant plus ou moins discrètement dans une décharge publique. Inéluctablement, les actes meurtriers supplantent la morne tranquillité de la vie domestique, ceci jusqu'à détourner la fonctionnalité des objets qui lui sont d'ordinaire liés.

 

De par sa beauté et sa serviabilité (une vieille pensionnaire dit souhaiter que tous les jeunes gens soient comme lui) dissimulant une face sombre, Terry est un cousin des personnages troubles et hitchcockiens de Soupçons (Suspicion [1941]) ou de Psychose (Psycho [1963]). De Johnnie Aysgarth (Cary Grant), il possède le don de rendre anxiogène chacune de ses apparitions ; sa présence élégante est en elle-même un danger potentiel. The Killing Kind  assume pleinement le rapprochement avec Soupçons, ceci jusqu'à évoquer clairement la fameuse séquence du verre de lait (le chocolat au lait empoisonné filmé en gros plan en ouverture de la séquence finale).

 

Terry possède également quelques points communs avec le mythique Norman Bates (Anthony Perkins). Les deux personnages vivent dans des lieux équivalents (la pension de famille a remplacé le motel hitchcockien), à la fois abrités des regards extérieurs (les vaines tentatives de la voisine de Terry, duplication du Jeff de Fenêtre sur Cour [Rear Window, 1954], pour observer à la jumelle la pension de famille et ses occupants) et des regards intérieurs de par son cloisonnement, lieux clos conditionnant des pulsions criminelles assez similaires. De cet état d'aliénation naît une relation mère/fils pour le moins ambivalente, cependant inversée d'un film à l'autre ; si la folie de Bates lui a dicté de tuer sa mère avant de la "ressusciter", celle de Terry est au contraire alimentée par l'amour maternel excessif que lui porte Thelma. Les gentillesses qu'elle lui prodigue, les nombreux verres de chocolat au lait qu'elle lui sert sont autant de signes d'affection enfonçant paradoxalement son fils dans une aliénation de plus en plus violente, transformant l'acte criminel en une inconséquence infantile.

 

Une séquence terrible, la plus belle du film, montre Terry attablé devant un verre de cacao pendant que sa mère repasse ; Thelma ressasse alors les souvenirs et anecdotes d'un passé révolu, alors que son fils n'était qu'un enfant. Une note stridente se superpose à la logorrhée de Thelma. Le montage, d'abord en champ-contrechamp, se fait plus oppressant, alternant les gros plans sur les visages des deux protagonistes et sur le mainate encagé offert par Terry à sa mère à la suite de la mort de son chat. L'oiseau, répétant en boucle la phrase "Tu es un gentil garçon", devient alors l’élément central de la séquence voire du film, confirmant d’une voix péremptoire et lucide la régression aliénante du personnage vers le temps antérieur de l'enfance.  Tout ceci mène à l'explosion de Terry, hurlant et se levant brusquement, cherchant à fuir le carcan domestique, l'emprise d'une mère cherchant à ancrer son fils dans sa préadolescence. Cette fuite est alors entravée par le montage même du film : usage du ralenti, répétition à trois reprises de la brusque ouverture de la porte... La mise en scène elle-même semble vouloir enclore le personnage dans sa névrose, l'empêcher de réagir face à sa propre aliénation. Une fois qu'il parvient au monde extérieur, le réflexe de Terry est de se trouver une nouvelle intériorité, un nouveau cocon : dans le mouvement de sa fuite, il se jette dans la piscine attenante à la pension de famille. En cherchant à fuir l'infantilisation dont sa mère est le maître d'oeuvre, Terry semble en fait littéralement plonger dans la régression ultime, l'eau bleue de la piscine pouvant symboliser une nouvelle forme de liquide amniotique. Plus il cherche à échapper à sa névrose, plus celle-ci s'empare de lui sans qu'il ne puisse réagir. Cette impression d’inexorabilité se trouve renforcée par son cri rendu inaudible par le liquide et par l'image gelée achevant la séquence.        

 

Sexualité oculaire

 

La relation conflictuelle du personnage avec sa mère n'est pas le seul rapport de Terry avec  Norman Bates. Ce dernier est un personnage caractérisé par son voyeurisme, et dont le passage à l'acte sexuel passe par la mise à mort de la "partenaire" (la fameuse scène de la douche de Psychose et ses coups de couteau comme autant de pénétrations du corps féminin) ; c'est en cela que le personnage de The Killing Kind semble le plus proche du psychopathe hitchcockien. Terry est en effet un être regardant, étranglant le chat tout en espionnant une jeune pensionnaire en train de lire en sous-vêtements, allongée sur son lit. Comme pour Bates, la mise à mort permet l'assouvissement du fantasme, soulignant l'inaptitude sexuelle d'un être infantile. Dans la séquence pré-générique, il est avant tout spectateur du viol pour lequel il sera par la suite condamné ; ce sont ses amis qui l'obligent à violer physiquement, qui le forcent à s'allonger sur la victime. L'acte sexuel concret prend alors l'allure d'un traumatisme, la séquence se concluant sur le hurlement et le visage grimaçant de Terry, figé par une image gelée du même type que celle de la séquence de la piscine. Le viol de la victime est aussi celui de Terry, ce qui rend le début du film très dérangeant : le violeur y est aussi décrit comme une victime. Le titre français du film, au premier abord surprenant voire douteux (Il les aime toutes... mais mortes), est pourtant un résumé lapidaire de ce qu'est le personnage de Terry : un garçon moins misogyne que traumatisé par la sexualité, notion rendue abstraite par son voyeurisme et dont la concrétisation potentielle ne provoque qu'une pulsion mortifère. En faisant le portrait d'une aliénation, le film de Curtis Harrington brosse par extension la dérive sexuelle de son personnage qui n'accepte le contact tactile que d'un seul corps féminin : celui de sa mère.

 

The Killing Kind est donc le récit d'une perte totale de repères, la description d'un personnage déséquilibré sombrant dans les eaux sombres de la démence (l'image gelée de la piscine pourrait aussi symboliser cela, la régression du personnage et son aliénation étant parfaitement liées l'une à l'autre). Thriller surprenant, sans réel défaut (à part quelques petits problèmes de rythme dans sa première partie), aussi angoissant qu'émouvant (la poignante dernière scène, quasi shakespearienne), The Killing Kind est une très belle exhumation.

 

Bonus

 

En plus d'un court-métrage sans queue ni tête esthétisant en vain le thème du vampirisme (Bloody Current Exchange de Romain Basset) et des traditionnelles bandes-annonces, le DVD de The Killing Kind s'enrichit également d'un long et intéressant portrait biographique de Curtis Harrington par Frédéric Thibaut (journaliste pour les revues Impact et Brazil et organisateur du festival toulousain Extrême Cinéma). Et de savourer la richesse du parcours de ce metteur en scène autodidacte et méconnu, de son premier film tourné à quatorze ans, adaptation de La Chute de la Maison Usher, à son dernier intitulé Usher (!), ceci en passant par ses connexions professionnelles avec Josef Von Sternberg, Kenneth Anger, Albert Lewin, James Whale et Roger Corman. En souhaitant vivement, au vu de ce portrait, que le reste de la carrière de Harrington puisse sortir de l'ombre, à l'image de The Killing Kind.

Michaël Delavaud

 

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